Monde. Une carte interactive dévoile les violences cautionnées par les États contre les manifestant·e·s de par le monde

Dans le monde entier, les autorités recourent de plus en plus à un usage illégal de la force et à des lois répressives pour écraser les manifestations, a déclaré Amnesty International le 19 septembre 2023, à l’occasion du lancement de sa carte numérique interactive, qui met en évidence l’augmentation choquante de la répression des États visant les manifestant·e·s dans le monde.

Cette carte mondiale, qui s’inscrit dans la campagne phare d’Amnesty International Protégeons les manifs, retrace les nombreuses violations des droits humains perpétrées contre des manifestant·e·s de par le monde. Elle montre que les gouvernements traitent les manifestations comme une menace et non un droit, et que les forces de l’ordre considèrent que leur rôle consiste à réprimer et maîtriser les manifestant·e·s, et non à faciliter l’exercice de leurs droits. Ainsi, des milliers de personnes sont dispersées, arrêtées, frappées, voire tuées en toute illégalité lors des manifestations. Elles en subissent également les conséquences par la suite, uniquement pour avoir participé aux rassemblements.

« Manifester pacifiquement est un droit, et non un privilège, que les États doivent respecter, protéger et faciliter. Cependant, ce droit est de plus en plus menacé : les autorités ont recouru à la force illégale dans plus de 85 pays. Recours abusif à la force, arrestations et détentions arbitraires, torture et mauvais traitements, disparitions forcées et homicides cautionnés par l’État : cette carte met en lumière la dure répression qui s’abat sur les manifestant·e·s dans le monde entier – et cela fait froid dans le dos, a déclaré Patrick Wilcken, chercheur au sein de l’équipe Armée, sécurité et maintien de l’ordre à Amnesty International.

« Depuis trop longtemps, les autorités dans le monde mènent une offensive foudroyante contre ceux qui exercent pacifiquement leur droit de manifester, détruisant ainsi des vies. En Iran, les autorités ont tué illégalement des centaines de personnes et placé en détention arbitraire des dizaines de milliers d’autres, dont des mineur·e·s, dans le but d’écraser les vagues successives de contestation au niveau national. De très nombreux manifestant·e·s ont subi pendant leur détention des actes de torture et mauvais traitements, dont des violences sexuelles, y compris ceux qui ont été condamnés à mort à l’issue de parodies de procès manifestement iniques et exécutés de manière arbitraire. En Chine, il est impossible de manifester pacifiquement sans être harcelé et poursuivi en justice, et une cohorte de militant·e·s se retrouvent derrière les barreaux parce qu’ils se sont exprimés. La liste des militant·e·s – et des pays – menacés ne cesse de s’allonger. Cette répression doit cesser dès à présent. »

La carte numérique interactive, la première de ce type, révèle que de nombreux pays utilisent abusivement les armes à létalité réduite (comme le gaz lacrymogène, les balles en caoutchouc, le gaz poivre ou les matraques) pour harceler, intimider, punir ou repousser les manifestant·e·s, portant préjudice à leur droit de réunion pacifique.

« Bien qu’elles soient très fréquemment utilisées de manière abusive, leur production, leur commerce et leur usage n’est pas réglementé au niveau international – et c’est choquant, a déclaré Patrick Wilcken.

Cette carte met en lumière la nécessité d’élaborer un traité mondial pour réglementer le commerce du matériel de maintien de l’ordre, de sorte que des armes à létalité réduite ne se retrouvent pas aux mains de forces de police qui commettent des violations. 

Patrick Wilcken

Cette carte indique les pays où les manifestant·e·s sont victimes d’abus et le type de menaces auxquelles ils sont confrontés. Elle détaille également la législation en vigueur concernant les manifestations, les publications pertinentes des Nations unies et les arrêts des cours internationales de justice, et explique comment les gens peuvent agir. Mise à jour en temps réel, elle dépeint un tableau effrayant de la réalité quotidienne des manifestant·e·s de par le monde.

