Les enfants qui naissent en présentant des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux normes relatives au « masculin » et au « féminin » risquent d’être soumis à une série d’interventions médicales injustifiées, invasives et traumatisantes, en violation de leurs droits fondamentaux, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mardi 9 mai 2017.
S’appuyant sur des études de cas au Danemark et en Allemagne, ce document intitulé ‘First, Do No Harm’ montre qu’en raison de stéréotypes liés au genre, des interventions chirurgicales invasives et irréversibles, qui ne présentent pas de caractère d’urgence, sont pratiquées sur des enfants intersexués – terme couramment utilisé pour désigner les personnes présentant des variations de leurs caractéristiques sexuelles (chromosomes, appareil génital ou organes de reproduction).
« Ces interventions de " normalisation " sont pratiquées sans une pleine et entière connaissance des effets potentiellement néfastes à long terme pour les enfants, a déclaré Laura Carter, chercheuse sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre à Amnesty International.
« Nous parlons d’incisions sur des tissus sensibles, qui ont des conséquences à vie, et ce du fait de stéréotypes qui dictent ce à quoi doit ressembler un garçon ou une fille. La question est de savoir dans l’intérêt de qui ces interventions sont pratiquées, car nos recherches montrent que c’est une expérience très éprouvante pour les personnes concernées. »
D’après le rapport, des interventions médicales ne relevant pas de l’urgence, pratiquées le plus souvent sur des bébés et des enfants de moins de 10 ans, sont réalisées au Danemark et en Allemagne malgré l’absence de recherches médicales sur leur justification thérapeutique. On estime que jusqu’à 1,7 % de la population mondiale présente des variations des caractéristiques sexuelles – un pourcentage équivalent à la proportion de roux dans le monde.
En se fondant sur des entretiens avec des personnes intersexuées, des professionnels de santé au Danemark et en Allemagne, ainsi qu’avec des groupes de soutien et de sensibilisation à travers l’Europe, Amnesty International a pu constater, preuves à l’appui, que des enfants nés avec des variations de leurs caractéristiques sexuelles ont subi les interventions suivantes :
· des opérations destinées à masquer un clitoris allongé, qui comportent le risque d’endommager des terminaisons nerveuses, laissent des cicatrices et sont douloureuses ;
· la chirurgie vaginale, ou vaginoplastie, qui peut impliquer de multiples opérations étalées dans le temps sur de jeunes enfants pour créer ou agrandir l’orifice vaginal ;
· la gonadectomie – l’ablation des gonades (y compris de tissus ovariens ou testiculaires). Irréversible, cette opération implique ensuite un traitement hormonal à vie ;
· des interventions réparatrices de l’hypospadias – procédures chirurgicales pour repositionner l’urètre à l’extrémité du pénis, pratiquées pour créer un pénis considéré comme fonctionnel et normal d’un point de vue cosmétique. Ces opérations peuvent entraîner diverses complications à long terme.
Ces interventions sont parfois nécessaires d’un point de vue médical pour protéger la vie ou la santé d’un enfant, mais ce n’est pas toujours le cas. Nombre des personnes interrogées par Amnesty International au sujet de leur expérience ou celle de leurs enfants ont évoqué le traumatisme physique et mental qu’elles ont enduré, au moment de l’opération comme au fil de leur vie.
« Quand je pense à ce qui s’est passé, ça me rend fou, parce que ce n’est pas quelque chose que quelqu’un d’autre aurait dû décider – cela pouvait attendre », a déclaré H., du Danemark, qui a accepté de s’entretenir avec Amnesty International à condition de garder l’anonymat. Il a découvert par hasard, lorsqu’il a pu consulter son dossier médical, qu’il avait été opéré pour un hypospadias à l’âge de cinq ans.
« Cela me rend triste de penser qu’il est considéré comme nécessaire d’opérer ces enfants, uniquement parce que certains pensent que cela doit être fait. »
Les droits humains en jeu
Selon Amnesty International, l’approche actuelle à l’égard des enfants intersexués au Danemark et en Allemagne ne protège pas les droits des enfants, notamment le droit à la vie privée et le droit de jouir du meilleur état de santé possible.
En outre, des experts des Nations unies ont condamné explicitement ces pratiques. Ils ont à plusieurs reprises classé les interventions chirurgicales non justifiées d’un point de vue médical sur les enfants intersexués dans les pratiques néfastes qui bafouent les droits de l’enfant.
« Les autorités danoises et allemandes manquent à leur devoir de protection envers ces enfants. Étant donné le manque de recherches et de connaissances médicales dans ce domaine, des décisions irréversibles qui changent une vie ne devraient pas être prises lorsque l’enfant est trop jeune pour avoir son mot à dire sur ce qu’on lui fait », a déclaré Laura Carter.
Amnesty International demande aux législateurs et aux professionnels de santé en Allemagne et au Danemark de garantir qu’aucun enfant ne soit soumis à un traitement invasif et irréversible, qui n’a pas de caractère urgent. Parallèlement, le processus de décision doit être différé jusqu’à ce que la personne concernée soit en mesure de participer de manière significative pour déterminer ce qui est fait à son corps.
Enfin, les professionnels de santé doivent recevoir une formation sur le genre et la diversité physiologique, les autorités doivent cesser de perpétuer des stéréotypes néfastes liés au genre, et l’Allemagne et le Danemark doivent veiller à ce que ceux qui ont subi des interventions médicales non indispensables aient accès à des réparations.