Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Verrouillage de la frontière macédonienne : des réfugiés renvoyés de force et illégalement en Grèce

Recroquevillé de l’autre côté de la clôture, un jeune homme pleure, le visage dissimulé derrière ses mains et le corps secoué de sanglots.

Ce jeune homme et sa mère viennent tout juste d’être conduits au centre d’enregistrement de Guevgueliya, après avoir été découverts par la police des frontières macédonienne. Elle tient à peine debout. Exténuée, affamée et désorientée, elle explique qu’ils viennent de Grèce, qu’ils se sont perdus et marchaient depuis trois jours. Ils sont en état de choc et ignorent que, du fait de leur nationalité iranienne, leurs efforts auront été vains : ils vont bientôt être renvoyés en Grèce, car les réfugiés iraniens ne sont pas autorisés à pénétrer en Macédoine.

Le 18 novembre, la Macédoine – et la Croatie, la Serbie et la Slovénie – ont mis en place une politique discriminatoire aux frontières, n’autorisant que les réfugiés afghans, irakiens et syriens à passer. Durant les 20 jours qui ont suivi, les autorités macédoniennes ont renvoyé de force et illégalement plusieurs milliers de réfugiés et de migrants vers la Grèce, foulant aux pieds leurs éventuels droits à l’asile.

Au début du mois de décembre, Amnesty International est retournée à la frontière pour observer l’application de cette politique. Les réfugiés et les migrants n’arrivent pas à croire ce qui leur arrive : ils ont parcouru de longues distances pour se retrouver bloqués, ici, à la frontière. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) nous a indiqué avoir tenté de les informer, mais les réfugiés et les migrants frappés d’interdiction qui arrivent en bus du sud de la Grèce ne savent pas, dans leur immense majorité, qu’on estime qu’ils n’ont pas la « bonne » nationalité. À moins d’être afghans, irakiens ou syriens, ils sont refoulés quand ils présentent leurs papiers d’identité aux policiers macédoniens stationnés à la frontière. La plupart sont en état de choc ; certains en larmes.

Outre son caractère manifestement discriminatoire, cette pratique n’est même pas à toute épreuve. Les membres de la famille Habib, qui viennent d’Alep, et leurs cousins de Yarmouk devraient être autorisés à passer. Ils ont fui la Syrie il y a 10 jours, ont traversé la Turquie, puis ont rejoint l’île grecque de Chios en bateau. Là, la police les a recensés en tant que Palestiniens, alors que ce sont des réfugiés palestiniens enregistrés qui vivent en Syrie. Incapables de lire les papiers qui leur ont été remis, les Habib ne pouvaient pas savoir.

La police des frontières ne les laisse pas passer. Incrédules, ils rebroussent alors chemin. Ils nous montrent les documents, enregistrés sur leurs smartphones, qui témoignent de leur statut de réfugié. Nous les conduisons auprès du HCR qui, parfois, aide les Syriens palestiniens à entrer en Macédoine. Cette fois-ci cependant, les Habib se voient conseiller de retourner à Athènes pour que leurs papiers soient modifiés. Comme eux, de nombreux autres Syriens palestiniens sont refoulés chaque semaine.

Les réfugiés autorisés à franchir la frontière sont conduits au centre d’accueil de Guevgueliya, où ils sont enregistrés pour pouvoir voyager en Macédoine. Durant les deux heures seulement où nous avons observé la procédure d’enregistrement, nous avons constaté que 50 autres personnes avaient dû quitter Guevgueliya et avaient été renvoyées de force en Grèce.

