L’horreur en Ukraine : des attaques menées sans discrimination provoquent un carnage dans la population civile

Une chercheuse d’Amnesty International sur le terrain dans l’est de l’Ukraine a recueilli des preuves terribles montrant que des civils ont été tués et blessés ces derniers jours par les deux camps du conflit sanglant qui fait rage dans les villes de Donestk et de Debaltseve.

Ces preuves ont été recueillies sur place juste après des bombardements, notamment auprès de témoins oculaires et de blessés hospitalisés.

Parmi les violations commises, citons une attaque qui a touché une file d’attente pour de l’aide humanitaire, une autre sur une place de marché à Donestk, et des bombardements aveugles de rues et d’habitations à Debaltseve.

«Ces preuves révèlent l’horreur du carnage qui frappe les civils, tués ou blessés parce que les deux camps utilisent des roquettes et des obus de mortiers non guidés dans des zones densément peuplées. Ces attaques sont une violation du droit international humanitaire et pourraient constituer des crimes de guerre», a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

La population civile a payé un lourd tribut à la récente intensification des combats survenue dans plusieurs zones de l’est de l’Ukraine, notamment à Donetsk, tenue par les rebelles, et à Debaltseve, sous le contrôle du gouvernement. Depuis le 29 janvier 2015, plus de 25 civils ont été tués dans cette partie du pays.

Des atrocités à Donetsk

Six civils ont trouvé la mort le 30 janvier 2015 à Donetsk quand un tir de mortier a touché des habitants qui faisaient la queue pour de l’aide humanitaire. Cinq ont été tués sur le coup et un est mort à l’hôpital des suites de ses blessures ; de nombreux autres ont été blessés.

Un témoin a dit à Amnesty International que l’explosion était survenue sans avertissement. Quelque 200 personnes s’étaient rassemblées à un point de distribution pour recevoir une aide alimentaire. La violence de l’explosion a disloqué les corps de certaines victimes, et des morceaux de chair humaine ont été projetés en l’air, jusqu’en haut d’un lampadaire situé à une quinzaine de mètres de là.

Une chercheuse d’Amnesty International s’est rendue sur place et a interrogé deux civils souffrant de graves blessures.

Valentina Tsygankova, une veuve de 82 ans, a été grièvement blessée par l’explosion. Elle a été projetée à terre et a reçu des éclats dans le dos et la main droite. Veuve avec une très maigre retraite, elle travaillait comme balayeuse de rue et avait pris un congé pour aller chercher l’aide alimentaire dont elle avait désespérément besoin.

Sergueï Maïdan, 42 ans, a perdu beaucoup de sang à la suite de l’attaque. Des éclats l’ont touché au visage, lui cassant presque la moitié des dents, et au bras gauche. «Heureusement, j’étais sorti de la file, sinon je serai mort», a-t-il déclaré à Amnesty International.

L’équipe de surveillance de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui s’est rendue sur place peu après l’attaque, a indiqué que l’explosion provenait très probablement d’une grenade d’artillerie de 122 mm, tirée depuis le nord-ouest – en d’autres termes, depuis la zone tenue par les forces gouvernementales ukrainiennes.

Deux personnes ont été tuées et sept autres blessées le 29 janvier, vers 8 h 45, dans une autre attaque sur laquelle Amnesty International a enquêté, qui a touché le marché d’Aquilon, dans le quartier de Kouibychevski, à Donetsk. Sergueï Fiodorov, 38 ans, grièvement blessé dans cette attaque, a indiqué qu’il y avait eu deux explosions.

Il a raconté à Amnesty International : «Après la première explosion, qui a eu lieu plus bas dans la rue, j’ai entendu des gens crier « blessés ! ». J’ai couru les aider et j’ai été touché par la deuxième explosion. J’ai été projeté à terre, je sentais du sang couler de ma joue.» Sergueï Fiodorov a été blessé au visage, à la main gauche et à la cuisse gauche.

Amnesty International a aussi rencontré deux femmes de 64 et 77 ans qui ont été grièvement blessées lorsque leurs maisons ont été touchées par des explosions le 30 janvier. Ces deux femmes, qui habitent respectivement dans les quartiers de Kouibychevski et de Leninski, étaient chez elles quand les attaques ont eu lieu, dans la soirée.

