Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Émirats arabes unis. La répression contre la dissidence dévoile la sombre réalité derrière une façade tape-à-l’œil et glamour

Aux Émirats arabes unis, de nombreux militants sont harcelés, arrêtés, voire torturés en détention, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport qui braque les projecteurs sur les méthodes répressives auxquelles recourt le gouvernement pour faire taire ses détracteurs.

Intitulé “There is no freedom here”: Silencing dissent in the UAE, ce document lève le voile sur le climat de peur qui règne dans le pays depuis 2011, les autorités étant prêtes à aller très loin pour éliminer toute dissidence, critique ou appel à la réforme dans le sillage des soulèvements populaires qui ont balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

« Aux Émirats arabes unis, derrière la façade bling-bling et glamour, une facette bien plus sombre fait apparaître le pays comme un État très répressif où les militants qui critiquent le gouvernement peuvent être jetés en prison pour un simple tweet », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.

Sont notamment pris pour cibles des avocats, des professeurs d’université, des étudiants et des militants de la société civile, dont certains sont liés à l’Association pour la réforme et l’orientation sociale(al Islah), organisation populaire et pacifique qui, selon le gouvernement, entretient des liens avec les Frères musulmans en Égypte. Leurs proches se retrouvent également dans le collimateur des pouvoirs publics.

Le rapport, publié à l’approche du Grand prix de Formule 1 qui se déroulera à Abou Dhabi les 22 et 23 novembre, dénonce le gouffre entre l’image publique que les Émirats arabes unis s’efforcent de faire passer, à savoir celle d’un État dynamique et moderne, d’un pouvoir économique en plein essor, qui se démarque par ses hôtels de luxe, ses gratte-ciel et ses centres commerciaux à la pointe du design, et la réalité moins reluisante que vivent les militants, persécutés et soumis à des disparitions forcées, à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements.

« Des millions de spectateurs à travers le monde vont regarder le Grand prix de Formule 1 d’Abou Dhabi ce week-end. Pourtant, la plupart n’auront aucune idée de ce qu’endurent les militants aux Émirats arabes unis, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

« L’ampleur de la répression est effrayante, mais force est de constater que le monde est très peu informé du traitement réservé aux militants qui critiquent le gouvernement, ainsi qu’à leurs familles. Il est temps que les alliés internationaux des Émirats arabes unis ouvrent les yeux sur les atteintes aux droits humains endémiques commises par les autorités et fassent passer les droits humains avant les intérêts économiques. »

La répression contre la dissidence a été déclenchée par la pétition d’un groupe de 133 personnes en mars 2011, qui réclamaient une réforme politique et le droit de voter et d’élire un Parlement.

Depuis, plus de 100 militants pacifiques et détracteurs du gouvernement ont été poursuivis ou emprisonnés pour des infractions liées à la sécurité nationale ou à la cybercriminalité. Plus de 60 d’entre eux croupissent en prison, purgeant des peines allant jusqu’à 14 ans.

Dans son rapport, Amnesty International explique que ces hommes et leurs familles ont été victimes d’intimidation, arrêtés de manière arbitraire et incarcérés par les autorités.

Parmi eux figure le prisonnier d’opinion Mohammed al Roken, éminent avocat spécialisé dans la défense des droits humains qui subit depuis des années le harcèlement du gouvernement, parce qu’il dénonce le bilan des Émirats arabes unis en termes de droits fondamentaux et réclame des réformes démocratiques. Il purge une peine de 10 ans de prison. Il a été condamné à l’issue du procès collectif entaché de graves irrégularités de 94 militants devant la chambre de la Cour suprême fédérale chargée de la sûreté de l’État – un procès connu sous le nom des « 94 Émiriens ».

Dans une autre affaire emblématique, Osama al Najjar, 25 ans, a été arrêté en mars 2014 après avoir exprimé dans des commentaires postés sur Twitter son inquiétude au sujet des mauvais traitements infligés à son père, Hussain Ali al Najjar al Hammadi, et à d’autres prisonniers politiques détenus à la prison d’al Razeen à Abou Dhabi. Après son arrestation, il a été détenu à l’isolement où, selon son témoignage, on lui a asséné des coups de poing, on l’a roué de coups partout sur le visage et le corps, et on l’a menacé de recevoir des décharges électriques.

Son père purge au total 11 ans de prison, après avoir été déclaré coupable aux termes de vagues infractions liées à la sécurité nationale, à l’issue de deux procès collectifs iniques. Lorsqu’il a été appréhendé en 2012, il a passé huit mois à l’isolement, dans des conditions s’apparentant à une disparition forcée.

« Les autorités des Émirats arabes unis doivent mettre fin à ces arrestations et détentions arbitraires, ainsi qu’aux disparitions forcées. Le père comme le fils dans cette affaire sont des prisonniers d’opinion qui doivent être libérés immédiatement et sans condition, tout comme les prisonniers détenus simplement pour avoir exercé sans violence leurs droits à la liberté d’expression et d’association », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Amnesty International demande aux autorités émiriennes de réviser les lois qui érigent en infraction l’exercice pacifique des droits à la liberté d’expression et d’association, notamment la loi relative à la cybercriminalité et la nouvelle loi antiterroriste adoptée en août 2014.

Certains prisonniers ont déclaré avoir été torturés et maltraités, racontant que les personnes chargées de les interroger leur avaient arraché les ongles, les avaient roués de coups et suspendus la tête en bas pendant de longues périodes, leur avaient retiré des poils à la barbe et à la poitrine, et avaient menacé de leur infliger des décharges électriques, de les violer et de les tuer.

Amnesty International exhorte les autorités à condamner publiquement la torture et à prendre des mesures efficaces afin d’interdire et de prévenir toutes les formes de torture et de mauvais traitements. Elles doivent aussi mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur les allégations de torture et amener les responsables présumés à rendre des comptes.

« Les Émirats arabes unis ne peuvent pas se proclamer nation progressiste et partenaire commercial sur la scène internationale, et se targuer d’être membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, tout en enfermant leurs détracteurs au motif qu’ils expriment leurs opinions sans violence », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Le procès des « 94 Émiriens » a été marqué par de nombreuses irrégularités et la procédure fut déficiente et inique. Le système judiciaire aux Émirats n’est ni indépendant ni impartial, les tribunaux semblant souvent se contenter de valider les décisions prises par l’exécutif. Trop souvent, les accusés ne peuvent pas consulter leur avocat et n’ont pas le droit de faire appel de leur condamnation. Dans de nombreuses affaires, les poursuites se fondent sur des « aveux » obtenus sous la contrainte pour condamner les prévenus, en violation du droit international relatif aux droits humains.

Entre autres méthodes de harcèlement et d’intimidation, les autorités retirent la nationalité aux militants et punissent leurs familles en bloquant leurs possibilités d’évolution au niveau de l’éducation ou de l’emploi.

Les autorités émiriennes ont répondu aux préoccupations soulevées par Amnesty International dans ce rapport en affirmant que la promotion des droits humains était « en cours ».

« Nous attendons désormais des autorités émiriennes qu’elles prennent des mesures rapides et concrètes qui démontrent leur engagement envers la protection des droits fondamentaux, et qu’elles en finissent avec les beaux discours destinés à passer sous silence la répression qui sévit dans le pays », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Génocide à Gaza

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