L’Égypte poursuit sur sa lancée avec une loi visant à mettre au pas les organisations non gouvernementales

La nouvelle loi sur les organisations non gouvernementales (ONG) en Égypte, actuellement examinée par le Conseil consultatif, la chambre haute du Parlement égyptien, porterait un coup fatal à la société civile indépendante dans le pays, a déclaré Amnesty International.

En l’adoptant sous sa forme actuelle, les autorités égyptiennes jouiraient de vastes pouvoirs s’agissant de l’enregistrement, des activités et du financement des groupes de la société civile. La loi porterait également création d’un Comité de coordination, susceptible d’englober des représentants des services de sécurité et de renseignements.

Les personnes déclarées coupables d’avoir enfreint la loi seraient passibles de lourdes amendes et de possibles peines de prison.

Le président Mohamed Morsi a annoncé le 29 mai qu’il allait soumettre le texte de loi au Conseil consultatif, la chambre haute du Parlement égyptien. La chambre basse étant toujours dissoute, et dans l’attente du scrutin qui permettra d’en élire une nouvelle, le Conseil est habilité à promulguer de nouvelles lois.

« Si elles l’adoptent sous sa forme actuelle, les autorités égyptiennes ne feront qu’admettre que peu de choses ont changé depuis le régime de Hosni Moubarak, lorsque le gouvernement imposait des restrictions aux organisations indépendantes de défense des droits humains dans le but de les empêcher de dénoncer les violations, a indiqué Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Adopter une loi comme celle-ci dans un pays qui réprime de longue date le travail des organisations de défense des droits humains serait terriblement dangereux. Si l’Égypte est réellement déterminée à tirer un trait sur son passé récent, les autorités doivent abandonner ce texte et favoriser un environnement dans lequel les ONG pourront protéger et promouvoir les droits fondamentaux. »

La dernière version du projet de loi, rendue publique le 18 mai, ignore grossièrement les préoccupations et les recommandations formulées par les organisations de défense des droits humains nationales et internationales, dont Amnesty International, et par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), qui demandaient que le texte s’aligne sur les normes internationales.

Aux termes du projet de loi, tout organisme souhaitant s’enregistrer officiellement doit en informer le ministère des Assurances et des Affaires sociales, autorisé à soulever des objections. Cette procédure, qui s’apparente à une autorisation préalable, bafoue les normes internationales.

D’après l’article 13, une ONG qui sollicite des fonds étrangers doit en informer le Comité de coordination récemment mis sur pied, habilité à approuver ou rejeter la requête. Aux termes de la loi actuelle, il est fréquent que les autorités refusent ou retardent le financement d’organisations de défense des droits humains, dans le but de restreindre leurs activités.

La loi précise également que les ONG doivent fournir chaque année des copies de leurs comptes et des rapports sur leurs programmes et leurs sources de financement, au Syndicat régional (que la loi définit comme un syndicat « bénévole » créé par les ONG) et au ministère des Assurances et des Affaires sociales. Le ministère peut alors s’opposer à toute décision d’une organisation et porter l’affaire devant une cour de justice.

En vertu de l’article 16, une personne, une association ou un organisme peut être autorisé à examiner le bilan des activités de l’organisation, après avoir déposé une requête auprès du ministère des Assurances et des Affaires sociales ou du Syndicat régional. Dans la pratique, cela risque fort de permettre aux services de sécurité de contrôler le travail des organisations de défense des droits humains et de s’y ingérer.

Le projet de loi est particulièrement draconien s’agissant de l’enregistrement et des activités des ONG internationales, et peut dans la pratique empêcher celles qui critiquent le bilan du pays en termes de droits humains de mener à bien leur travail en Égypte. La loi confèrerait aux autorités le pouvoir de limiter l’enregistrement, le financement et les activités des ONG qui dénoncent les atteintes aux droits humains ou défendent les victimes.

Depuis la « révolution du 25 janvier » en 2011, les autorités égyptiennes exercent une répression contre la société civile indépendante, dont font partie les organisations de défense des droits humains. Plusieurs ONG qui se sont enregistrées auprès du ministère des Assurances et des Affaires sociales, notamment celles qui défendent les droits des femmes, ont expliqué à Amnesty International qu’elles attendent parfois depuis 16 mois le feu vert pour obtenir des financements.

En juillet 2011, le gouvernement égyptien a ouvert une enquête sur les ONG ayant reçu des financements étrangers, ce qui a donné lieu à une vague sans précédent de descentes dans les locaux des organisations égyptiennes et internationales de la société civile en décembre 2011.

À la suite de ces raids, 43 employés d’ONG internationales ont été jugés pour avoir fonctionné sans être enregistrés et avoir obtenu des fonds provenant de l’étranger sans autorisation. Le jugement doit être rendu le 4 juin.

La répression s’est poursuivie sous la présidence de Mohamed Morsi, qui a pris ses fonctions en juin 2012.

En 2013, l’Organisation égyptienne des droits humains a reçu une lettre du gouvernement l’avertissant qu’elle n’était pas autorisée à entrer en contact avec des « entités internationales » sans avoir obtenu la permission des forces de sécurité.

« Il est sidérant, étant donné les énormes défis économiques, politiques et sociaux auxquels est confrontée l’Égypte aujourd’hui, que les nouvelles autorités accordent la priorité à l’adoption d’une loi draconienne sur les ONG qui rappelle la rhétorique et les stratégies en vigueur sous l’ère Moubarak pour les museler, a commenté Hassiba Hadj Sahraoui.

« L’on assiste semble-t-il à une manœuvre visant à faire des ONG les boucs émissaires afin de détourner l’attention du piètre bilan du gouvernement. »

Les organisations indépendantes de la société civile en Égypte jouent un rôle crucial dans la lutte contre les violations des droits humains et l’aide aux victimes.