Photo: David Goddard/Getty Images

Amnesty intente une action contre le gouvernement britannique devant la Cour européenne au sujet de la surveillance de masse

Amnesty International, Privacy International et Liberty ont annoncé vendredi 10 avril qu’elles intentaient une action auprès de la Cour européenne des droits de l’homme contre le gouvernement du Royaume-Uni au sujet de ses pratiques de surveillance de masse menées sans discrimination.

Ce recours judiciaire se fonde sur des documents divulgués par le lanceur d’alertes Edward Snowden, qui a dévoilé des pratiques de surveillance mises en œuvre à très grande échelle.

« Les pratiques de surveillance mises en œuvre par le gouvernement britannique se sont poursuivies sans relâche et dans des proportions sans précédent, et ont des conséquences majeures sur la vie privée des gens et la liberté d’expression. Personne n’est au-dessus des lois et la Cour européenne des droits de l’homme a maintenant l’occasion de l’affirmer haut et fort », a déclaré Nick Williams, conseiller juridique à Amnesty International.

La semaine dernière Amnesty International, Privacy International et Liberty ont déposé une requête conjointe auprès de la Cour de Strasbourg, après que l’Investigatory Powers Tribunal (IPT), qui a compétence pour juger les activités du Quartier général des communications du gouvernement britannique (GCHQ), du service de contre-espionnage militaire britannique (MI5) et du services de renseignement (MI6), a jugé que le cadre juridique du programme de surveillance généralisée mise en œuvre par le gouvernement britannique était conforme aux droits humains.

Toutefois, la grande majorité des procédures se sont tenues à huis clos.

« Il est absurde que le gouvernement ait été autorisé à s’appuyer sur l’existence de politiques et procédures secrètes débattues devant le tribunal derrière des portes closes, en vue de démontrer sa transparence aux yeux de la loi », a déclaré Nick Williams.

Ayant épuisé tous les recours au Royaume-Uni, et encouragées par l’effritement de la position légale du gouvernement, les organisations ont soumis une requête conjointe à la Cour européenne des droits de l’homme.

 « La surveillance de masse viole nos droits fondamentaux, a déclaré Carly Nyst, responsable juridique à Privacy International. Intercepter des millions de communications chaque jour et en recevoir des millions d’autres en secret de la NSA n’est ni nécessaire ni proportionnel aux besoins.

La plus haute instance européenne en matière de droits humains veille depuis longtemps à ce que les services de renseignements agissent dans le respect du droit relatif aux droits humains. Nous espérons qu’elle perpétuera cette tradition et que le GCHQ sera tenu finalement de rendre des comptes pour sa surveillance effrénée des communications de par le monde. »

Selon la requête conjointe, la législation britannique, qui régit l’interception des communications par les services de renseignements britanniques et leurs pratiques de partage de renseignements avec les États-Unis, bafoue le droit à la vie privée et à la liberté d’expression, et le droit de ne pas être exposé à des discriminations, droits fondamentaux que garantit la Convention européenne des droits de l’homme.

« Le gouvernement n’a cessé de répéter " Faites-nous confiance, nous agissons dans l’intérêt de la sécurité nationale " ; or, sécurité nationale et droits fondamentaux de la personne humaine ne s’excluent pas mutuellement, a déclaré Nick Williams.

« En s’acquittant du devoir de protéger les citoyens, le gouvernement ne doit pas délaisser ses autres obligations relatives aux droits humains et doit accepter de se soumettre à l’examen du public et à l’obligation de rendre des comptes. »

Publié le 12 mars, le rapport de la Commission parlementaire sur le renseignement et la sécurité, commission chargée de surveiller le renseignement britannique, fait écho aux préoccupations d’Amnesty International concernant le manque de transparence de la législation en vigueur et propose une révision de fond du cadre juridique existant.

Cependant, ce rapport  défend le programme de surveillance de masse du GCHQ en tant qu’outil légitime de recueil d’informations. Amnesty International s’oppose à ce point de vue, arguant que la surveillance de masse non ciblée, étant par nature disproportionnée, constitue une violation fondamentale des droits à la vie privée et à la liberté d’expression.

Ce programme, baptisé TEMPORA, confère au gouvernement l’accès à d’énormes quantités de données sur des millions de personnes.

 « C’est uniquement grâce aux révélations d’Edward Snowden et aux quelques informations que nous avons été en mesure, avec les autres plaignants, de soutirer au gouvernement que nous savons un tant soit peu ce que font réellement les services de renseignements, a déclaré James Welch, responsable juridique à Liberty.

Le Tribunal pense qu’il y a suffisamment de garde-fous pour nous protéger contre une violation massive de notre vie privée. Nous ne sommes pas d’accord, et nous espérons que la Cour européenne fera savoir à nos services de sécurité qu’ils ne peuvent pas opérer dans le secret quasi complet. »

 « En raison de cette surveillance généralisée, il est de plus en plus difficile pour des organisations comme Amnesty International de faire leur travail en faveur des droits humains. Il est crucial que nous puissions demander et recevoir des informations d’intérêt public de nos sources confidentielles, sans aucune intrusion du gouvernement », a déclaré Nick Williams.

Des failles juridiques

Au cours des 12 mois de procès entre le gouvernement et les ONG, des failles importantes dans le système juridique du Royaume-Uni ont été dévoilées, notamment :

  • Des « arrangements » auparavant tenus secrets qui permettent aux services de renseignements britanniques d’obtenir sans mandat l’accès à des données en nombre émanant d’agences de renseignements étrangères, comme l’Agence nationale de la sécurité (NSA) américaine, lorsqu’il ne leur est pas « techniquement faisable » de les obtenir eux-mêmes.
  •  Aux termes du droit britannique, les services de renseignements peuvent obtenir des mandats généraux autorisant une surveillance massive, sans discrimination, mandats approuvés par le ministre et renouvelés à échéance régulière.
  • Selon le gouvernement britannique, le fait d’engager une surveillance non ciblée de chaque utilisateur de Google, Facebook, Twitter et YouTube dans le pays se justifie, même si cet utilisateur n’est pas soupçonné d’être impliqué dans une infraction, en redéfinissant secrètement leur utilisation en tant que « communications externes ».

L’action intentée contre le gouvernement britannique fait suite aux récentes évolutions des affaires soumises par Amnesty International, qui constituent des revers importants pour la position légale du gouvernement britannique :

  •  Le 6 février, l’Investigatory Powers Tribunal a statué que les services de renseignements britanniques agissaient illégalement en accédant à des millions de communications privées recueillies par l’Agence nationale de la sécurité (NSA). Par cette décision, le tribunal s’est prononcé pour la toute première fois contre les actions des services britanniques de sécurité et de renseignement.
  • Le 18 février, le gouvernement britannique a reconnu que le régime régissant l’interception, l’obtention et l’analyse d’informations juridiquement privilégiées bafouait la Loi relative aux droits humains.

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