Par Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International
L’une des premières décisions officielles prises par le président Barack Obama en janvier 2009 fut de signer un décret ordonnant la fermeture, dans l’année, du camp militaire américain de Guantánamo Bay, à Cuba.
Après huit années de détentions à Guantánamo, une promesse de changement soufflait. Mais le décret ne reconnaissant pas les obligations des États-Unis en termes de droits humains, et le gouvernement de Barack Obama ayant épousé le cadre biaisé des « lois de la guerre » mis en place par son prédécesseur, les détentions pour une durée indéterminée n’ont pas pris fin.
Le 22 janvier 2014, cinq années se seront écoulées depuis la signature de ce décret par le président Barack Obama. Durant tout ce temps, le camp de détention a continué de fonctionner sur fond de vide juridique en termes de droits humains.
Les détentions à Guantánamo sont un affront pour les principes internationaux relatifs aux droits fondamentaux et sapent la crédibilité des États-Unis. Alors que l’on entre dans la 13e année de détentions à Guantánamo, le monde doit interpeller les États-Unis au sujet de cet échec lamentable et les inciter à être à la hauteur des normes internationales relatives aux droits fondamentaux qu’ils exigent si souvent d’autrui.
Douze ans après l’arrivée des premiers prisonniers à Guantánamo, sanglés dans des avions comme des marchandises, plus de 150 hommes y sont toujours détenus, la plupart sans avoir été inculpés ni jugés.
Parmi eux, certains doivent être déférés à la justice pour des charges liées aux attentats du 11 septembre 2001 ou à de graves exactions.
Pour respecter le droit des victimes à la justice, il aurait fallu les inculper et les juger dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux civils ordinaires, il y a des années.
Malgré un arrêt de la Cour suprême des États-Unis, rendu il y a cinq ans et demi, selon lequel les détenus de Guantánamo disposaient du droit constitutionnel de contester et d’obtenir un examen « rapide » de la légalité de leur détention, certains n’ont toujours pas reçu de réponse à leur requête en habeas corpus.
Dans la logique biaisée qui préside à Guantánamo, une décision judiciaire établissant l’illégalité de la détention d’un prisonnier n’est pas synonyme de libération immédiate. En décembre 2013, trois Chinois d’origine ouïghoure ont été transférés vers la Slovaquie, plus de cinq ans après qu’un juge fédéral américain a conclu à l’illégalité de leur détention. Si les États-Unis faisaient ce qu’ils attendent des autres États, à savoir accueillir sur leur sol des détenus libérés qui ne peuvent être rapatriés dans leur pays d’origine, ces Ouïghours auraient pu être relâchés immédiatement après le jugement rendu en leur faveur.
Plus de 70 détenus – pour la majorité des Yéménites – ont vu leur transfert approuvé, mais le gouvernement américain a mis en avant, entre autres, les problèmes de sécurité dans leur pays d’origine pour retarder leur sortie de Guantánamo.
Une poignée de détenus est en attente de jugement par une commission militaire, dans le cadre d’un système non conforme aux normes internationales relatives à l’équité des procès. Six d’entre eux pourraient être condamnés à mort. Sur les quelque 800 détenus qui ont été incarcérés à Guantánamo, sept seulement (moins de 1 %) ont été déclarés coupables par une commission militaire – dont cinq ont plaidé coupable sur la base d’accords passés avant le procès qui contenaient la promesse d’un possible transfert hors de Guantánamo.
En parallèle, l’absence de vérité, d’obligation de rendre des comptes et de voies de recours pour les violations des droits humains commises contre les détenus de Guantánamo, anciens et actuels, est une injustice lancinante par laquelle les États-Unis bafouent leurs obligations internationales relatives aux droits humains.
Des détenus de Guantánamo ont été torturés et soumis à des mauvais traitements, à Guantánamo même ou dans d’autres lieux sous autorité américaine avant d’y être transférés. Ils ont notamment été soumis au « waterboarding » (simulacre de noyade), détenus à l’isolement prolongé et, plus récemment, soumis à des procédures d’alimentation forcée parce qu’ils avaient massivement entamé une grève de la faim pour protester contre leur maintien en détention.
Neuf détenus sont morts à Guantánamo – deux de causes naturelles, sept se sont suicidés.
Si un autre pays était responsable d’un tel trou noir en termes de droits humains, les États-Unis ne manqueraient pas de le condamner. Pourtant, ils ont permis le maintien du camp de Guantánamo et favorisé l’absence de responsabilisation, tout en continuant à clamer leur attachement aux droits fondamentaux.
Cette politique du deux poids deux mesures n’est pas passée inaperçue. Des gouvernements, des experts de l’ONU et des organisations non gouvernementales (ONG) ont demandé que cessent les détentions à Guantánamo.
Le premier commandant du centre de détention de Guantánamo, le général Michael Lehnert, aujourd’hui à la retraite, a déclaré récemment que Guantánamo était une prison qui « n’aurait jamais dû être ouverte ». Selon lui, les États-Unis ont perdu la « bienveillance du monde » en incarcérant et en torturant des prisonniers à Guantánamo au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.
La fermeture de Guantánamo doit s’accompagner de la fin des violations dont il est désormais le symbole – se contenter de les délocaliser ne saurait suffire. Le monde doit inciter les États-Unis à abandonner leur cadre juridique biaisé de « guerre mondiale ». Le Congrès et le gouvernement de Barack Obama doivent adopter une stratégie de lutte contre le terrorisme qui respecte pleinement le droit international et les normes internationales.
On ne peut tirer un trait sur Guantánamo sans établir les responsabilités pour les atteintes aux droits humains, y compris les crimes relevant du droit international, commises sur la base et ailleurs dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis.
Cela ne se produira pas du jour au lendemain avec la fermeture du centre de détention, mais ce sera un pas important, et nécessaire, dans la bonne direction.