« Ces nouveaux éléments choquants, qui dessinent les contours d’une politique se traduisant par de graves violations, illustrent la nécessité de mesures internationales énergiques afin de juguler les attaques de plus en plus fréquentes visant la population civile, dont des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, commis par les forces gouvernementales et des milices en toute impunité », a expliqué Donatella Rovera, principale conseillère d’Amnesty International pour les situations de crise, qui a récemment passé plusieurs semaines à enquêter sur les violations des droits humains perpétrées dans le nord de la Syrie.
« Depuis plus d’un an, le Conseil de sécurité des Nations unies tergiverse alors que la Syrie est en proie à une crise des droits humains. Il doit désormais sortir de cette impasse et prendre des mesures concrètes afin de mettre un terme à ces violations et d’amener les responsables présumés à rendre des comptes. » Bien qu’Amnesty International n’ait pas officiellement été autorisée par les autorités syriennes à se rendre sur place, l’organisation a pu enquêter sur le terrain dans le nord de la Syrie, et a conclu que les forces gouvernementales et des milices syriennes se sont rendues coupables de graves violations des droits humains et atteintes au droit international humanitaire constituant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.
Amnesty International s’est rendue dans 23 villes et villages des gouvernorats d’Alep et d’Idlib, notamment dans des zones où les forces gouvernementales syriennes ont lancé des attaques de grande ampleur, en particulier pendant les négociations sur la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu en six points soutenu par les Nations unies et la Ligue arabe, en mars/avril. Dans chaque ville et village en question, des familles en deuil ont expliqué à Amnesty International comment leurs proches – jeunes, âgés, et même des enfants – ont été traînés hors de chez eux et abattus par des soldats – qui dans certains cas ont mis feu au corps des victimes. Des soldats et des membres des milices chabiha ont brûlé des maisons et des immeubles, et tiré sans discernement sur des zones résidentielles, tuant et blessant des passants civils. Les personnes arrêtées, y compris des personnes malades ou âgées, ont été systématiquement torturées, parfois à mort. Beaucoup ont été soumises à une disparition forcée. On ignore quel sort leur a été réservé. « Où que j’aille, j’ai rencontré des personnes bouleversées qui m’ont demandé pourquoi le monde regarde sans rien faire », a expliqué Donatella Rovera. « Au bout du compte, l’inaction de la communauté internationale favorise la commission de nouvelles violations. Face à la détérioration continue de la situation et au nombre de morts parmi les civils, qui augmente chaque jour, la communauté internationale doit agir pour mettre fin à ces violences qui ne cessent de s’aggraver. » Les mesures répressives du gouvernement ont visé des villes et des villages considérés comme des bastions de l’opposition, qu’il s’agisse de lieux d’affrontements avec les forces de l’Armée syrienne libre ou d’endroits où la contestation est restée pacifique.
À Alep, la plus grande ville du pays, Amnesty International a vu à plusieurs reprises au cours de la dernière semaine de mai des membres des forces de sécurité, en uniforme, ou des milices chabiha, en civil, tirer à balles réelles sur des manifestants non violents, tuant et blessant manifestants et passants, dont des mineurs.
Ces violations, constituant des pratiques bien établies dans ces zones, ne sont pas isolées, et ont également été signalées ailleurs dans le pays, comme lors de l’attaque menée par les forces syriennes contre Houla le 25 mai. D’après les Nations unies, 108 personnes, dont 49 enfants et 34 femmes, ont alors été tuées.
Depuis le début des manifestations en faveur de la réforme en février 2011, Amnesty International a recueilli les noms de plus de 10 000 personnes ayant été tuées dans le cadre de ces troubles ; ce chiffre pourrait être bien en-deçà de la réalité.
Le rapport étaie les conclusions d’autres enquêtes menées sur la situation en Syrie, en particulier le rapport du Secrétaire général des Nations unies sur les enfants et le conflit armé, qui indiquait qu’au cours de l’année écoulée, des enfants « ont été tués, victimes de mutilations, d’arrestations arbitraires, de détention, de torture et de mauvais traitements » aux mains des forces gouvernementales ; certains de ces mineurs n’avaient pas plus de neuf ans. Dans son rapport, Amnesty International demande une nouvelle fois au Conseil de sécurité de saisir le procureur de la Cour pénale internationale du dossier syrien, et d’imposer un embargo visant à bloquer le flux d’armes à destination du gouvernement syrien.
Elle exhorte les gouvernements chinois et russe, en particulier, à suspendre immédiatement l’ensemble des transferts d’armes, de munitions, d’équipements militaires, de sécurité et policiers, de formations et de personnels destinés à la Syrie.
Elle engage aussi le Conseil de sécurité à décréter un gel des avoirs du président Bachar el Assad et d’autres personnes susceptibles d’avoir ordonné ou perpétré des crimes de droit international.
Amnesty International a adressé de nombreuses recommandations aux autorités syriennes, qui, si elles étaient mises en œuvre, aideraient à limiter les violations systématiques – qui constituent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre – ayant actuellement lieu.
Mais il semble que le gouvernement syrien n’a pas l’intention de mettre un terme à ces crimes, et encore moins d’enquêter sur ceux-ci. « Les tentatives du gouvernement syrien de bloquer l’accès du pays à Amnesty International, à d’autres observateurs des droits humains et aux médias internationaux ne lui ont pas permis de se soustraire à un examen attentif. Ce rapport fournit de nouveaux éléments détaillés montrant que les autorités syriennes se livrent à des attaques soutenues, généralisées et brutales contre la population civile », a déploré Donatella Rovera.
Contexte : Entre la mi-avril et la fin mai 2012, Amnesty International a mené des enquêtes sur le terrain dans les gouvernorats d’Alep et d’Idlib (nord-ouest du pays), notamment dans les zones de Jabal al Zawya et de Jabal Wastani, au nord-ouest de Hama.
Ces enquêtes se sont appuyées sur plus de 200 entretiens accordés par des proches de personnes tuées et arrêtées, par des personnes dont le logement et des biens immobiliers ont été réduits en cendres, dégradés ou pillés, des victimes d’agressions, des témoins et des détenus remis en liberté. Le rapport dénonce les violations systématiques perpétrées par les forces gouvernementales, et notamment par les milices chabiha qui épaulent l’armée et les forces de sécurité. Ces violations incluent : des exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux ; des attaques directes et menées sans discrimination utilisant des tanks, des mortiers et des hélicoptères, qui ont fait des morts et des blessés parmi les civils ; les incendies et pillages systématiques de logements et biens immobiliers ; la détention arbitraire et la torture.
Les conclusions livrées dans ce rapport appuient celles d’autres organes, tels que la Commission d’enquête sur la Syrie des Nations unies et le Comité des Nations unies contre la torture, ainsi que les informations enregistrées par Amnesty International lors de missions de recherche effectuées au Liban, en Turquie et en Jordanie pour recueillir les propos de Syriens ayant fui leur pays depuis le début de la répression violente des troubles.