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Pologne. La nouvelle réglementation des armes à feu risque d’affaiblir l’état de droit

À la veille de la deuxième lecture en Pologne le 11 juillet de la proposition de modification de la réglementation des armes à feu, qui dépénaliserait l’usage de ces armes par les militaires, les gardes-frontières et les policiers dans un grand nombre de cas, Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Europe à Amnesty International, a déclaré :

« Cette proposition crée un dangereux précédent pour la réglementation de l’usage et des potentielles utilisations abusives des armes à feu en Pologne. Elle doit être rejetée. Aux termes du droit international et des normes connexes, le recours à la force contre des personnes doit être strictement nécessaire et proportionné à la menace posée, et l’usage des armes à feu est interdit à moins qu’il n’existe une menace imminente de mort ou de blessure grave. Toute initiative des autorités polonaises pour mettre en cause ces principes serait illégale. »

Selon les mesures proposées, les représentants des autorités portant des armes seraient exonérés de toute responsabilité pénale s’ils les utilisent pour se défendre ou « à titre préventif » quand « la vie, la santé et la liberté » d’agents des forces de l’ordre sont menacées au cours d’une « attaque illégale de l’inviolabilité des frontières nationales ».

Cette proposition est une réponse au placement en détention de trois soldats polonais qui, après avoir tiré à balles réelles sur des personnes qui franchissaient la frontière avec le Bélarus, ont été accusés d’avoir outrepassé leurs fonctions et mis en danger la vie d’autrui.

Le 13 juin, le gouvernement polonais a par ailleurs décidé de rétablir une zone d’exclusion sur certains tronçons de la frontière bélarussienne. Cette zone couvre plus de 60 km de frontière, sur une largeur atteignant 2 km par endroits. Les médias et les organisations de défense des droits humains ont l’interdiction d’y entrer. Cette mesure a été instaurée pour une durée de 90 jours.

« Les situations dans lesquelles des gardes-frontières seraient exonérés de responsabilité pénale sont extrêmement étendues et définies en termes vagues. La notion de légitime défense “à titre préventif” n’est pas conforme au droit international et aux normes connexes en matière de recours à la force et laisse la porte ouverte à toutes sortes de pratiques abusives.

« Le rétablissement de la zone d’exclusion accroît le risque de crise humanitaire car non seulement ces mesures privent des personnes de l’accès à une aide humanitaire et une assistance médicale vitales, mais elles permettent en outre aux autorités d’échapper à l’attention du public.

La proposition de nouvelle réglementation des armes à feu et la “zone d’exclusion” menacent de créer physiquement et juridiquement une zone grise à l’abri du regard vigilant des médias et de la société civile, où les soldats et les gardes-frontières pourraient agir en toute impunité.

« Les autorités polonaises tentent de présenter ces mesures comme une nécessité pour protéger les frontières de la Pologne et de l’UE d’une supposée “instrumentalisation” des personnes réfugiées et migrantes par le Bélarus et la Russie, mais elles mettent à mal le droit international et les normes connexes et exposent à des risques supplémentaires les personnes fuyant des conflits et des persécutions qui sont exploitées par les gouvernements de ces pays. C’est très inquiétant pour l’avenir de l’état de droit en Pologne et en Europe.

« Alors qu’elle se prépare à prendre prochainement la présidence du Conseil de l’UE, la Pologne doit rejeter ces modifications réglementaires, mettre fin aux zones d’exclusion et s’attacher à respecter le droit international et européen qui protège le droit d’asile, sans exception », a déclaré Dinushika Dissanayake.

Complément d’information

Le 26 juin, la proposition de loi relative aux activités des forces armées, de la police et des gardes-frontières en cas de menace pour la sécurité de l’État a été présentée en première lecture au Parlement polonais. La deuxième lecture de ce texte aura lieu le 11 juillet.

Le rétablissement de la « zone d’exclusion » a été décidé en réaction à l’augmentation du nombre de tentatives d’entrée sur le territoire polonais depuis le Bélarus et à la suite de faits ayant abouti à la mort d’un garde-frontière. D’après les autorités polonaises, les pays d’origine les plus courants des personnes franchissant la frontière sont l’Afghanistan, le Bélarus, la Géorgie, l’Inde, la Russie, la Turquie, la Syrie et l’Ouzbékistan.

Aux termes des nouvelles mesures, le gouvernement peut continuer de renforcer le contrôle des frontières en déployant des militaires et des policiers antiémeutes équipés d’armes à feu, de boucliers et de gaz lacrymogène. Des mesures similaires ont été mises en place et prolongées à plusieurs reprises en 2021, avant d’être finalement supprimées en 2022.

Le 25 juin, Amnesty International et quatre autres organisations de la société civile ont appelé les ministres de l’Union européenne à surveiller de près les évolutions en Pologne après la clôture prématurée de la procédure visée à l’article 7-1 du Traité sur l’Union européenne.