Sous la chape de silence – Le monde sinistre de disparitions forcées

Luxembourg, 29 août 2012. Depuis plus d’un an on est sans nouvelles d’Abd al Akram al Sakka, un imam âgé de 67 ans apparemment victime d’une disparition forcée – un crime au regard du droit international. Malgré les appels désespérés lancés par sa famille, les autorités syriennes n’ont donné aucune indication sur le lieu où il se trouve ni sur ses conditions de détention.
En fait, elles [les autorités syriennes] n’ont jamais reconnu qu’il avait été arrêté. La seule chose dont ses proches sont sûrs, c’est que le 15 juillet 2011 une vingtaine de membres du service du renseignement de l’armée de l’air syrienne sont arrivés à son domicile à Daraya, dans la banlieue de Damas, et l’ont emmené. Son gendre, Haytham Al Hamwi – qui vit actuellement en exil – a récemment parlé à Amnesty International de l’angoisse dans laquelle vit sa famille et du fait qu’ils n’ont aucune information sur la disparition d’Abd al Akram al Sakka. « Quand une personne disparaît, cela signifie que vous ne savez rien sur elle, et même si on vous dit quelque chose vous vous demandez toujours si cette information est vraie », a dit Haytham Al Hamwi. En septembre dernier, les autorités syriennes ont aussi arrêté son père, Muhammad Yassin Al Hamwi, commerçant, et son frère Muhammad Muhammad Al Hamwi, dans des conditions s’apparentant à des disparitions forcées. Ils ont été détenus au secret pendant respectivement cinq et six mois avant d’être remis en liberté au début de cette année. Pendant ce temps, leur famille ne savait pas s’ils étaient morts ou vivants. Ils n’ont été inculpés d’aucune infraction ; il semblerait qu’ils aient été arrêtés pour avoir pris part à des mouvements de protestation antigouvernementaux. Muhammad Yassin Al Hamwi a de nouveau disparu en mai 2012. C’est la troisième fois qu’il est détenu depuis le commencement du soulèvement, début 2011. Les proches de ces hommes n’ont jamais été informés officiellement de leur arrestation et de leur placement en détention, mais chaque fois qu’un de leurs codétenus était libéré il fournissait des détails sinistres sur la captivité. Cependant, ces informations n’étant pas toujours exactes ni fiables, elles ne faisaient qu’accroître les craintes et l’angoisse des familles. Comme Haytham Al Hamwi a aussi été prisonnier d’opinion dans une prison syrienne – il a été incarcéré pendant deux ans et demi après avoir participé à une manifestation pacifique en 2003 – il connaît bien le type de conditions auxquelles sont soumis son père et son frère disparus. La surpopulation carcérale et d’autres mauvaises conditions de détention peuvent être à l’origine de problèmes de santé actuels. Ainsi, Muhammad Yassin Al Hamwi a fait un infarctus l’an dernier, et Abd al-Akram al-Sakka souffrirait de problèmes intestinaux. La torture durant les interrogatoires est monnaie courante. « La période de détention la plus difficile est la première semaine, car ils torturent en général les gens durant la première semaine quand ils… les… soumettent à leurs interrogatoires », a affirmé Haytham Al Hamwi. Pendant des décennies, la disparition forcée a été la caractéristique du régime syrien. La pratique visait directement des milliers de militants et de dissidents et permettait, en même temps, de maintenir les familles dans le désespoir et la peur. « Depuis le début du soulèvement en Syrie, j’ai constaté une intensification spectaculaire du recours aux disparitions forcées par les autorités, qui veulent ainsi bâillonner l’opposition et semer la terreur auprès des amis et des parents des disparus, a commenté Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Mais l’utilisation de cette pratique dévastatrice – aussi bien en Syrie que dans d’autres pays et régions à travers le monde – remonte à plusieurs décennies. » Pour plus d’informations (en anglais) sur les disparitions en Syrie : http://amnesty.org/fr/node/33916 Disparitions forcées Une personne a « disparu » lorsqu’elle a été arrêtée, placée en détention ou enlevée par des agents de l’État ou par des personnes agissant en leur nom. Dès lors que les auteurs de l’enlèvement nient qu’elle est détenue ou refusent de dévoiler où elle se trouve, elle risque de subir de multiples violations de ses droits fondamentaux. Détenue sans protection de la loi, elle est souvent torturée et craint constamment pour sa vie, elle est privée de tous ses droits et se trouve à la merci de ses ravisseurs. Il s’agit d’une violation continue de ses droits, qui persiste souvent plusieurs années après l’enlèvement et qui laisse des séquelles physiques et psychologiques durables. Très souvent, les victimes de disparition forcée ne sont jamais libérées et on ne sait pas ce qu’elles sont devenues. Leur famille et leurs amis ne découvrent parfois jamais ce qui leur est arrivé, ce qui ne fait qu’ajouter à leur souffrance. L’insécurité et la peur engendrées par les disparitions forcées ne touchent pas seulement les victimes directes et leurs proches, mais la société dans son ensemble. Un fléau mondial Des disparitions forcées ont encore lieu dans de nombreux pays à travers le monde. Bien qu’il s’agisse d’un crime aux termes du droit international, il arrive trop souvent que les responsables présumés ne soient jamais traduits en justice. S’efforçant de mettre fin à cette pratique, les Nations unies ont adopté en décembre 2006 la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ce traité vise à prévenir les disparitions forcées et, lorsque de tels crimes sont commis, à faire émerger la vérité et à garantir que les responsables seront sanctionnés et que les victimes et leur famille recevront réparation. Le 30 août 2011, les Nations unies ont célébré la première Journée internationale des victimes de disparition forcée, qui braque les projecteurs sur cette pratique, toujours utilisée, et sur ses nombreuses victimes dans le monde. Amnesty International a rassemblé des informations sur des cas de disparition dans tous les continents et travaille actuellement sur cette question en Algérie, dans les Amériques et les Balkans, en Indonésie, en Libye, au Mali, en Mauritanie, au Pakistan, en Russie et au Sri Lanka, entre autres pays et régions. « Nous demandons aux gouvernements du monde entier de dénoncer les disparitions forcées et d’adhérer à la Convention internationale afin de faire cesser cette pratique. Justice doit être faite une fois pour toutes aux milliers de personnes disparues et à leurs familles », a déclaré Marek Marczyński, responsable du programme Justice internationale à Amnesty International. Vous pouvez consulter ici la galerie de photos sur la thématique (se trouve en bas de page) : https://www.amnesty.org/en/news/kep…