Il est possible que les gardes-frontières se soient trompés, ou que ces personnes soient en possession de faux papiers d’identité, mais le fait est que la plupart sont désespérées à l’idée d’être renvoyées. Une famille iranienne (les parents et leurs quatre enfants, portant tous des sacs à dos) franchit sans comprendre le point de passage. Quelques minutes plus tard, 12 hommes et une famille avec trois enfants sont poussés brutalement d’un camion militaire. Alors qu’ils franchissent le point de passage, la tristesse exprimée sur leur visage indique manifestement que certains ont déjà tenté l’expérience. Pour M. (qui vient de Libye), en revanche, c’est la première fois. Il a peur et raconte : « J’ai dit que j’étais de Libye, je leur ai expliqué qu’il y avait une guerre dans mon pays et que je souhaitais demander l’asile, mais ils m’ont dit de partir. Personne ne m’avait parlé de ça. »

Côté grec, au camp d’Idomeni, les gens attendent dans l’espoir de voir la frontière s’ouvrir. Un chrétien d’Iran, qui habitait près de Chiraz, remonte l’une de ses manches et nous montre la croix tatouée à l’intérieur de son poignet. Il nous explique qu’il s’est enfui après une descente des autorités dans les logements où lui et d’autres chrétiens se recueillaient. « Vous pouvez voir sur Internet ce que les Nations unies disent au sujet des convictions religieuses en Iran, mais maintenant ils disent que nous venons chercher un emploi »,déclare-t-il. Une Iranienne explique que son époux est en prison dans son pays et qu’elle ne trouve pas d’avocat pour l’en faire sortir. Un autre Iranien raconte qu’il est parti après avoir été arrêté, interrogé – et frappé – par la police.

Un ancien enseignant ajoute : « Il n’y a ni laïcité, ni libéralisme. Je ne suis même pas libre de donner la main à ma petite amie. Tous les pays de l’UE critiquent l’Iran mais, quand nous arrivons ici, c’est notre problème. »

Certains tentent de trouver un autre moyen de pénétrer sur le sol macédonien. Deux hommes d’Afrique du Nord racontent leur histoire : « Nous étions 10 à décider de franchir la frontière. Nous avons quitté le camp vers 5 heures du matin, nous avons marché pendant cinq heures, puis nous avons passé la clôture. Cinq minutes plus tard, nous avons entendu des coups de feu et nous nous sommes jetés au sol. Nous avions vraiment peur, nous pensions que les Macédoniens allaient nous tuer. Ils ont réussi à attraper cinq d’entre nous : nous les avons vu se faire frapper et recevoir des coups de pied avant d’être emmenés dans des véhicules militaires. Nous n’avons pas été vus, nous sommes donc revenus ici. »

Le 9 décembre, la police grecque a évacué le camp d’Idomeni, rapatriant tous ses occupants par bus à Athènes. Cependant, la plupart des migrants et des réfugiés qui n’ont pas la « bonne » nationalité ne sont pas prêts à abandonner. Dès le lendemain, nombre d’entre eux avaient de nouveau quitté la capitale grecque, dans l’intention de se rendre illégalement en Macédoine. Beaucoup y parviendront, mais d’autres seront de nouveau refoulés, souvent violemment, par la police macédonienne.

Nombre des personnes avec qui nous avons parlé semblent toujours dans l’incertitude. Nous avons eu des nouvelles de la famille Habib et de M. de Libye après leur transfert en bus vers Athènes : ils n’ont pas reçu l’aide qui leur avait été promise.

Tous les États conservent le contrôle de leurs frontières mais, au regard du droit international, il est illégal de refouler des réfugiés et des demandeurs d’asile sur la base de leur nationalité, et sans que leur soit offerte la possibilité de voir leur situation individuelle analysée. Le commissaire européen Dimitris Avramopoulos a insisté sur ce point lors du Forum ministériel de l’UE et des Balkans occidentaux organisé à Sarajevo.

La route des Balkans occidentaux n’est plus sûre, et ce verrouillage des frontières aggrave encore la situation. Si l’UE n’encourage pas la Macédoine et les États des Balkans à mettre fin à leur politique discriminatoire, nombre des milliers de réfugiés qui arrivent chaque jour des îles grecques n’auront d’autre choix que d’emprunter les itinéraires dangereux, illégaux et coûteux proposés par les passeurs.

Par Sian Jones, chercheuse sur les Balkans d’Amnesty International

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