Myanmar/Bangladesh. Les réfugiés rohingyas ne doivent pas être renvoyés de force dans leur pays où ils sont soumis à des violences et à la discrimination

La communauté internationale doit contribuer à ce qu’aucun réfugié rohingya ne soit renvoyé de force au Myanmar tant que ces réfugiés risquent d’y subir de graves violations des droits humains en raison de la campagne de nettoyage ethnique menée par l’armée, a déclaré Amnesty International le 4 octobre.

Les gouvernements du Bangladesh et du Myanmar ont annoncé cette semaine qu’ils ont mis en place un groupe de travail pour discuter du renvoi des réfugiés rohingyas dans leur pays. En un peu plus d’un mois, plus de 500 000 femmes, hommes et enfants rohingyas se sont enfuis pour échapper à l’opération menée par l’armée dans l’État d’Arakan.

« Si les discussions engagées par le Myanmar et le Bangladesh concernant la possibilité de garantir pour les Rohingyas un retour en toute sécurité sont un élément positif, ce retour doit être volontaire, il ne doit pas s’agir d’initiatives hâtives et irresponsables visant à repousser des personnes chez elles contre leur volonté. Aucune personne ne doit être contrainte à retourner là où elle continuerait d’être exposée à de graves violations des droits humains et à une discrimination et une ségrégation systématiques, a déclaré Audrey Gaughran, directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.

« La campagne menée par l’armée du Myanmar contre les Rohingyas dans l’État d’Arakan constitue un ensemble de crimes contre l’humanité. La condition préalable à toute opération de rapatriement doit être la fin inconditionnelle des violences. Mais cela ne suffit pas : le gouvernement du Myanmar doit aussi mettre fin à la discrimination profondément enracinée qui depuis des décennies entretient l’engrenage de privations et d’abus dans lequel sont pris les Rohingyas. »

Le 2 octobre, à Dacca, le ministre bangladais des Affaires étrangères, A H Mahmood Ali, a déclaré que le Myanmar avait « montré de l’intérêt » pour le retour des réfugiés rohingyas, à la suite de discussions entre des représentants des deux pays. Les détails de cette proposition n’ont pas encore été rendus publics, et l’on ignore si elle concerne uniquement les récentes vagues de réfugiés ou aussi ceux qui vivent au Bangladesh depuis des décennies.

Dans les années 1990 et au début des années 2000, des dizaines de milliers de réfugiés rohingyas ont été renvoyés du Bangladesh vers le Myanmar dans le cadre d’une vaste opération de rapatriement, avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ceux qui ont été renvoyés au Myanmar continuent d’être soumis à une discrimination systématique soutenue par l’État, et de subir des vagues de violences dans l’État d’Arakan.

À l’époque, des organisations de défense des droits, y compris Amnesty International, se sont dites gravement préoccupées par le fait que des personnes étaient renvoyées dans leur pays contre leur gré après une consultation minimale, et que des organismes internationaux, y compris l’ONU, avaient été écartés durant ce processus.

Le renvoi forcé de réfugiés viole le principe de non-refoulement : le droit international et le droit coutumier interdisent absolument le renvoi de personnes sur un territoire où elles risquent d’être tuées ou soumises à d’autres graves violations des droits humains. Pour qu’un processus de retour puisse être véritablement volontaire, il faut également que les Rohingyas se voient proposer d’autres possibilités que le retour, notamment la possibilité de solliciter une protection internationale.

« Les réfugiés rohingyas doivent pouvoir retourner chez eux de leur plein gré, en toute sécurité et dans le respect de leur dignité. Le gouvernement du Myanmar doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour reconstruire les localités et les villages détruits par les combats, et mettre fin à la discrimination et à la ségrégation à l’égard des Rohingyas qui sont à l’origine de cette crise », a déclaré Audrey Gaughran.

Les autorités du Myanmar avaient précédemment indiqué que tout réfugié retournant dans le pays devait être « vérifié », et pouvait être tenu de fournir la preuve de sa citoyenneté ou de sa résidence au Myanmar.

« Les autorités du Myanmar privent depuis des années les Rohingya de la citoyenneté et d’autres moyens de prouver leur identité. On ne peut raisonnablement s’attendre à ce que des personnes qui s’enfuient pour sauver leur vie détiennent les papiers requis pour un processus de "vérification", a déclaré Audrey Gaughran.

« Il est en outre réellement nécessaire que tout processus de rapatriement soit surveillé par des instances internationales et l’ONU. Le Bangladesh a fait preuve d’une générosité exceptionnelle en ouvrant ses frontières et en accueillant des centaines de milliers de personnes désespérées ayant fui leur pays au cours du mois qui vient de s’écouler. La communauté internationale doit faire davantage pour aider Dacca à faire face à la crise actuelle et à ses conséquences. »

Ces dernières semaines, des représentants du gouvernement bangladais ont également évoqué publiquement la nécessité d’établir des « zones sûres » au Myanmar. De telles « zones sûres » n’ont toutefois pas toujours fait leur preuve quand elles ont été établies lors d’autres conflits. Ainsi, que ce soit en Bosnie-Herzégovine en 1993 ou au Sri Lanka en 2009, les « zones sûres » n’ont pas permis d’empêcher des massacres et d’autres atteintes aux droits humains infligées à des personnes qui fuyaient les violences.

« Les appels en faveur de zones sûres, aussi bien intentionnés soient-ils, doivent être traités avec la plus grande prudence. L’histoire montre que de telles zones peuvent non seulement faciliter des violations contre les déplacés, mais aussi empêcher ceux qui s’enfuient de se mettre en sécurité. Dans l’État d’Arakan, de telles zones pourraient également accentuer davantage encore l’isolement et la ségrégation des Rohingyas », a déclaré Audrey Gaughran.

L’annonce faite début septembre par les autorités du Myanmar de leur intention d’établir des camps de déplacés et des zones d’installation dans le nord de l’État d’Arakan est également préoccupante.

Les camps de déplacés établis au Myanmar principalement pour les Rohingyas à la suite des vagues de violence de 2012 n’ont été guère mieux que des prisons en plein air, où des femmes, des hommes et des enfants vivaient dans des conditions déplorables, le gouvernement restreignant en outre l’accès des organisations humanitaires à ces camps. Ils ont consolidé l’isolement de dizaines de milliers de Rohingyas, les coupant davantage encore du reste du monde.

« La communauté internationale doit faire clairement savoir qu’elle ne permettra pas que se reproduise ce qui s’est passé en 2012. Les donateurs doivent établir des limites fermes et indiquer clairement qu’ils ne financeront pas les propositions de "solution" aboutissant à des renvois forcés depuis le Bangladesh, ou au déplacement et à la poursuite de la ségrégation des Rohingyas. Faute de cela, ils soutiendront la poursuite des violations des droits humains, et la communauté internationale s’en rendra complice », a déclaré Audrey Gaughran.