Par Sevag Kechichian, chercheur d’Amnesty International sur l’Arabie saoudite C’est une vidéo montrant une exécution publique intervenue en Arabie saoudite au début de l’année. Sur les images de médiocre qualité, on voit une femme au sol suppliant son bourreau de lui laisser la vie sauve.
Un homme tout de blanc vêtu lève un sabre au-dessus de sa tête. Ces images qui ont choqué le monde entier viennent rappeler de manière tragique l’acharnement du royaume à recourir à la peine de mort.
En 2014 l’Arabie saoudite a figuré une nouvelle fois parmi les cinq pays qui exécutent le plus de personnes, peut-on lire dans le rapport d’Amnesty International sur la peine de mort dans le monde rendu public le 1er avril 2015.
Au moins 90 personnes ont été exécutées dans le royaume en 2014. Avec au moins 54 exécutions pour les trois premiers mois de 2015, les autorités sont bien parties pour dépasser le chiffre de l’an dernier.
La plupart des exécutions en Arabie saoudite se font par décapitation, et souvent en public. Cette horrible méthode d’exécution a conduit les médias à faire un parallèle avec les décapitations auxquelles procède en Syrie et en Irak le groupe armé se faisant appeler « État islamique ».
Mais les autorités saoudiennes défendent farouchement le recours à la peine de mort, soutenant que les exécutions qu’elles autorisent n’ont rien à voir avec les actes brutaux du groupe armé de sinistre réputation et qu’elles correspondent à des décisions de justice prononcées à l’issue de procès équitables et conformes aux traditions islamiques et à la charia (loi islamique).
Est-ce la vérité ? Les cas d’exécution en 2014 viennent-ils à l’appui de ces affirmations ? La réponse est non, nous diraient les spécialistes du droit musulman.
D’une part, la Cour suprême d’Arabie saoudite a confirmé dans un avis rendu le 17 février 2015 que, dans les affaires où la sanction est laissée à l’appréciation du juge (une catégorie qui comprend les infractions à la législation sur les stupéfiants), celui-ci peut prononcer une peine – y compris la peine capitale – même s’il ne peut être prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le suspect a commis un crime. Il apparaît ainsi qu’un juge peut ordonner la mort d’une personne sur la base d’un soupçon.
D’autre part, alors que le droit international n’autorise la peine de mort que pour les « crimes les plus graves », la moitié des exécutions signalées en Arabie saoudite en 2014 et pour le début de l’année 2015 ont été prononcées pour des infractions n’ayant pas entraîné la mort, qui ne rentrent pas dans cette catégorie.
En 2014, la grande majorité des exécutions intervenues en Arabie saoudite pour des infractions n’ayant pas entraîné la mort avaient été prononcées dans des affaires de stupéfiants – détention de drogue, notamment –, à l’exception d’une personne qui a été exécutée pour « sorcellerie ». Il ne s’agit pas d’infractions reconnues par le droit international relatif aux droits humains.
La charia, fondée sur le Coran et sur les actes et paroles du prophète Mahomet, et qui constitue la base de la Constitution de l’Arabie saoudite, prévoit que certaines crimes sont passibles de la peine capitale. Les infractions en matière de stupéfiants ne sont pas mentionnées dans ces sources. On n’y voit pas trace non plus d’une quelconque référence à telle ou telle méthode d’exécution, par exemple la décapitation, pour punir certains crimes.
Penchons-nous sur un cas qui montre les graves problèmes que pose l’utilisation de la peine de mort en Arabie saoudite : l’exécution de quatre jeunes hommes condamnés à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités.
Dans la matinée du 18 août 2014, quatre hommes d’une même famille élargie (deux fois deux frères) ont été exécutés dans la ville de Najran, dans le sud-ouest du pays. Ils avaient été condamnés pour avoir « réceptionné une grande quantité de haschich ». Il n’avait pas été tenu compte de leurs allégations selon lesquelles les « aveux » ayant servi de base à leur condamnation avaient été arrachés sous la torture.
Les exécutions se sont déroulées en dépit des appels désespérés lancés en dernier recours par des membres de leur famille. Des proches qui avaient contacté Amnesty International afin d’obtenir de l’aide dans leurs efforts pour suspendre les exécutions ont reçu dans les heures qui ont suivi des appels téléphoniques d’agents du ministère saoudien de l’Intérieur les mettant en garde et leur intimant de ne plus approcher l’organisation.
Ni les allégations selon lesquelles les quatre hommes avaient été torturés ni l’incapacité des autorités à prouver qu’ils étaient effectivement coupables de trafic de stupéfiants n’ont permis de leur épargner la décapitation.
En l’absence d’élément de preuve convaincant établissant leur culpabilité pour trafic de drogue, le juge a modifié le chef d’inculpation et les a condamnés pour avoir « réceptionné une grande quantité de drogue ». Aucune de ces infractions ne peut être considérée comme faisant partie des « crimes les plus graves » prévus par le droit international.
Ce cas est loin d’être isolé. Le 27 mai 2014, Ali al Nimr, un mineur délinquant, a été condamné à mort. Le juge avait écarté ses allégations faisant état de torture, et le fait que ses « aveux » manuscrits n’avaient de toute évidence pas été rédigés de sa main. Le juge n’a semble-t-il pas tenu compte par ailleurs du fait qu’Ali n’avait à aucun moment été autorisé à voir un avocat. L’exécution d’un mineur délinquant est strictement interdite par le droit international relatif aux droits humains.
L’Arabie saoudite affirme appliquer les normes de droit les plus rigoureuses pour le recours à la peine de mort. Elle accuse ceux – dont Amnesty International et d’autres organisations – qui réclament son abolition ou la restriction de son usage de mettre en danger l’islam en essayant de persuader les Saoudiens de renoncer à la charia.
Non seulement ce discours des autorités est parfaitement mensonger, mais il vient aussi installer au sein de la population saoudienne des idées fausses et un sentiment d’hostilité à l’égard des droits humains, du droit international et de l’Occident.
Les autorités saoudiennes doivent cesser de tromper les gens à propos de la peine de mort. Elles doivent reconnaître une bonne fois pour toutes que la peine de mort est un châtiment cruel et inhumain qui viole le droit à la vie, et prendre des mesures en vue de l’abolir totalement.