Les autorités israéliennes doivent cesser leurs attaques contre les défenseurs palestiniens des droits humains et mettre un terme au climat d’intimidation contre les personnes qui défendent les droits humains en Israël et les territoires palestiniens occupés. Elles doivent prendre sans délai des mesures en vue de leur fournir la protection nécessaire pour que ces personnes puissent mener leurs activités librement et sans craindre d’être la cible d’attaques et de harcèlement. Les attaques et menaces dont ces personnes sont victimes doivent faire l’objet d’enquêtes et les responsables de ces agissements doivent être tenus de rendre compte de leurs actes.
L’escalade des actes d’intimidation du gouvernement ainsi que des attaques et menaces imputables aux colons et à d’autres acteurs non étatiques a créé un environnement de plus en plus dangereux pour les personnes qui défendent les droits humains en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Israël viole régulièrement les droits de la population palestinienne à la liberté d’expression et d’association dans les territoires palestiniens occupés, et prend pour cible les personnes qui défendent les droits humains, qui sont notamment victimes d’arrestations et de détentions arbitraires, d’incarcérations, de blessures et d’actes de torture. Par ailleurs, les autorités israéliennes ne les protègent pas contre les attaques des colons et d’autres militants d’extrême-droite et elles sont, dans certains cas, complices de ces faits. Israël a également pris des mesures pour restreindre la liberté d’expression à l’intérieur du pays, où des agents de l’État ont recours à des manœuvres d’intimidation visant des défenseurs des droits humains. Des initiatives législatives récentes visant, semble-t-il, à entraver la liberté d’expression vont de pair avec une désapprobation croissante de l’opinion publique envers les détracteurs du gouvernement israélien, et elles affectent de plus en plus les juifs israéliens qui critiquent le gouvernement et ses pratiques.
L’intimidation d’Omar Barghouti par le gouvernement israélien
Amnesty International est préoccupée par la sécurité et la liberté d’Omar Barghouti, défenseur palestinien des droits humains, ainsi que d’autres militants du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) à la suite d’appels évoquant des menaces, y compris de violences physiques et de privation des droits fondamentaux, proférées par des ministres israéliens au cours d’une conférence anti- BDS qui s’est tenue le 28 mars 2016 à Jérusalem. Omar Barghouti, cofondateur et porte-parole de BDS, fait campagne pour qu’Israël ait à rendre des comptes pour les violations des droits humains, entre autres violations du droit international, et il préconise le recours à des moyens non violents à cette fin. Il a été personnellement attaqué dans des commentaires et des déclarations faites par des participants à la conférence, dont des ministres, qui l’ont décrit comme une menace à éliminer.
Une déclaration particulièrement alarmante a été faite par Yisrael Katz, ministre des Transports, du Renseignement et de l’Énergie atomique, qui a appelé Israël à s’engager dans des « éliminations civiles ciblées » de chefs du BDS avec l’aide des services de renseignement israéliens. Cette expression évoque les « assassinats ciblés », un terme qui décrit la politique israélienne prenant pour cible les membres de groupes armés palestiniens. D’autres ministres, dont Gilad Erdan, ministre de la Sécurité publique, des Affaires stratégiques et de l’Information, ont qualifié de menaces les chefs et les militants du BDS et appelé à leur faire « payer le prix » de leur action avant d’expliquer que cela ne signifiait pas des « violences physiques ». Omar Barghouti a été attaqué par Arieh Deri, ministre de l’Intérieur, qui a déclaré envisager de lui retirer le statut de résident permanent en Israël et de le priver du droit de voyager librement. Omar Barghouti a dit à Amnesty International qu’il était très inquiet pour sa sécurité et celle de sa famille.
Les ministres et les autres responsables gouvernementaux doivent prendre en considération les conséquences négatives du fait de présenter comme des « menaces pour la sécurité » des défenseurs des droits humains ayant des activités pacifiques et légitimes. De telles déclarations publiques auront des répercussions fortes et dangereuses en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, tout particulièrement vu l’environnement de plus en plus dangereux dans lequel les personnes qui défendent les droits humains mènent leurs activités, en étant soumises aux menaces et aux attaques constantes de l’État, des colons et d’autres militants de l’extrême droite.
