Après des années de répression de plus en plus intense, la Zambie est au bord de la crise des droits humains à l’approche des élections présidentielles prévues en août, a déclaré Amnesty International lundi 28 juin. Dans un nouveau rapport intitulé Ruling by fear and repression, l’organisation montre comment le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique est de plus en plus menacé, surtout depuis cinq ans. Des dirigeants et des militant·e·s de l’opposition ont été emprisonnés, les autorités ont fait fermer des organes de presse indépendants et au moins cinq personnes ont été tuées par des policiers depuis 2016.
Le Front patriotique (PF), dirigé depuis 2016 par le président Edgar Lungu, entend se faire réélire le 11 août. Ce parti est arrivé au pouvoir en 2011, après la victoire de Michael Sata, qui est décédé pendant son mandat en 2014. Depuis qu’Edgar Lungu lui a succédé, la situation des droits humains s’est nettement détériorée.
« Nous avons observé en Zambie, notamment depuis cinq ans, une répression de plus en plus brutale des droits humains, qui se caractérise par des attaques éhontées contre toute forme d’opposition, a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
« Des chefs de file de l’opposition, des journalistes, des organes de presse et des militant·e·s ont été pris pour cibles, et dénoncer des faits de corruption ou des violations des droits humains imputables à des représentants de l’État est devenu plus dangereux. Les manifestations sont empêchées ou dispersées au moyen d’une force illégale et parfois meurtrière, et les personnes qui protestent contre la corruption subissent des actes d’intimidation et de harcèlement. »
Le rapport d’Amnesty International témoigne de la détérioration du bilan des droits humains de la Zambie au cours des cinq dernières années, depuis qu’Edgar Lungu est arrivé au pouvoir, et il décrit comment la censure, le recours excessif à la force par la police et les arrestations et détentions arbitraires ont créé un climat de peur et d’impunité.
Les réunions publiques de l’opposition politique et de la société civile sont très souvent restreintes pour des motifs liés à la sécurité publique ou à la gestion de l’épidémie de COVID-19. Deux organes de presse ayant critiqué les autorités ont été fermés en moins de cinq ans.
Répression de la liberté d’expression
La Zambie connaît une érosion systématique de la liberté d’expression depuis cinq ans. Les autorités utilisent la loi à mauvais escient pour sanctionner pénalement la dissidence pacifique, en engageant des poursuites contre leurs détracteurs au titre de dispositions du Code pénal telles que la diffamation, l’incitation aux troubles à l’ordre public et la sédition.
Ainsi, le 9 mars 2020, des policiers ont arrêté un adolescent de 15 ans à Kapiri Mposhi. Inculpé de trois chefs d’accusation de diffamation passible de poursuites pénales pour avoir, selon les autorités, critiqué le président sur Facebook, il attend maintenant d’être jugé.
Des chefs de file de l’opposition ont aussi subi des représailles pour avoir critiqué les autorités. En 2017, le chef du Parti progressiste uni (UPP), Saviour Chishimba, a été arrêté et détenu pendant plusieurs jours après avoir critiqué la décision du gouvernement d’instaurer un état d’urgence à la suite d’une série d’incendies volontaires dans la capitale, Lusaka. En 2019, le dirigeant du parti des Patriotes pour le progrès économique (PEP), Sean Tembo, a été arrêté pour diffamation car il avait exprimé son inquiétude quant à l’achat d’un avion présidentiel à 400 millions de dollars américains en pleine crise de la dette publique.
Des organes de presse sont également la cible d’attaques depuis qu’Edgar Lungu est au pouvoir. En juin 2016, l’un des principaux quotidiens du pays, The Post, a été contraint à fermer par les autorités et liquidé en raison d’une dette fiscale qu’il contestait. La fermeture de ce journal, qui était réputé pour son travail d’enquête critique à l’égard du gouvernement, a été précédé par des brutalités contre des membres de son personnel, cautionnées par les autorités.
En avril 2020, le gouvernement a annulé la licence de diffusion de la première chaîne de télévision privée du pays, Prime TV. Aucun motif précis n’a été fourni pour justifier cette mesure, mais l’Autorité indépendante de radiodiffusion a déclaré qu’elle avait été prise dans l’intérêt général.
Homicides commis par la police
La répression se traduit également par une escalade du recours excessif à la force par la police, qui a été fatal dans certains cas. Le 22 décembre 2020, des policiers ont abattu deux personnes non armées lors d’un rassemblement de sympathisants de l’opposition.
Plusieurs personnes s’étaient réunies pour montrer leur solidarité envers Haikainde Hichilema, chef du Parti uni pour le développement national (UPND), qui avait été convoqué pour un interrogatoire au siège de la police à Lusaka. Le procureur général Nsama Nsama, qui ne participait pas à ce rassemblement, a été tué par balle alors qu’il achetait son repas dans un restaurant à proximité, tandis que Joseph Kaunda, sympathisant de l’UPND, a été abattu par des policiers lorsqu’ils ont dispersé la foule. La veille, le gouvernement avait publiquement appelé la police à employer « tous les moyens nécessaires pour faire respecter l’ordre et la loi » face aux sympathisants de l’opposition.
Une enquête de la Commission des droits humains de Zambie a conclu que l’ordre de tirer émanait du commissaire de Lusaka, Nelson Phiri, qui été démis de ses fonctions mais n’avait encore fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire au moment de la rédaction du rapport d’Amnesty International.
En 2018, une étudiante, Vesper Shimuzhila, a été tuée par une grenade lacrymogène lancée par la police dans sa chambre au cours de la dispersion violente d’une manifestation étudiante. Sa famille a obtenu 25 000 dollars américains d’indemnités mais aucun policier n’a été poursuivi.
Cette impunité est aujourd’hui bien ancrée en Zambie. Un défenseur des droits humains a indiqué : « Le niveau d’impunité a tellement augmenté qu’il semble maintenant être un puits sans fond. Il n’y a vraisemblablement aucune limite en termes d’impunité et de violations. » Un certain nombre d’autres personnes ont par ailleurs perdu la vie aux mains d’acteurs étatiques et non étatiques.
« Les autorités zambiennes doivent s’engager à respecter, protéger, promouvoir et concrétiser pleinement les droits humains avant, pendant et après le scrutin du 12 août. Elles doivent également mettre fin à l’impunité des auteurs de violations des droits humains commises par le passé, a déclaré Deprose Muchena.
« Des éléments montrent que de hauts responsables gouvernementaux alimentent la violence policière en Zambie depuis cinq ans. Toute personne soupçonnée d’être responsable de violations des droits humains doit être traduite en justice dans le cadre d’un procès équitable. »
Amnesty International appelle les autorités à cesser immédiatement de réprimer l’exercice des droits humains, notamment du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et demande le retrait de toutes les restrictions illégales des droits des personnes en Zambie à recevoir et diffuser librement des informations indépendantes et à exprimer leurs désaccords pacifiquement.