Cinq années d’échec sur le terrain des droits humains déshonorent la FIFA et le Qatar

L’exploitation des travailleurs reste endémique au Qatar, les autorités n’ayant pas mis en place de réformes significatives, a déclaré Amnesty International mardi 1er décembre, avant le cinquième anniversaire de l’attribution au Qatar du rôle de pays hôte de la Coupe du monde de la FIFA en 2022.

Malgré la forte exposition donnée aux conditions choquantes qui caractérisent le quotidien de la plupart des migrants travaillant dans le secteur du bâtiment, les autorités qatariennes n’ont presque rien fait pour mettre fin à l’exploitation des travailleurs, un problème chronique.

« Ce qui a été mis en place pour lutter contre les atteintes aux droits des travailleurs migrants est très insuffisant. Les retards persistants enregistrés dans le cadre de la réforme du droit du travail par le Qatar vont mener à une catastrophe en matière de droits humains », a déclaré Mustafa Qadri, spécialiste à Amnesty International du droit des migrants dans le Golfe.

« Les réformes proposées par le gouvernement ne permettent pas de s’attaquer aux problèmes fondamentaux laissant tant de travailleurs à la merci de leurs employeurs, et pourtant même l’adoption de ces changements a été retardée.

« Si des mesures ne sont pas prises – et rapidement -, alors chaque fan de football qui se rendra au Qatar en 2022 devra se demander comment il peut être sûr de ne pas profiter du sang, de la sueur et des larmes versés par des travailleurs migrants.

« La FIFA a joué un rôle dans cette piètre performance. Elle savait que le droit des travailleurs au Qatar posait problème. Elle doit collaborer étroitement avec les autorités qatariennes et les entreprises partenaires afin de garantir que la Coupe du monde ne se joue pas sur fond d’exploitation. »

Cinq ans plus tard, toujours pas de grandes réformes du droit du travail

Amnesty International a effectué cinq missions de recherche au Qatar ces quatre dernières années afin d’enquêter sur les conditions de travail de la population migrante, qui devrait compter 2 millions d’individus d’ici deux ans. Un rapport diffusé en mai 2015 a identifié neuf problèmes fondamentaux en matière de droit du travail. Le Qatar a gravement manqué à ses responsabilités en ce qui concerne cinq d’entre eux, notamment :

  • Le paiement des salaires à temps : un système de protection des salaires, en vertu duquel les entreprises paient leurs travailleurs à temps par virement bancaire direct, a été promulgué en février 2015 mais n’est entré en vigueur qu’en novembre. Les retards de paiement sont un problème fréquent qui plongent les travailleurs migrants et leurs familles restées dans leur pays dans des situations désespérées.
  • L’engagement de porter le nombre d’inspecteurs du travail à 400 avant la fin 2015 : reporté à la fin 2016
  • La réforme de la kafala, un système restrictif de parrainage, au cœur des problèmes rencontrés par les travailleurs migrants : des modifications restreintes promises en mai 2014 n’ont été introduites qu’en octobre 2015, et n’entreront en vigueur qu’à la fin 2016. Le nouveau système continuera à exiger que les migrants obtiennent l’aval de leur employeur pour changer de travail ou quitter le pays.

Ramesh (son nom a été changé), ouvrier du bâtiment, a expliqué à Amnesty International que le système entrave la capacité des travailleurs à faire valoir leurs droits :

« Je suis allé dans le bureau du patron et je lui ai dit que je voulais rentrer chez moi parce que mon salaire est toujours versé en retard. Il m’a hurlé dessus, me disant "continue à travailler ou tu ne partiras jamais !" »

« Dans le système de la kafala, il est bien trop facile pour un employeur peu scrupuleux de bénéficier de l’impunité lorsqu’il paie les salaires en retard, place les travailleurs dans des logements sordides et exigus, ou menace les travailleurs qui se plaignent des conditions. C’est pourquoi la kafala doit faire l’objet d’une refonte complète, et pas de réformettes », a déclaré Mustafa Qadri.

« Les travailleurs migrants continuent à être confrontés à des obstacles et des retards lorsqu’ils se tournent vers la justice, et ils ne sont pas autorisés à fonder ou rejoindre des syndicats. Des milliers d’entre eux continuent à connaître des difficultés pour bénéficier de services de base, de santé notamment, à subir des retards dans l’obtention du permis de résident, ou à vivre et travailler dans conditions intolérables. »

Le rôle crucial de la FIFA dans la lutte contre les abus

La FIFA n’a guère pris de mesures concrètes pour inciter le pays hôte de cet événement sportif phare à agir ces cinq dernières années, a déclaré Amnesty International. Récemment, la FIFA n’a pas tenu sa promesse, faite en mai, d’enquêter sur l’arrestation de journalistes britanniques et allemands qui ont essayé de faire la lumière sur les conditions de travail et de vie des travailleurs migrants.

Amnesty International demande à la FIFA de faire pression sur les autorités qatariennes afin qu’elles introduisent des mesures de protection des droits des travailleurs migrants et veillent à ce que celles-ci soient mises en œuvre.

L’organisation demande aussi à la FIFA et à ses partenaires commerciaux de mettre en place des systèmes de diligence requise en matière de droits humains, pour identifier et prévenir les violations des droits humains liées à la préparation de la Coupe du monde.

« La FIFA s’est donné du mal pour que la Coupe du monde au Qatar soit possible, allant jusqu’à prendre la décision sans précédent d’organiser le tournoi en hiver plutôt qu’en été. Mais à l’exception de déclarations publiques occasionnelles, l’organisation n’a pas fixé de programme clair et concret sur la manière dont elle entend pousser le Qatar à faire respecter les droits des travailleurs migrants », a déclaré Mustafa Qadri.

« Il est possible que la FIFA change de dirigeants en 2016, mais elle ne sera pas capable de surmonter ses difficultés actuelles si elle ne fait pas clairement passer le message que la tenue de la Coupe du monde au Qatar doit dépendre du respect des droits humains. »