- La définition vague du crime de sédition et son interprétation débouchant sur la condamnation des leaders catalans pourraient avoir un effet très néfaste sur le droit de manifester pacifiquement
- Jordi Sànchez et Jordi Cuixart doivent être libérés immédiatement et leurs condamnations annulées
Les peines de prison prononcées contre les deux leaders de la société civile et sept membres hauts placés du gouvernement catalan s’appuient sur la définition vague du crime de sédition inscrit dans le Code pénal espagnol et sur l’interprétation trop générale et dangereuse de cette définition par la Cour suprême.
« Jordi Sànchez et Jordi Cuixart doivent être libérés immédiatement et leurs condamnations pour sédition annulées, a déclaré Daniel Joloy, conseiller principal Droit et politique à Amnesty International.
« Si notre analyse n’a pas révélé d’éléments laissant à penser que l’ensemble du procès s’est avéré inique, il est clair que la Cour suprême a interprété la sédition de manière trop générale, ce qui se traduit par la criminalisation d’actes légitimes de contestation. »
En tant que citoyens et leaders d’organisations de la société civile, Jordi Sànchez et Jordi Cuixart avaient le droit d’exprimer leurs opinions et d’organiser des rassemblements pacifiques en faveur du référendum et de l’indépendance de la Catalogne.
Même si ces rassemblements ou leurs actions avaient pour but d’empêcher l’application d’une décision judiciaire, la désobéissance civile pacifique est protégée au titre du droit international relatif aux droits humains. Prononcer des inculpations excessives pour des actes de désobéissance civile restreint indûment le droit de réunion pacifique et viole le droit international.
Après avoir suivi le procès dans sa globalité, Amnesty International conclut que les condamnations à neuf ans de prison prononcées contre Jordi Sànchez et Jordi Cuixart pour sédition constituent une restriction disproportionnée de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Elle ajoute que la Cour suprême n’a pas démontré que des condamnations d’une telle sévérité étaient proportionnées aux actes pacifiques dont ils étaient accusés.
« Les condamnations prononcées contre Jordi Sànchez et Jordi Cuixart constituent clairement une restriction excessive et disproportionnée de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, a déclaré Esteban Beltran, directeur d’Amnesty International Espagne.
« Le Parlement doit modifier sans délai la définition de la sédition, en vue de ne pas criminaliser des actes pacifiques de désobéissance civile ni restreindre indûment la liberté de réunion pacifique et d’expression. »
En outre, Amnesty International déplore que la Cour suprême relie la gravité de l’infraction au caractère « massif ou généralisé » de l’opposition à l’application d’une décision judiciaire. Elle ouvre ainsi la voie à l’instauration par les autorités d’un plafond illégal au nombre de personnes pouvant exercer simultanément leur droit de manifester pacifiquement.
Le manque de clarté entourant le crime de sédition dans le Code pénal tel qu’interprété par la Cour permet d’instaurer des restrictions injustifiées aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. En conséquence, un large éventail d’actions directes non violentes sont injustement érigées en infractions.
Le flou de cette définition et son interprétation trop étendue remettent aussi en cause les condamnations pour sédition prononcées contre les leaders politiques catalans.
« Si les leaders politiques catalans ont pu commettre une infraction qui aurait pu légitimement faire l’objet de poursuites en justice en raison de leurs positions officielles, leur condamnation pour sédition – un crime défini de manière trop vague – bafoue le principe de légalité. Les autorités doivent remédier à cette situation sans attendre, a déclaré Adriana Ribas, coordinatrice d’Amnesty International Catalogne.
« Chacun a le droit de savoir si sa conduite peut constituer une infraction. Or, le jugement rendu démontre que le caractère vague de la définition du crime de sédition en permet un usage excessif. L’interprétation de la Cour suprême pourrait avoir un effet néfaste susceptible de dissuader les citoyens de participer à des manifestations pacifiques, du fait de la peur. »
Complément d’information
Amnesty International a suivi la procédure intentée contre 12 leaders catalans en lien avec les événements qui se sont déroulés en Catalogne au moment du référendum le 1er octobre 2017, et a notamment assisté à toutes les audiences du procès qui s’est tenu à Madrid.
Les condamnations ont été prononcées le 14 octobre. Sept hauts représentants catalans, ainsi que deux leaders d’organisations de la société civile, ont été condamnés pour sédition à des peines variant entre neuf et 13 ans de prison et se sont vus interdire d’exercer une charge publique. Trois autres représentants haut placés déclarés coupables de désobéissance civile ont été condamnés à une amende et se sont vus interdire d’exercer une charge publique.
D’après le droit international relatif aux droits humains, les restrictions du droit de réunion pacifique doivent être prévues par la loi et être nécessaires et proportionnées à un intérêt public précis. Une manifestation ne perd pas son caractère pacifique au motif que des actes illégaux sont commis ou que certains manifestants usent de violence.
En outre, si des comportements pacifiques dans le déroulement d’une manifestation peuvent être soumis à certaines restrictions, elles doivent être dûment prévues par la loi. Toute infraction pénale doit être formulée de manière suffisamment claire pour que les citoyens puissent adapter leur conduite en conséquence.