«Une boule de feu est entrée par la fenêtre», a raconté la femme de 77 ans. «J’ai eu le bras droit cassé et la main broyée. » Une chercheuse d’Amnesty International s’est rendue à son domicile le lendemain ; elle a constaté que les voisins avaient bouché toutes les fenêtres brisées avec du contreplaqué.

Des civils piégés sous les tirs d’artillerie à Debaltseve

Des milliers de civils sont piégés à Debaltseve, nœud ferroviaire stratégique et bastion des forces ukrainiennes, sous les bombardements permanents des séparatistes pro-russes qui tentent de prendre le contrôle de la ville. Cette ville a connu des bombardements particulièrement intenses ces deux dernières semaines.

D’après des sources sur le terrain, la population est passée de 25 000 à environ 7 000 habitants. Les forces ukrainiennes affirment avoir évacué plus de 2 000 personnes depuis le 28 janvier et 269 personnes le 1er février. Lors de l’évacuation d’un groupe de 26 personnes, huit ont été blessées, dont cinq civils et deux membres des services de secours.

La seule route pour sortir de la ville étant bombardée en permanence, il est encore plus dangereux pour les habitants restants de s’enfuir. L’un des deux ponts a été délibérément détruit à l’explosif, semble-t-il par des séparatistes infiltrés, et le pont provisoire de fortune qui a été installé ralentit le passage, exposant les gens à un plus grand danger.

«Tous ceux qui tenteront de quitter la poche [de Debaltseve] après les deux ou trois prochaines heures subiront nos tirs d’artillerie», a déclaré le dirigeant séparatiste Alexandre Zakhartchenko dans une interview à la télévision d’État russe depuis Vouhlehirsk, une ville voisine tombée aux mains des séparatistes pro-russes la semaine dernière.

Selon le chef régional de la police, 12 civils ont été tués le 31 janvier par des tirs de roquettes aveugles à Debaltseve, et sept autres ont été mortellement touchés par différents tirs d’artillerie le 1er février.

Cette situation n’est pas sans rappeler celle constatée par Amnesty International à Debaltseve en septembre 2014, période à laquelle des habitants avaient été tués chez eux par des roquettes tirées au hasard ou avaient été touchés dans la rue alors qu’ils allaient s’approvisionner en eau ou en nourriture.

Des dizaines de personnes sont toujours piégées dans la gare de la ville, où elles ont trouvé refuge dans un abri souterrain mais n’ont plus d’eau courante ni d’électricité depuis deux semaines.

Une situation humanitaire catastrophique et peu d’espoir de paix

Les violences aggravent la situation humanitaire déjà désastreuse dans la région. De nombreux habitants des zones visées passent les nuits dans leur sous-sol ou dans des abris souterrains ad hoc surpeuplés, cherchant à se protéger un minimum des bombardements et des tirs de roquettes incessants. Certains n’ont pas accès aux services de base, tels que l’eau courante, et il n’y a pas assez de nourriture ni de médicaments ou autres fournitures médicales.

Selon les estimations des Nations unies, plus de 5 100 personnes ont été tuées et au moins 900 000 autres déplacées depuis le début du conflit dans l’est de l’Ukraine en avril 2014. Les combats actuels constituent la pire recrudescence de la violence depuis la signature d’un fragile cessez-le-feu il y a cinq mois.

Parallèlement, une tentative de réouverture des négociations de paix au Bélarus voisin semble avoir échoué, les principaux dirigeants séparatistes ne s’étant pas présentés et les négociateurs des deux camps s’accusant mutuellement.

«L’absence d’efforts élémentaires pour protéger les civils dans l’est de l’Ukraine est choquante. Les deux parties au conflit doivent cesser de toute urgence de tirer depuis des zones civiles et de bombarder ces zones sans discrimination, et la communauté internationale doit accroître ses pressions en ce sens sur les belligérants», a déclaré John Dalhuisen.  

Une chercheuse d’Amnesty International sur le terrain a recueilli des preuves terribles du conflit dans l’est de l’Ukraine (vidéo en anglais):