Il faut que les autorités de l’Eswatini (ex-Swaziland) fassent cesser les expulsions forcées qui ont déjà fait des centaines de sans-abri et dont les victimes se sont retrouvées dans une situation encore plus précaire, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport publié le 30 août 2018.
Ce rapport (en anglais), intitulé They don’t see us as people: security of tenure and forced evictions in Eswatini, décrit les expulsions forcées auxquelles il a été procédé à deux endroits. Du fait de ces expulsions, plus de 200 personnes, principalement des paysans pratiquant une agriculture de subsistance, se sont retrouvées sans abri et privées d’accès aux terres sur lesquelles elles auraient pu continuer à cultiver.
Alors que les expulsions impliquaient une longue procédure juridique, elles ont eu lieu sans préavis suffisant, consultation véritable ni indemnisation adéquate, ce qui constitue une violation du droit international. En outre, Amnesty International sait qu’au moins 300 autres personnes risquent d’être expulsées sous peu des terres qu’elles cultivent et dont elles tirent leur alimentation et leur subsistance.
Le rapport révèle également les effets dévastateurs du système de gouvernance foncière en vigueur dans le pays. Sachant que la plupart des terres sont détenues en « fiducie » par le roi au nom de la nation swazie et que des personnes occupent des terres assorties d’un titre de propriété sans reconnaissance officielle, les Swazis ne jouissent d’aucune sécurité d’occupation, ce qui les expose à des expulsions forcées.
« Ces expulsions forcées mettent en lumière la dure réalité à laquelle sont confrontés les Swazis ordinaires dans le domaine foncier. En effet, le système de gouvernance foncière en vigueur dans le pays est profondément biaisé, dans la mesure où il prive les Swazis ordinaires de leur dignité et de produits de première nécessité, a déclaré Deprose Muchena, directeur du programme Afrique australe à Amnesty International.
« Les lois du pays sont censées protéger la population mais, en réalité, elles accentuent la détresse des Swazis ordinaires. Les expulsions forcées aggravent la pauvreté. Les personnes qui se trouvent sous la menace constante d’une expulsion imminente vivent dans l’anxiété et la peur. Le droit foncier du royaume dessert la population. »
Dans le cadre des recherches d’Amnesty International, des représentants de l’organisation se sont entretenus avec des personnes d’horizons divers, notamment des personnalités politiques, des défenseurs des droits humains, des avocats et 80 personnes victimes ou sous la menace d’une expulsion forcée.
Système de gouvernance foncière
Le territoire est majoritairement constitué de terres de la nation swazie, détenues en « fiducie » par le roi, qui a le pouvoir d’en attribuer à des personnes ou des familles par l’intermédiaire des chefs. Le reste se compose de terres assorties d’un titre de propriété, qui appartiennent à des entités privées ou à l’État. Les bénéficiaires de terres de la nation swazie doivent prêter allégeance à leur chef, généralement en fournissant un travail en échange de ces terres. Cependant, il n’y a pas de sécurité d’occupation au plan juridique et ces attributions ne sont pas enregistrées officiellement par écrit sous une forme unique. En outre, les chefs ont le pouvoir de reprendre les terres attribuées.
Un député a reconnu que le droit foncier de l’Eswatini desservait la population. Il a expliqué à Amnesty International : « Il ne se passe pas une année sans expulsions… Le droit foncier ne protège pas les occupants, qui sont à la merci des propriétaires terriens. »
Les expulsions forcées ont des conséquences désastreuses pour les familles de ce pays majoritairement rural qu’est l’Eswatini car celles-ci dépendent depuis des générations des terres qu’elles cultivent pour nourrir leurs enfants ou produire un revenu supplémentaire afin de payer leurs soins médicaux, régler les frais de scolarité et couvrir d’autres dépenses de base.
Expulsions forcées
L’Eswatini est depuis longtemps le théâtre d’expulsions forcées qui ont fait de nombreux sans-abri. À la suite de l’une des deux dernières expulsions sur lesquelles Amnesty International a recueilli des informations, 61 personnes, dont plus de 30 enfants, qui vivaient dans la zone agricole d’Embetseni, à Malkerns, se sont retrouvées sans abri ; des policiers armés et des bulldozers ont détruit leurs logements le 9 avril 2018.
Des personnes ont aussi été expulsées de terres de la nation swazie à Nokwane, à une quinzaine de kilomètres à l’est de Manzini.
Autrefois réputé pour ses plantations d’ananas, Nokwane accueille aujourd’hui le parc royal des sciences et technologies, un projet inauguré récemment et dirigé par le ministère de l’Information, de la Communication et de la Technologie (MICT), qui couvre 159 hectares.
Entre septembre et octobre 2014, les habitants d’au moins 20 cours familiales abritant plus de 100 personnes chacune ont été expulsés de force au profit du projet du MICT financé par Taïwan, qui s’inscrit dans la stratégie de croissance économique Vision 2022 du roi Mswati.
Dans les deux cas auxquels Amnesty International s’est intéressée de près, la situation foncière des personnes expulsées est au centre d’un conflit. Or, les normes internationales relatives aux droits humains disposent que toute personne a le droit d’être protégée des expulsions forcées, qu’elle soit propriétaire ou occupante des terres ou du logement où elle vit. En outre, les autorités de l’Eswatini sont tenues de veiller à ce que personne ne se retrouve sans abri à la suite d’une expulsion.
« Le gouvernement et les élites ne peuvent continuer à s’approprier des milliers d’hectares de terres alors que l’immense majorité des Swazis demeurent dans une situation floue, sans sécurité d’occupation sur leurs propres terres », a déclaré Deprose Muchena.
Amnesty International appelle les autorités swazies à instaurer un moratoire national sur les expulsions de grande ampleur jusqu’à ce que des garanties juridiques et procédurales adéquates soient en place afin que toutes les expulsions soient conformes aux normes internationales et régionales relatives aux droits humains.
Complément d’information
Le rapport concerne les expulsions forcées qui ont eu lieu à Nokwane et Malkerns, dans le district de Manzini. Des délégués d’Amnesty International se sont rendus dans le pays à trois reprises depuis mars 2017 dans le cadre des recherches menées par l’organisation ; la dernière mission s’est déroulée en avril 2018.
Une expulsion forcée consiste à obliger des personnes à quitter contre leur volonté le domicile ou le terrain qu’elles occupent, sans aucune protection juridique ni autre garantie. Les expulsions forcées ont des répercussions directes sur les droits humains, notamment les droits au logement, à l’eau, à l’assainissement et à l’alimentation, ainsi que sur l’accès à des moyens d’existence et aux produits de première nécessité.
Au regard du droit international relatif aux droits humains, une expulsion ne doit être envisagée qu’en dernier ressort et uniquement après examen de toutes les autres solutions possibles et sous réserve que les garanties de procédure adéquates soient en place, notamment que les intéressés aient été consultés.