Gaza. Des investigations de pointe mettent en lumière les crimes de guerre commis par Israël à Rafah le « Vendredi noir »

  • Reconstitution des attaques menées par Israël contre Rafah entre le 1er et le 4 août 2014.
  • Des éléments solides attestant de crimes de guerre et d’éventuels crimes contre l’humanité doivent faire sans délai l’objet d’investigations.
  • Les forces israéliennes ont tué au moins 135 civils palestiniens, dont 75 enfants, à la suite de la capture d’un soldat israélien.
  • Des centaines de vidéos, de photos et d’images satellites analysées par des experts et recoupées avec les récits de témoins.
  • Des technologies de pointe pour analyser les éléments de preuve, notamment pour étudier les ombres et les panaches de fumée dans de multiples vidéos afin de déterminer le lieu et l’heure d’une attaque.

De nouveaux éléments indiquant que les forces israéliennes ont perpétré des crimes de guerre en représailles de la capture d’un soldat israélien sont publiés le 29 juillet dans un rapport conjoint d’Amnesty International et de Forensic Architecture. D’après ces éléments, notamment l’analyse détaillée de vastes quantités de documents multimédia, le caractère systématique et délibéré de l’attaque terrestre et aérienne menée contre Rafah qui a tué au moins 135 civils, pourrait constituer un crime contre l’humanité.

Le rapport, publié sur Internet sous le titre ‘Black Friday’: Carnage in Rafah during 2014 Israel/Gaza conflict, s’appuie sur des techniques de pointe en matière d’investigation et d’analyse, mises au point par Forensic Architecture, une équipe de recherche basée au Goldsmiths College de l’Université de Londres.

« Des éléments solides indiquent que les forces israéliennes ont commis des crimes de guerre dans le cadre du bombardement intensif de zones d’habitation à Rafah, dans le but d’empêcher la capture du lieutenant Hadar Goldin, faisant preuve d’un mépris choquant pour la vie des civils. Elles ont lancé une série d’attaques disproportionnées, sans discrimination, et n’ont pas mené d’enquête indépendante sur ces agissements, a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Ce rapport relaie une demande urgente de justice qu’il convient de prendre en compte. L’analyse combinée de centaines de photos et de vidéos, ainsi que d’images satellite et de témoignages de première main, tend à démontrer que les forces israéliennes ont commis de graves violations du droit international humanitaire, et ces actes doivent faire l’objet d’une enquête. »

Les nombreux éléments recueillis ont été présentés à des experts, notamment militaires, avant d’être classés par ordre chronologique afin de reconstituer le déroulement des événements depuis le 1er août, lorsque l’armée israélienne a mis en œuvre la procédure secrète et controversée baptisée « Hannibal », à la suite de la capture du lieutenant Hadar Goldin.

En vertu de cette procédure, les forces israéliennes peuvent réagir à la capture d’un soldat en faisant usage de tirs intensifs quels que soient les risques pour sa vie ou pour les civils présents dans le secteur. Comme le montre le rapport, la mise en œuvre de la directive Hannibal a entraîné le lancement d’attaques illégales contre des civils.

« Après la capture du lieutenant Hadar Goldin, les forces israéliennes semblent avoir abandonné le règlement au profit d’une politique agressive qui a eu des conséquences désastreuses pour les civils. L’objectif était d’empêcher sa capture à tout prix. L’obligation de prendre des précautions pour éviter les pertes parmi la population civile a été totalement négligée. Des quartiers entiers de Rafah, dont des zones densément peuplées, ont été bombardés sans distinction entre objectifs civils et militaires », a déclaré Philip Luther.

L’intensité des attaques, qui se sont poursuivies après l’annonce de la mort du lieutenant Goldin le 2 août, laisse à penser qu’elles étaient en partie motivées par le désir de punir la population de Rafah pour venger sa capture.

Des bombardements intensifs

Peu avant la capture du lieutenant Goldin le 1er août 2014, un cessez-le-feu avait été annoncé et de nombreux civils sont rentrés chez eux, se croyant en sécurité. Lorsque le bombardement massif et prolongé a commencé, sans avertissement, les rues étaient très fréquentées ; beaucoup de personnes, notamment celles qui se trouvaient à bord de véhicules, sont devenues des cibles. À Rafah, cette journée a par la suite été surnommée le « Vendredi noir ».

Des témoins ont décrit des scènes terribles de chaos et de panique, tandis qu’une pluie de tirs de mortier et de tirs depuis des avions F-16, des drones et des hélicoptères s’abattait sur les rues, frappant des civils qui circulaient à pied ou en voiture, ainsi que des ambulances et d’autres véhicules qui évacuaient les blessés.

Selon l’un des témoins, on aurait dit que le but était de pulvériser les civils de Rafah ; il a comparé l’offensive à « une machine qui réduisait les gens en bouillie, sans pitié ».

Une analyse médicolégale de pointe

Pour mener à bien ces investigations, les récits des témoins décrivant le carnage à Rafah ont été recoupés avec des centaines de photos et de vidéos prises par diverses sources et en de multiples lieux, ainsi qu’avec des images satellite haute résolution obtenues par Amnesty International.