Ce n’est pas la première fois qu’Omar Barghouti est confronté à des menaces et à l’intimidation, mais ces déclarations sont les plus graves émanant de responsables gouvernementaux. Les ministres, qui sont tenus de protéger les droits humains, doivent éviter de faire en public des remarques incendiaires contre Omar Barghouti et d’autres défenseurs des droits humains. Ils doivent retirer la menace qui a été faite de restreindre arbitrairement sa liberté de mouvement et d’annuler son permis de résidence permanente en Israël.
Les menaces de mort contre Imad Abu Shamsiyeh
Le 24 février 2016, Imad Abu Shamsiyeh, un habitant palestinien de Tel Rumeida, à Hébron, a filmé l’exécution extrajudiciaire présumée d’Abed al Fatah al Sharif par un soldat israélien. La vidéo a été diffusée par l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, ce qui a entraîné l’arrestation du soldat, qui fait l’objet d’une enquête. B’Tselem a affirmé que depuis la diffusion de la vidéo Imad Abu Shamsiyeh recevait des menaces de mort proférées par des Israéliens vivant dans les colonies illégales voisines, et par par le biais d’appels téléphoniques et de messages. Des colons israéliens ont également jeté des pierres sur sa maison. Cet homme avait déjà été attaqué à maintes reprises par des colons israéliens vivant à proximité de son domicile, à titre de représailles parce qu’il recueillait des informations sur les atteintes aux droits humains. Le Palestine News Network a également signalé que des soldats israéliens avaient fait une descente au domicile d’Imad Abu Shamsiyeh dans la nuit du 29 mars, officiellement pour vérifier l’identité de défenseurs locaux et étrangers des droits humains qui vivaient chez lui à la suite des menaces. Les autorités israéliennes doivent déférer immédiatement à la justice les individus qui ont menacé et attaqué Imad Abu Shamsiyeh, et elles doivent le protéger contre d’autres attaques.
Menaces de mort contre le personnel d’Al Haq
Al Haq est l’une des ONG palestiniennes de défense des droits humains les plus éminentes et respectées. Ces derniers mois, elle a été la cible – ainsi que d’autres ONG palestiniennes- d’une campagne continue visant à porter atteinte à son travail au moyen d’appels téléphoniques et de courriels anonymes. En février et en mars 2016, un membre du personnel d’Al Haq ainsi que le directeur de l’ONG ont reçu des menaces de mort qui étaient directement liées à l’action de l’organisation auprès du Tribunal pénal international (TPI) de La Haye. Le droit d’Al Haq de travailler avec le TPI et de promouvoir l’obligation de rendre des comptes doit être respecté. Les autorités compétentes doivent mener une enquête débouchant sur la comparution en justice des individus qui ont proféré ces menaces graves.
L’arrestation et l’emprisonnement d’Issa Amro et de Farid al Atrash
Les autorités israéliennes ont arrêté de manière arbitraire Issa Amro et Farid al Atrash, défenseurs palestiniens des droits humains, à la suite d’une manifestation pacifique à Hébron le 26 février 2016 pour réclamer la levée des restrictions discriminatoires imposées dans la ville. Les deux hommes ont été inculpés par un tribunal militaire et remis en liberté par la suite. Amnesty International considère qu’ils ont été arrêtés et inculpés pour avoir simplement exercé leur droit de réunion pacifique et de liberté d’expression.
