Les autorités tunisiennes doivent abandonner les accusations d’atteinte à la pudeur portées contre une femme qui a été citée à comparaître mercredi 26 septembre, a déclaré Amnesty International. Elle avait porté plainte pour viol contre des policiers au début du mois. La jeune femme et son fiancé, qui préfèrent garder l’anonymat, encourent une peine de six mois de prison pour « comportement intentionnellement indécent ». Ils sont en effet accusés – par ces mêmes policiers qui sont inculpés d’avoir violé la jeune femme – de s’être trouvés dans une « position immorale » sur la voie publique, dans la capitale Tunis. Le couple nie les charges retenues à leur encontre. Leur procès doit reprendre le 2 octobre. « Au mieux, inculper la victime d’un viol commis par des policiers au lieu de la protéger contre l’intimidation et les préjugés témoigne des immenses lacunes de la loi et de la justice pénale tunisiennes. Au pire, il s’agit d’une manœuvre pernicieuse visant à jeter le discrédit sur une victime de viol et à protéger ceux qu’elle montre du doigt, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International. « Le viol commis par les forces de sécurité, bien souvent utilisé comme outil de répression, constitue une forme de torture et doit faire l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête approfondie et, lorsqu’il existe suffisamment d’éléments recevables, donner lieu à des poursuites. » Il a été établi par les organes régionaux et internationaux de défense des droits humains que le viol commis par des représentants de l’État constituait toujours un acte de torture. Aux termes du droit tunisien, le viol est considéré comme un crime grave qui emporte une peine sévère. Les modifications apportées au Code pénal tunisien en 2011 ont permis de faire mieux coïncider la définition de la torture avec celle inscrite dans le droit international, et les sanctions peuvent aller jusqu’à la réclusion à perpétuité. Les avocats de la jeune femme ont expliqué à Amnesty International que les trois policiers l’ont abordée alors qu’elle se trouvait avec son fiancé dans une voiture, dans la capitale Tunis, dans la nuit du 3 septembre. Elle a plus tard porté plainte, accusant deux des policiers de l’avoir violée dans le véhicule, tandis que le troisième accompagnait son fiancé jusqu’à un distributeur de billets tout proche, en vue de lui extorquer de l’argent. Après avoir été arrêtés et inculpés de viol et d’extorsion, les policiers ont affirmé que le couple se trouvait dans une « position immorale » à l’intérieur du véhicule lorsqu’ils sont intervenus – allégation plus tard reprise dans une déclaration du ministère tunisien de l’Intérieur. « Plutôt que de s’efforcer de déstabiliser et d’humilier cette femme, victime d’un crime grave, les autorités tunisiennes doivent faire clairement savoir que la torture et les mauvais traitements, y compris le viol et le harcèlement sexuel, ne seront plus tolérés et que les auteurs présumés de ces agissements seront déférés à la justice, a estimé Hassiba Hadj Sahraoui. « Nous craignons que le traitement réservé à la jeune femme ne dissuade d’autres victimes d’atteintes sexuelles de porter plainte, par peur d’être traitées comme des accusées et non comme des victimes. » Le nouveau gouvernement tunisien a récemment rejeté la recommandation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, énoncée lors de l’Examen périodique universel sur la Tunisie, l’invitant à abolir la discrimination qui continue de sévir à l’égard des femmes en droit et dans la pratique. Dans le nouveau projet de Constitution, une formulation ambiguë désigne les femmes comme des « partenaires » ayant un rôle complémentaire surtout au sein de la famille, ce qui entre en contradiction avec d’autres termes relatifs à l’égalité des genres. Depuis un an et demi, les autorités tunisiennes ont également placé au même niveau les chefs d’accusation d’« immoralité publique » et de « trouble à l’ordre public » invoqués contre les journalistes et les militants des droits humains en vue de restreindre la liberté d’expression.