Alors que des températures glaciales s’abattent sur l’Europe, Todor Gardos, d’Amnesty International, est allé à la rencontre de réfugiés à Belgrade.
Dans un recoin d’un entrepôt désaffecté de Belgrade, Ahmed, 11 ans, se blottit autour d’un petit feu avec quatre autres garçons. Ils font cuire des patates, maigre repas qui sera sans doute le seul de la journée. Dehors, la ville est recouverte d’un manteau de neige.
Malgré le soleil du matin qui ruisselle à travers les fenêtres sans vitres, dessinant des rayons translucides dans l’air empli de fumée, la température extérieure est de – 10° C. À l’intérieur, il ne fait guère plus chaud.
Les garçons, tous originaires de Jalalabad, en Afghanistan, alimentent le feu avec tout ce qui leur tombe sous la main, y compris du plastique. Le feu produit une fumée âcre qui pique les yeux et brûle la gorge.
Ils sont installés dans cet entrepôt situé derrière la gare centrale de Belgrade depuis plus de deux mois. Les garçons m’expliquent que les services chargés des demandeurs d’asile et les services sociaux serbes ne leur ont fourni aucun soutien, hébergement ni protection. En effet, en novembre 2016, le gouvernement a publié des lettres ouvertes demandant aux ONG et aux bénévoles de cesser d’apporter de l’aide aux réfugiés et migrants dans la capitale. Sur les quelque 1 200 réfugiés et migrants répartis à travers la ville, au moins un quart sont des mineurs non accompagnés. Ils n’ont pas accès à des installations sanitaires, à de l’eau courante, à des soins médicaux, à des vêtements chauds – ou si peu.
Malgré l’appel lancé par le gouvernement, un petit groupe de bénévoles défie la police et se rend dans les entrepôts et les camps de fortune disséminés dans la capitale. Ils tentent de fournir un repas par jour aux adultes, qui forment de longues files d’attente dans la neige. Le centre pour les familles voisin offre des repas supplémentaires pour les enfants. Médecins Sans Frontières passe prendre soin de ceux qui présentent des blessures et a soigné des personnes pour des gelures, des infections cutanées et des maladies respiratoires.
Le gouvernement assure que s’il a demandé aux ONG de ne pas aider les réfugiés et les migrants, c’est pour les inciter à se rendre dans les camps officiels. Mais ces affirmations sont mensongères. Il n’y a pas assez de place dans les camps officiels. Un garçon me raconte qu’il a été plusieurs fois renvoyé des centres pour demandeurs d’asile : " Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de place. J’ai tenté ma chance à Belgrade, Šid, Adaševci. Puis je suis allé au poste de police, mais ils ne pouvaient pas m’aider. Je n’imaginais pas que ce serait aussi difficile. Cette situation m’épuise, physiquement et mentalement. "
Lorsqu’il devient évident qu’ils ne sont pas les bienvenus en Serbie, nombre de réfugiés tentent de partir ailleurs. Ceux que j’ai rencontrés m’ont narré des expériences terribles avec les garde-frontières dans les États limitrophes de l’UE. La Hongrie renvoie illégalement ceux qui tentent de traverser ses clôtures et les garde-frontières croates les imitent de plus en plus. Mohammed, 13 ans, originaire de Kaboul, me raconte que cela lui est arrivé à sept reprises à la frontière croate. Ses amis ont été renvoyés depuis la Hongrie. En Bulgarie, pays par lequel la plupart de ces personnes transitent, les réfugiés meurent de froid.
Alors que ces États membres de l’UE ont fermé leurs frontières, ces réfugiés sont bloqués là, pris au piège du froid extrême qui s’abat sur une grande partie du continent.
Et l’accueil de la Serbie est plutôt glacial lui aussi. En 2016, le gouvernement a fixé une limite au nombre de demandeurs d’asile auquel il acceptait de fournir un hébergement en même temps. Il n’a mis que 6 000 lits à disposition, malgré le grand nombre de réfugiés et de migrants qui se trouvent dans le pays.
Les représentants du gouvernement affirment que les réfugiés choisissent d’être sans abri et refusent d’aller dans les centres d’accueil. Pourtant, les réfugiés et les demandeurs d’asile décrivent une toute autre réalité, expliquant que les places ne sont pas en nombre suffisant pour les accueillir. Ils sont pris au piège d’une lutte quotidienne déshumanisante en quête de chaleur et de nourriture.
Ces derniers jours, les médias du monde entier ayant largement parlé du froid extrême, le gouvernement serbe a annoncé la réouverture d’un centre d’accueil temporaire près d’Obrenovac où seront transférées environ 250 personnes. Il a également autorisé le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et d’autres organisations à accroître leur aide. Mais cela ne suffit pas.
En ces temps incertains, le changement de saison est une donnée stable, mais l’hiver semble avoir pris par surprise les autorités serbes et les gouvernements européens lorsqu’il s’agit de la question des réfugiés. À Belgrade et sur tout le continent européen, les enfants comme Ahmed sont littéralement abandonnés dans le froid.