Russie. Les autorités de Moscou dispersent des réunions pacifiques et ne protègent pas ceux qui y participent contre la violence des contre-manifestants

Les autorités russes continuent d’utiliser la législation restrictive qui régit les rassemblements de rue dans le pays pour priver de manière arbitraire la population russe de son droit à la liberté de réunion, et pour sanctionner des manifestants pacifiques. En outre, elles ne font rien pour protéger ces derniers contre les violentes attaques des contre-manifestants.

Le 7 août 2013, un groupe se faisant appeler l’Église pastafarienne russe du monstre en spaghetti volant a officiellement informé les autorités locales, comme l’exige la loi russe « relative aux assemblées, réunions, manifestations, rassemblements et piquets de grève », de son intention d’organiser une « procession des pâtes » dans la rue Arbat, célèbre rue piétonne du centre de Moscou. Selon les organisateurs, leur but était d’attirer l’attention sur la diversité des convictions religieuses dans le pays et d’exprimer leur soutien et leur solidarité à l’égard de ce groupe qu’ils ont récemment découvert.

Cependant, dans une notification officielle du 9 août, les autorités ont refusé d’autoriser les organisateurs à mener à bien leur projet car, selon leurs dires, les rassemblements publics sous la forme de « processions des pâtes » n’étaient pas prévus par la loi. Les autorités ont également avancé que l’événement pourrait bloquer la voie piétonne et gêner l’accès des résidents locaux à leur domicile. Par ailleurs, ils n’ont suggéré aucun autre lieu ni aucun autre horaire pour l’événement proposé, comme l’exige la loi.

Le 17 août 2013, plusieurs dizaines de membres du groupe se sont rassemblés dans un autre lieu du centre de Moscou. Ils portaient des costumes de pirates, des tricornes ou des passoires sur la tête, et tenaient des pâtes dans les mains. Selon l’un des organisateurs de l’événement interrogé par Amnesty International, il s’agissait d’un rassemblement pacifique et apolitique. Les participants ne portaient aucune affiche, n’ont fait aucune annonce publique et n’ont pas troublé l’ordre public, adopté de comportements ou mené des activités non pacifiques, enfreint les règles de circulation ou provoqué toute autre type de perturbation. Ces affirmations sont corroborées par la séquence vidéo de l’événement, qui se trouve facilement sur Internet.

Pourtant, peu de temps après la formation du groupe, des hommes agressifs, qui se sont présentés comme des militants orthodoxes, se sont approchés. Ils ont perturbé le rassemblement des pastafariens en affirmant que cet événement était une insulte à l’Église orthodoxe russe. Ils ont amené deux fonctionnaires de police avec eux. Les policiers ont interrogé le chef de file des pastafariens et ont d’abord refusé d’empêcher leur réunion pacifique. Les contre-manifestants auraient alors téléphoné à d’autres agents de police, qui sont rapidement arrivés sur les lieux et ont commencé à arrêter des pastafariens.

Selon le chef de file des pastafariens et la séquence vidéo de l’événement, les fonctionnaires de police n’ont pas expliqué les raisons pour lesquelles ils ont dispersé le rassemblement et arrêté certains des participants. Au même moment, les contre-manifestants ont commencé à lancer du ketchup sur les pastafariens, à asséner des coups de poing à plusieurs d’entre eux et à leur faire subir d’autres agressions. Les policiers ne sont pas intervenus. Ils ont ignoré les appels à l’aide des pastafariens, n’ont pas fait cesser les violences, et ont au contraire arrêté plusieurs victimes de ces agressions.

En tout, huit pastafariens ont été arrêtés puis libérés le jour même. Ils doivent maintenant être jugés pour répondre de l’infraction administrative d’organisation de rassemblement de rue non autorisé ou de participation à un tel événement. Cette infraction est lourdement sanctionnée par des peines pouvant aller jusqu’à 30 000 roubles d’amende. Le procès doit avoir lieu les 27 et 28 août 2013. Conformément à la loi susmentionnée, s’ils sont déclarés coupables, les organisateurs du rassemblement pastafarien du 17 août auront l’interdiction d’organiser d’autres événements publics.

Amnesty International s’inquiète de la position de plus en plus restrictive des autorités russes vis-à-vis de la liberté de réunion et d’expression. Ce dernier incident, au cours duquel des personnes pacifiques ont été privées de l’exercice de ces droits, fait suite à une série d’arrestations de manifestants pacifiques à Moscou et dans le reste de la Russie pendant l’année qui vient de s’écouler. Amnesty International a recensé de nombreux cas similaires dans son rapport Liberté menacée. Mesures de répression sur les libertés d’expression, de réunion et d’association en Russie .

Aux termes de la loi fédérale évoquée ci-dessus, les organisateurs de manifestations doivent informer à l’avance les autorités locales des actions de rue prévues, afin de garantir leur sécurité et l’ordre public. Les autorités locales sont tenues d’accuser réception de ces informations, et elles ont le pouvoir de faire une « proposition étayée » en réponse, afin de modifier le lieu et l’horaire de l’action. Les notifications des organisations LGBT, des groupes d’opposition et des autres mouvements sociaux critiques à l’égard des autorités qui souhaitent organiser des manifestations sont régulièrement rejetées de manière arbitraire. Lorsque ces groupes organisent des rassemblements de rue à la suite de ces refus ou de façon spontanée, même si les participants sont peu nombreux et si ces événements sont de nature pacifique, ils sont habituellement perturbés par les autorités au motif qu’ils sont « non autorisés », et que leurs organisateurs font l’objet de sanctions administratives.

Amnesty International a déjà exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations au sujet des dernières modifications de la loi fédérale « relative aux assemblées, réunions, manifestations, rassemblements et piquets de grève », qui sont entrées en vigueur le 9 juin 2012. Ces amendements prévoient entre autres des peines beaucoup plus lourdes pour les rassemblements de rue non autorisés, et donnent également une définition plus large des actes qui peuvent constituer des infractions administratives au cours de ce type d’événement.

Amnesty International s’inquiète également du fait que, lors de ce dernier incident et d’autres événements similaires dans le passé, les autorités russes n’ont pas protégé les manifestants pacifiques contre les violentes attaques des contre-manifestants.

Amnesty International appelle une nouvelle fois les autorités russes à mettre leur législation nationale relative aux rassemblements de rue et leurs pratiques en conformité avec leurs obligations internationales en matière de droits humains.