Des habitants palestiniens et des militants d’Hébron, en Cisjordanie occupée, avaient organisé une manifestation non violente le 26 février 2016 pour commémorer les 22 ans de la fermeture pour la première fois par les autorités israéliennes de la rue al Shuhada (rue des Martyrs) dans la Vieille ville, et réclamer la levée des restrictions discriminatoires. Les forces israéliennes ont réagi en utilisant une force excessive et ont tiré des grenades assourdissantes et lacrymogènes sur la foule. Farid al Atrash, avocat, a été arrêté ainsi qu’un photo-journaliste qui a été relâché au bout de quelques heures. Farid al Atrash a été traduit devant un tribunal militaire siégeant dans la base d’Ofer, non loin de Ramallah, et il a été inculpé de participation à une manifestation interdite et d’agression contre des militaires. Une vidéo de l’arrestation montre cet avocat qui se tenait pacifiquement face à des soldats quand il a été poussé et traîné puis arrêté violemment par des soldats israéliens. Remis en liberté sous caution le mardi 1er mars 2016, il attend la confirmation de la date de la première audience de son procès.
L’armée israélienne a arrêté le militant Issa Amro, dont le groupe Youth Against Settlements (YAS) avait organisé la manifestation, dans l’après-midi du 29 février 2016, devant son domicile dans le quartier de Tel Rumeida. Il a été inculpé par un tribunal militaire d’organisation d’une manifestation interdite et de provocation. Remis en liberté le 1er mars, il attend la confirmation de la date de son procès. Amnesty International estime qu’Issa Amro et Farid al Atrash ont été arrêtés pour avoir simplement exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et de réunion.
L’arrestation et l’emprisonnement de Khalida Jarrar
Khalida Jarrar, parlementaire palestinienne et défenseure des droits humains, a été condamnée, le 6 décembre 2015, à 15 mois d’emprisonnement à l’issue d’un procès inique devant un tribunal militaire, au cours duquel il est apparu que sa détention précédant le procès -y compris le recours à la détention administrative- avait servi à la punir et à exercer des pressions sur elle pour qu’elle accepte de plaider coupable. Elle a finalement plaidé coupable de deux des charges retenues contre elle, en estimant ne pas pouvoir être jugée équitablement. Ses avocats ont affirmé que les autorités n’avaient fourni aucun élément de preuve étayant leurs accusations. Amnesty International estime que la détention de Khalida Jarrar, la procédure menée contre elle et sa condamnation semblent constituer des mesures punitives visant à l’empêcher d’exercer son droit à la liberté d’expression pacifique.
L’intimidation de Breaking the Silence (Rompre le silence) par le gouvernement israélien
Breaking the Silence est une organisation israélienne établie par des soldats israéliens pour informer le public israélien sur les pratiques de l’armée dans les territoires palestiniens occupés, y compris celles qui sont abusives ou criminelles. Depuis décembre 2015, cette organisation fait l’objet d’une campagne gouvernementale concertée visant à nuire à ses activités. Le ministre de la Défense, Moshe Ya’alon, a interdit, le 14 décembre, à Breaking the Silence de s’entretenir avec des soldats israéliens. Cette mesure a été suivie, le 15 décembre, d’une interdiction du ministre de l’Éducation, Naftali Bennett, de parler à des lycéens. Les deux ministres ont affirmé que l’organisation répandait des « mensonges » contre l’armée, bien qu’aucune preuve de fabrication n’ait jamais été trouvée dans les témoignages qu’elle publie.
Le 16 décembre, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré à la Knesset que l’organisation « ternissait l’image des soldats des FDI [Forces de défense d’Israël] dans le monde entier en essayant de lier les mains d’Israël dans ses efforts pour se défendre ». Ces déclarations sont intervenues alors qu’une ONG pro-gouvernementale diffusait une vidéo affirmant que Yuli Novak, directeur de Breaking the Silence, était un agent de l’étranger qui travaillait pour aider des « terroristes ». (Un certain nombre d’autres responsables d’ONG israéliennes éminentes figuraient également dans la vidéo).
Le 17 mars 2016, un programme de la télévision israélienne a diffusé une vidéo dans laquelle on voyait des chercheurs de Breaking the Silence qui posaient des questions concernant le déploiement de l’armée israélienne et son équipement, dans le cadre d’une interview. La video, qui avait été tournée clandestinement par un groupe pro-gouvernemental lié aux colons, a suscité une condamnation sévère du Premier ministre et d’autres responsables gouvernementaux. Le 21 mars, le ministre de la Défense a accusé les membres de Breaking the Silence d’être des « traîtres » avant de nuancer ses propos par la suite.
