Les réfugiés et les migrants qui tentent d’atteindre l’Union européenne (UE) via la Grèce depuis des pays déchirés par la guerre comme la Syrie et l’Afghanistan sont renvoyés illégalement en Turquie par les garde-côtes et garde-frontières grecs, révèle Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public mardi 9 juillet 2013.
Ce document d’une quarantaine de pages, intitulé Frontier Europe: Human Rights Abuses on Greece’s border with Turkey, dénonce le fait que les autorités grecques recourent aux renvois, pratique dangereuse qui consiste à repousser des groupes de migrants de l’autre côté de la frontière, les privant du droit de voir leur cas individuel examiné ou de contester leur expulsion.
Ce rapport met aussi en exergue les dangers auxquels sont confrontés les réfugiés et les migrants lorsqu’ils tentent de faire la traversée depuis la Turquie jusqu’aux îles grecques, et évoque les conditions déplorables dans lesquelles sont trop souvent détenus ceux qui y parviennent.
Depuis le mois de mars, Amnesty International s’est entretenue avec une trentaine de personnes en Grèce et en Turquie qui, dans pas moins de 39 épisodes distincts, ont été interceptées alors qu’elles tentaient de franchir la frontière entre les deux pays en traversant la mer Égée ou le fleuve Evros, dans le nord du pays.
La plupart de ces personnes ont raconté avoir été victimes ou témoins de violences ou de mauvais traitements infligés par les autorités grecques. Beaucoup ont expliqué que les garde-frontières avaient confisqué leurs affaires, y compris leur argent, leurs photos et leurs objets de famille, et les avaient dans certains cas jetés à la mer.
« Ce qui se passe le long de la frontière grecque ne couvre pas de honte la Grèce uniquement. Cela déshonore l’Union européenne dans son ensemble, a souligné Jezerca Tigani, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
« Le nombre d’histoires de renvois que nous avons recueillies est extrêmement préoccupant. Il donne à penser que les autorités grecques recourent régulièrement à cette pratique, bien qu’elle soit illégale. En outre, elle est extrêmement dangereuse, au point qu’elle met la vie des migrants sérieusement en péril. »
Les témoignages recueillis par Amnesty International révèlent que les garde-côtes grecs font preuve d’un mépris flagrant pour la vie humaine lors de ces opérations menées en mer Égée. Sur 14 personnes interrogées par l’organisation qui avaient été renvoyées en Turquie, 13 ont raconté que leur bateau pneumatique avait été heurté, perforé à coups de couteaux ou presque chaviré alors qu’il était remorqué ou bloqué par un bateau des garde-côtes grecs. Les moteurs de leurs embarcations ont été mis hors service et leurs rames enlevées, puis ils ont tout simplement été abandonnés en pleine mer. Ce genre de pratiques mettant la vie en danger a également été signalée par des personnes interceptées alors qu’elles traversaient le fleuve Evros.
L’itinéraire qui passe par la mer Égée est de plus en plus emprunté depuis 2012, depuis que les autorités ont construit un mur de 10,5 kilomètres de long et déployé près de 2 000 nouveaux gardes le long de la frontière qui borde le fleuve Evros. Toutefois, ce passage est périlleux. Ceux qui s’y risquent peuvent être repoussés par les autorités. En outre, depuis août 2012, plus de 100 personnes – dont des femmes et des enfants et pour la plupart des Syriens et des Afghans – se sont noyées en tentant d’atteindre la Grèce.
« Tandis que le temps s’améliore et que les conflits en Syrie, en Afghanistan, en Irak et en Somalie se poursuivent, nous nous attendons à voir un nombre accru de personnes se risquer à faire le voyage, et à voir se répéter de nouvelles tragédies », a indiqué Jezerca Tigani.
Ceux qui parviennent en Grèce sont généralement placés en détention dans des cellules sombres et sales, souvent pendant de longues périodes. Nombre de personnes avec qui Amnesty International s’est entretenue avaient passé près de neuf mois derrière les barreaux. Les problèmes de santé sont monnaie courante.
« Les conditions de détention des réfugiés et des migrants sont bien souvent affligeantes. En fait, lorsque nous leur avons rendu visite dans ces cellules, nous avions bien du mal à croire que nous étions toujours en Europe. Nombre d’entre eux fuient la guerre, la pauvreté et la faim, pour se retrouver trop souvent dans des cellules sombres, sales et humides, avec un accès limité à l’air frais et une nourriture insuffisante, s’est indignée Jezerca Tigani.
« Certains détenus nous ont dit qu’ils devaient appeler les policiers à chaque fois qu’ils avaient besoin d’aller aux toilettes, car il n’y en avait pas dans leur cellule. Leurs appels restant bien souvent sans réponse pendant des heures, ils étaient contraints d’uriner dans des bouteilles. D’autres ont raconté que leurs draps n’avaient pas été lavés depuis des mois et qu’ils n’avaient droit à du shampooing, du savon ou des serviettes hygiéniques qu’en quantité très limitée. »
Amnesty International appelle les autorités grecques à mettre immédiatement un terme aux renvois, à enquêter sur les allégations d’expulsions collectives et de mauvais traitements, et à engager des poursuites contre les auteurs présumés. Toutes les personnes interceptées alors qu’elles tentent de franchir la frontière doivent voir leur demande de protection internationale examinée de manière équitable. Les autorités grecques doivent mettre un terme à la détention sans discrimination et prolongée de migrants et de demandeurs d’asile en situation irrégulière et proposer des alternatives au placement en détention.
L’UE a également un rôle à jouer. Elle doit apporter son soutien à la Grèce, en contribuant à améliorer les services d’accueil, au lieu de boucler les frontières. L’UE doit aussi explorer de nouveaux moyens de partager les responsabilités s’agissant des réfugiés et des migrants.
« De toute évidence, la Grèce a le droit de contrôler ses frontières, mais pas au détriment des droits fondamentaux de ceux qui recherchent la sécurité ou une vie meilleure en Europe. Les temps sont durs en Grèce, tout comme pour des millions de personnes à travers l’Europe, mais ce n’est pas une excuse pour traiter les réfugiés et les migrants de cette manière, a poursuivi Jezerca Tigani.
« Les autres États membres de l’UE semblent trop heureux que la Grèce fasse office de gardienne. Mais les politiques et les pratiques mises en œuvre le long de la frontière grecque font ressortir la cruelle ironie d’une situation où les pays européens font pression pour que la paix règne à l’étranger, tout en refusant l’asile et tout en mettant en danger la vie de ceux qui cherchent à se réfugier en Europe. L’UE doit maintenant passer à l’action et faire cesser les violations des droits humains commises à ses frontières ».