Le Parlement européen vote en faveur de l’arrêt de la commercialisation des outils de torture, mais les États membres suivront-ils ?

L’adoption du rapport du Parlement européen du 27 octobre sur le Règlement concernant le commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants règlement anti-torture ») de l’Union européenne (UE) est un pas important pour combler les failles de la prévention de la torture et des mauvais traitements en Europe, ont déclaré les organisations Amnesty International et Omega Research Foundation à la suite du vote en séance pléniaire. Cependant, si les États membres de l’UE ne mettent pas en place de solides mesures pour renforcer la proposition de la Commission européenne, les entreprises basées dans l’Union européenne pourront continuer à commercialiser et vendre une gamme d’équipements de sécurité pouvant être utilisés pour la torture et les mauvais traitements, et à en tirer profit.

« En soutenant le rapport appelant à combler les failles du droit européen dans ce domaine, le Parlement européen a pris position contre le commerce sinistre des outils de torture. Cela pourrait enfin sonner le glas des entreprises tirant profit des outils et des technologies utilisés pour torturer et exécuter des personnes, a déclaré Iverna McGowan, directrice adjointe du Bureau européen d’Amnesty International. Cependant, sans soutien et actions de la part des États membres de l’UE, les entreprises pourront continuer à profiter de la misère humaine. »

L’UE dispose depuis 2006 du seul mécanisme régional au monde interdisant ou contrôlant le commerce d’équipements susceptibles d’être utilisés pour infliger la torture ou la peine capitale. Ceci inclut, par exemple, les produits pharmaceutiques utilisés lors des injections létales, les écrase-doigts et les matraques à pointes.

Amnesty International et Omega soutiennent ce règlement, mais elles ont mis en avant ses failles et ses limites, ainsi que l’inégalité de sa mise en œuvre dans les différents États membres de l’UE. Jusqu’à présent, ces lacunes ont permis aux entreprises de l’UE de continuer à tirer profit du commerce de la torture. Et ce, bien que la prohibition de la torture en vertu du droit international soit absolue et que la peine de mort soit totalement interdite au sein de l’UE. De plus, l’UE tout comme les États membres se sont engagés à combattre de telles pratiques dans le monde entier.

En janvier 2014, la Commission a présenté de nouvelles propositions pour renforcer le règlement, ce à quoi le Parlement a répondu mardi 27 octobre. Allant dans le sens des préoccupations soulevées par Amnesty International et Omega au sujet des failles présentes dans les propositions et soulignées dans le rapport commun de mai 2015 intitulé Grasping the nettle: Ending Europe’s trade in execution and torture technology, le Parlement a voté dans le sens d’un renforcement de la législation de l’UE en demandant :

  • l’interdiction de faire la publicité des équipements de torture prohibés. À ce jour, les entreprises de l’UE peuvent faire dans les foires et sur internet de la publicité pour des équipements prohibés ;
  • que le « courtage » soit couvert efficacement par le règlement. Actuellement, des entreprises de l’UE ou des particuliers peuvent conclure des accords de fourniture à des pays extérieurs à l’UE d’équipements de sécurité pouvant être utilisés comme instruments de torture, pour autant que ces accords soient conclus hors de l’UE et que le matériel ne touche pas le sol européen ;
  • un mécanisme ciblé permettant aux États de l’UE de suspendre immédiatement tout transfert spécifique de marchandises destinées à être utilisées pour la torture ou la peine de mort, et ce même si ces marchandises ne sont pas encore listées dans les annexes du règlement. Aujourd’hui, s’il devait y avoir un transfert imminent d’équipement non-listé manifestement destiné à être utilisé pour la torture ou la peine de mort, l’État membre n’aurait pas d’autre choix que d’autoriser le transfert à se poursuivre ou de risquer d’enfreindre le droit européen. Les modifications envisagées prévoient que les États membres ont la possibilité et la responsabilité de stopper un transfert d’équipement s’ils savent que cet équipement sera manifestement utilisé pour la torture ou la peine de mort, que l’équipement soit déjà listé ou non.

« Suivant la voie tracée par la société civile, le Parlement européen a envoyé un message fort aujourd’hui en s’attaquant aux incohérences de l’approche de l’UE en matière d’élimination de la torture. Si l’UE est décidée à prendre les devants dans la lutte pour éliminer la torture et abolir la peine de mort, il faut aussi que les États membres lui emboîtent le pas, a déclaré Michael Crowley de l’Omega Research Foundation. Si les États membres de l’UE et le Parlement européen ne s’emparent pas maintenant de ces questions, une occasion rare de renforcer le système de contrôle et de combler les failles pouvant être exploitées par des négociants peu scrupuleux sera perdue. »

Complément d’information

Avec l’entrée en vigueur en 2006 du règlement n° 1236/2005 du Conseil, l’UE s’est dotée d’une réglementation contraignante et sans précédent sur le commerce d’une gamme d’équipements souvent utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture et d’autres mauvais traitements (les « instruments de torture »), mais qui ne figurent généralement pas sur les listes de contrôle des exportations des États membres concernant les équipements militaires, stratégiques ou à double usage.

Amnesty International et Omega ont publié trois rapports sur cette question en 2007, 2010 et 2012. Ces documents ont mis en évidence des lacunes dans la réglementation de l’UE et des omissions dans les deux listes établies par l’UE des biens interdits et soumis au contrôle ayant permis au commerce des « instruments de torture » de se poursuivre.

Le travail de plaidoyer effectué au niveau de l’UE autour du rapport de 2010 a débouché sur la décision de la Commission européenne l’année suivante d’étoffer les deux listes afin d’y inclure d’autres équipements, par exemple les dispositifs à électrochoc destinés à être portés sur le corps, les matraques à pointes et certaines substances utilisées pour des injections létales. Toutefois, les experts ont estimé que cela restait insuffisant pour juguler ce commerce, et la Commission a entrepris une révision globale du règlement.

Le 16 juillet 2014, le règlement d’exécution n° 775/2014 de la Commission a étendu les listes des biens interdits et soumis au contrôle couverts par le règlement. Ceci constituait un premier pas important vers une restructuration de grande ampleur du règlement.

La Commission, le Conseil et le Parlement de l’UE sont à présent engagés dans une révision substantielle des mécanismes fonctionnels du règlement de 2005. En janvier 2014, la Commission a présenté des propositions au Conseil et au Parlement européens pour le renforcement du règlement. Dans le rapport du mardi 27 octobre 2015, le Parlement renforce de manière significative les propositions de la Commission et résout plusieurs faiblesses et failles majeures du règlement et du régime de contrôle correspondant.

Les États membres de l’UE étudient actuellement les propositions de la Commission, ainsi que les recommandations du Parlement. Lors du débat en plénière du 26 octobre 2015, la commissaire chargée du Commerce, Cecilia Malmstrom, a déclaré que la Commission était disposée à accepter un grand nombre des modifications proposées par le Parlement. Cependant, le Conseil (États membres) doit encore exprimer son soutien vis-à-vis de la position du Parlement.