Une enquête préliminaire de l’armée israélienne a révélé que l’organisation n’avait recueilli aucune information plus secrète que le niveau « confidentiel », un niveau faible de classification. Breaking the Silence a fait observer que toutes les informations qu’elle publiait passaient par la censure militaire. Le fait de chercher des informations sur l’équipement militaire, les pratiques opérationnelles et le déploiement est une partie essentielle de l’analyse de la conduite des opérations militaires afin d’évaluer leur conformité avec les normes du droit international humanitaire et relatif aux droits humains.
Le ton particulièrement violent et la fréquence des invectives proférées par les plus hauts responsables gouvernementaux contre Breaking the Silence est en contradiction totale avec leurs responsabilités et semble avoir pour objectif d’intimider l’organisation et de dissuader les soldats de parler avec ses représentants. Le gouvernement israélien ne doit pas présenter les personnes qui défendent les droits humains comme des menaces pour la sécurité du fait de leurs activités. Le climat créé par les déclarations gouvernementales semble avoir joué un rôle dans les menaces et le harcèlement émanant de particuliers israéliens et visant le personnel de Breaking the Silence et les membres de leur famille. Les responsables gouvernementaux israéliens doivent mettre immédiatement un terme à l’intimidation de Breaking the Silence. Ils doivent également reconnaître le droit des particuliers et des organisations d’enquêter sur les allégations de violations des droits humains et d’œuvrer pour les faire connaître en Israël et à l’étranger. Ils doivent ouvrir des enquêtes sur les menaces et le harcèlement du personnel de Breaking the Silence et des membres de leur famille, et déférer à la justice les responsables de tels agissements.
Les textes législatifs israéliens visant à restreindre la liberté d’expression
Les autorités israéliennes ont adopté ces dernières années un certain nombre de lois qui restreignent l’espace d’opposition aux politiques et aux actes du gouvernement. Citons, entre autres, les lois qui privent de financement public les organisations qui commémorent la nakba (catastrophe) – déplacement forcé massif des Palestiniens au moment de la création d’Israël en 1948 – et qui érigent en « délit civil » l’appel au boycott par une institution ou un citoyen israélien d’institutions ou d’entreprises israéliennes en réponse à l’occupation israélienne ou aux colonies illégales.
Des textes législatifs en instance semblent avoir pour objectif de restreindre la liberté d’expression et d’association. Le 24 février, le ministère israélien de la Justice a donné son approbation préliminaire au projet de loi de « loyauté culturelle » qui, s’il est adopté, accordera au gouvernement le pouvoir de retirer à titre rétroactif le financement d’activités culturelles « contraires aux principes de l’État ». Ce texte peut maintenant être soumis en première lecture à la Knesset. Le 10 février 2016, celle-ci a adopté en première lecture le « projet de loi sur la transparence des ONG » qui impose de nouvelles exigences de rapports sur les financements des organisations dont plus de 50 % des fonds proviennent de gouvernements étrangers. Ceci pénaliserait la plupart des organisations israéliennes qui examinent les violations des droits humains commises en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, ou qui sont opposées à l’occupation. Des groupes israéliens de défense des droits humains ont fait valoir que cette loi était injuste et discriminatoire car ils doivent déjà révéler leurs sources de financement et que ce texte n’a pas d’incidence sur la très grande majorité des ONG pro-gouvernementales dont le financement provient essentiellement de sources privées (et qui sont soumises à moins d’exigences de rapports). Amnesty International craint que ce projet de loi concerne moins la transparence et soit davantage une stigmatisation à motivation politique d’organisations opposées à la politique et aux pratiques du gouvernement israélien. Ce texte semble avoir été conçu pour avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression et d’association en Israël. Le gouvernement israélien doit cesser de soutenir de tels projets de loi et faire savoir clairement que les critiques de ses politiques sont une partie inaliénable du droit à la liberté d’expression, et qu’il est légitime pour des organisations de défense des droits humains de rechercher des fonds à l’étranger pour mener leurs activités.