Beaucoup s’accordent à reconnaître que le droit de manifester a été fortement restreint durant la pandémie de COVID-19, les manifestations dans la plupart des pays étant interdites pour des motifs de santé publique. Certains États se sont servis de la pandémie comme prétexte pour limiter davantage encore les rassemblements ou adopter des restrictions disproportionnées.

Selon l’Initiative pour la mesure des droits humains, de nombreux pays ont lutté pour rebondir, ce qui ressort également dans son dispositif annuel de suivi des droits (« Rights Tracker »). Par exemple, l’Angola a une note de 3,4 sur 10 concernant le droit de réunion et d’association dans le Rights Tracker de 2023.

Elizabeth Campos, militante du Mouvement pour les femmes en politique en Angola, témoigne de la réalité au sujet des manifestations dans son pays.

Lorsque nous participons à des manifestations, nous frôlons toujours la mort. Nous partons, mais ne sommes jamais sûrs de rentrer dans nos familles. C’est un pays où la démocratie n’existe que sur le papier. Les manifestations peuvent devenir très violentes, donc chaque fois que je retourne auprès de mes filles et de mes petits-fils, je célèbre ce simple fait. Nous subissons continuellement la violence institutionnelle dans mon pays.

Elizabeth, militante en Angola

Selon les recherches d’Amnesty International, des éléments fiables indiquent qu’en 2022 les forces étatiques ont eu recours à une force illégale contre des manifestant·e·s pacifiques dans au moins 86 des 156 pays présentés dans son Rapport annuel 2022/23. Dans 37 pays, les forces de sécurité ont utilisé des armes meurtrières contre des manifestant·e·s, lors même que les armes à feu ne sont pas adaptées pour contrôler les foules et que la police ne doit jamais s’en servir pour disperser un rassemblement.

En Inde, les forces de l’ordre ont répondu à ceux qui manifestaient contre le gouvernement avec des fusils, des gaz lacrymogènes et des matraques, mais aussi en coupant Internet et en procédant à des expulsions forcées. En Chine, ceux qui osent protester risquent de perdre leur droit à l’éducation et au logement. Récemment, au Pérou, 49 personnes sont mortes lors des manifestations du fait de l’usage illégal de la force meurtrière par les forces de sécurité. Au niveau mondial, les recherches d’Amnesty International révèlent que les manifestant·e·s sont arrêtés de manière arbitraire dans plus de 50 % des pays couverts dans son rapport annuel.

« Cette carte mondiale dépeint clairement l’ampleur généralisée de la répression et des restrictions auxquelles se heurtent les manifestant·e·s de par le monde. Une litanie de graves violations des droits humains est commise lors du maintien de l’ordre dans les manifestations à travers le monde, ce qui est très préoccupant, a déclaré Patrick Wilcken.

« Placer ces violations sur une carte permet de visualiser et de suivre l’ampleur du problème au niveau mondial. Mais aussi de pointer du doigt les gouvernements qui ne protègent pas le droit de manifester et d’amener les autorités responsables à rendre des comptes pour les abus choquants perpétrés dans le cadre de leurs actions de répression des manifestations. Amnesty International demande aux gouvernements de modifier d’urgence leur approche, de mettre un terme à ces violence abjectes et de veiller à protéger et faciliter les manifestations pacifiques. »

Complément d’information

  • La campagne d’Amnesty International Protect the protest a pour objectifs de dénoncer les attaques contre les manifestations pacifiques, de défendre les personnes visées et de soutenir les causes portées par les mouvements sociaux en faveur de changements dans le domaine des droits humains. Agissez dès maintenant.
  • L’Initiative pour la mesure des droits humains suit la progression des droits humains dans chaque pays, produisant des données utiles dont chacun peut se servir pour améliorer la manière dont les gouvernements traitent les populations. C’est une organisation indépendante à but non lucratif.
  • En janvier 2023, plus de 30 organisations de la société civile se sont rapprochées afin de réclamer la création d’un traité international contre le commerce des instruments de torture utilisés afin de réprimer les manifestant·e·s et de brutaliser des détenu·e·s dans le monde entier.