Une équipe de chercheurs de Forensic Architecture a utilisé tout un éventail de techniques sophistiquées pour analyser ces éléments. Ils ont examiné les indicateurs de temps sur les images – tels que l’angle des ombres ou la forme et la taille des panaches de fumée, qui jouent le rôle d’« horloges physiques » – afin de situer les attaques dans le temps et l’espace (processus appelé géo-synchronisation).

L’analyse révèle que le 1er août, les attaques israéliennes sur Rafah ont ciblé plusieurs sites où le lieutenant Goldin aurait dû se trouver, sans prendre en compte le danger pour les civils, ce qui laisse supposer que l’objectif était peut-être de le tuer.

Dans l’un des épisodes les plus meurtriers, les chercheurs, aidés d’experts militaires, ont pu confirmer que deux bombes d’une tonne – les plus grosses de l’arsenal des forces aériennes israéliennes – ont été larguées sur un immeuble d’un niveau à al Tannur, dans l’est de Rafah. Un grand nombre de civils se trouvaient alors aux abords du bâtiment, ce qui souligne le caractère totalement disproportionné de cette attaque.

« L’intensité de l’offensive menée contre Rafah témoigne des mesures extrêmes que les forces israéliennes étaient prêtes à prendre pour éviter qu’un soldat ne soit capturé vivant. De nombreux civils palestiniens ont été sacrifiés dans cet unique but », a déclaré Philip Luther.

L’analyse des photos, vidéos et supports multimédia fournis par des témoins s’est avérée cruciale pour enquêter sur les éventuelles violations commises, les autorités israéliennes refusant que des délégués d’Amnesty International se rendent dans la bande de Gaza depuis le début du conflit en 2014.

« Forensic Architecture se sert de nouvelles technologies architecturales et médias pour reconstituer des événements complexes à partir des traces que laissent les violences sur les bâtiments lors d’un conflit. Les modèles architecturaux nous aident à établir des liens entre de multiples éléments de preuve tels que des images, des vidéos téléchargées sur les réseaux sociaux et des témoignages, afin de reconstituer virtuellement le déroulement des événements », a déclaré Eyal Weizman, directeur de Forensic Architecture.

Attaques contre des hôpitaux et des professionnels de la santé

Les images satellite et les photos analysées dans le cadre du rapport montrent des cratères et des destructions qui indiquent que des hôpitaux et des ambulances ont été attaqués à plusieurs reprises durant l’offensive contre Rafah, en violation du droit international.

Un médecin a raconté que des patients paniqués ont fui l’hôpital Abu Youssef al Najjar lorsque les attaques se sont intensifiées dans le secteur. Certains ont été évacués sur leurs lits, beaucoup avaient encore leurs perfusions. Un jeune garçon qui avait un plâtre s’est traîné sur le sol pour fuir.

Une ambulance transportant un vieil homme blessé, une femme et trois enfants a été touchée par un missile tiré par un drone. Elle a pris feu, et tous les passagers, y compris les soignants, ont péri brûlés vifs. Jaber Darabih, un urgentiste qui est arrivé sur les lieux peu après, a décrit les corps calcinés qui n’avaient « plus de jambes, plus de mains… ils étaient grièvement brûlés ». Il a découvert par la suite que son propre fils, ambulancier volontaire, se trouvait parmi les victimes.

« En effectuant des tirs sur des ambulances et près des hôpitaux, l’armée israélienne a fait preuve d’un mépris flagrant envers les lois de la guerre. Attaquer délibérément des installations sanitaires et des professionnels de santé constitue un crime de guerre », a déclaré Philip Luther.

Mettre fin au cycle de l’impunité

Ces investigations sur les événements de Rafah ont mis au jour des preuves très convaincantes que de graves violations du droit international humanitaire, dont des crimes de guerre, ont été perpétrées durant le conflit.

Dans ses précédents rapports, Amnesty International a dénoncé les violations commises par les deux camps, notamment les attaques systématiques d’Israël contre des logements civils habités et la destruction injustifiée de grands immeubles civils, ainsi que les attaques directes et menées sans discrimination par les groupes armés palestiniens contre des civils en Israël, et les exécutions sommaires de Palestiniens à Gaza.

Toutefois, un an après le conflit, les autorités israéliennes n’ont pas mené d’enquête crédible, indépendante et impartiale sur les violations du droit international humanitaire. À l’issue des timides enquêtes menées par l’armée sur certaines opérations de ses forces à Rafah le 1er août, personne n’a eu de comptes à rendre.

« Jusqu’à présent, les autorités israéliennes se sont montrées incapables de mener des investigations indépendantes sur les crimes de droit international commis à Rafah et ailleurs, et bien souvent plus que réticentes à le faire. Les conclusions de ce rapport viennent s’ajouter à la longue liste des documents crédibles pointant du doigt les graves violations commises durant le conflit à Gaza, ce qui requiert la tenue d’une enquête indépendante, impartiale et efficace, a déclaré Philip Luther.

« Les victimes et leurs familles ont droit à la justice et à des réparations. Les personnes soupçonnées d’avoir ordonné ou commis des crimes de guerre doivent être poursuivies. »