Les populations du delta du Niger n’ont que rarement accès aux informations les plus élémentaires concernant l’impact de l’industrie pétrolière sur leurs vies. Ce manque d’information engendre peur et insécurité au sein de ces populations et, sur le fond, aggrave la situation des droits humains. Le delta du Niger constitue un exemple frappant du manque de responsabilité d’un gouvernement envers son peuple, et d’entreprises multinationales n’ayant pratiquement aucun compte à rendre quand leurs activités portent atteinte aux droits humains. Les déversements d’hydrocarbures, les torchères de gaz, les rejets de déchets et les autres dégâts écologiques provoqués par l’industrie pétrolière ont des conséquences néfastes pour ces populations. Presque toutes les communautés qu’a rencontrées Amnesty International ont expliqué que les criques, les étangs ou les rivières ont été touchés par les déversements d’hydrocarbures ou d’autres pollutions liées au pétrole, et souvent à plusieurs reprises, ce qui a suscité leur colère. Les populations doivent utiliser une eau polluée pour boire, cuisiner et se laver. Elles consomment du poisson contenant des hydrocarbures et d’autres toxines (lorsqu’elles ont la chance de trouver du poisson), et les terres qu’elles utilisent pour l’agriculture sont détruites. Après les déversements de pétrole, elles inhalent des vapeurs d’hydrocarbures, du gaz et d’autres polluants. Les gens se plaignent de problèmes respiratoires et de lésions cutanées et pourtant, ni le gouvernement ni les compagnies pétrolières ne cherchent à contrôler les conséquences humaines de la pollution par les hydrocarbures. Ces conséquences restent d’ailleurs largement sous-estimées. La majorité de la population du delta du Niger dépend en effet de l’environnement naturel pour sa nourriture et ses moyens de subsistance, notamment par l’agriculture et la pêche. Le gouvernement nigérian connaît les risques qu’implique cette pollution pour
les droits humains, mais il n’a pris aucune mesure pour protéger ces droits. Il manque à son obligation de respecter et de protéger les droits des personnes, notamment le droit à la nourriture, à l’eau, à la santé et aux moyens de subsistance. Malgré l’ampleur de la pollution de la terre et de l’eau dans le delta – et les plaintes nombreuses des personnes qui vivent dans la région, Amnesty n’a pu recueillir pratiquement aucune donnée gouvernementale relative aux conséquences humaines de la pollution. Non seulement le gouvernement nigérian manque à son devoir de protéger les citoyens contre les atteintes aux droits humains imputables aux entreprises, mais il a aussi confié aux compagnies pétrolières la mission de remédier à ces atteintes, alors que ces compagnies en sont précisément responsables. De ce fait, les recours sont souvent inefficaces. « La plupart des éléments concernant ces dégâts mettent en cause Shell, la principale compagnie pétrolière opérant dans le delta du Niger »- explique Chiara Trombetta, directrice d’Amnesty Luxembourg. « Ce n’est pas parce que le gouvernement ne protège pas les droits de sa population que les entreprises sont exonérées de toute responsabilité. Les compagnies pétrolières telles que Shell ne peuvent pas ignorer les conséquences de leurs actions simplement parce que le gouvernement ne parvient pas à leur faire rendre des comptes. La règle, en l’occurrence, ce n’est pas le ‘ pas vu, pas pris ’ – il existe des normes internationales concernant l’industrie pétrolière et ses conséquences sociales et environnementales. Les compagnies opérant dans le delta du Niger les connaissent très bien. »
Malgré ses déclarations publiques où elle affirme avoir un comportement responsable en matière de société et d’environnement, Shell continue de nuire directement aux droits humains par son incapacité à prévenir et à atténuer la pollution et la dégradation de l’environnement dans le delta du Niger. Par ailleurs, Shell et d’autres entreprises n’exercent pas une surveillance adéquate de l’impact humain résultant de l’exploitation pétrolière, pas plus qu’elles ne rendent publiques des informations à ce sujet. Les populations du delta du Niger – y compris celles qui sont les « hôtes » des compagnies pétrolières – n’ont que rarement accès aux informations les plus élémentaires concernant l’impact de l’industrie pétrolière sur leurs vies. Ce manque d’information engendre peur et insécurité au sein de ces populations, attise des conflits et, fondamentalement, aggrave la situation des droits humains. La recherche d’Amnesty a également montré que les processus de nettoyage du delta du Niger ne sont pas conformes aux bonnes pratiques telles que les experts les conçoivent. Certaines compagnies emploient notamment un personnel non qualifié pour le nettoyage, ce qui aggrave encore la contamination des terres et de l’eau. Certaines communautés et des groupes armés ont également contribué au problème de la pollution, en vandalisant les infrastructures pétrolières ou en volant du pétrole. Mais l’ampleur du problème est encore méconnue. Le gouvernement nigérian veut désespérément mettre un terme au conflit dans le delta du Niger, mais la pauvreté et les conflits qui affectent le delta ne seront pas résolus tant que les causes sous-jacentes – notamment des décennies de dégâts environnementaux – et l’impunité pour les atteintes aux droits humains et à l’écosystème n’auront pas été traitées. Le gouvernement nigérian devra en outre manifester une réelle volonté politique et prendre les mesures qui s’imposent face aux compagnies pétrolières responsables d’atteintes massives aux droits humains.