Dans un nouveau rapport, Amnesty International montre que les autorités zimbabwéennes recourent à la violence et à des mesures de répression brutales contre les manifestants, notamment à des homicides et des actes de torture, entre autres violations graves des droits humains, pour réprimer les actions de protestation contre la hausse du prix des carburants qui ont débuté le 14 janvier.
Amnesty International s’est entretenue avec les proches de certaines des 15 personnes tuées par les forces de sécurité depuis le début des manifestations, et a rendu compte de manière détaillée de la façon dont les autorités usent d’une force meurtrière et excessive, par exemple en utilisant des gaz lacrymogènes, des matraques, des canons à eau et des balles réelles, pour museler la dissidence.
« Les autorités zimbabwéennes ont eu recours aux méthodes les plus brutales qui soient pour réprimer les manifestations contre la hausse du prix des carburants. Les homicides, les informations faisant état de viols commis par des militaires et les arrestations arbitraires de nombreux manifestants et non-manifestants ont remis en cause l’espoir que le gouvernement du président Emmerson Mnangagwa pourrait offrir aux Zimbabwéens un avenir meilleur, où le respect des droits humains serait la norme », a déclaré Muleya Mwananyanda, directrice adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique australe.
« Un très grand nombre de de défenseurs des droits humains, de militants et de dirigeants de l’opposition et de la société civile soupçonnés d’avoir organisé des manifestations sont entrés dans la clandestinité, craignant pour leur vie, alors que la chasse aux sorcières orchestrée par l’État se poursuit. Plusieurs femmes craignent le pire après avoir été, selon les informations recueillies, violées par des soldats en uniforme. »
Le 14 janvier, la principale organisation syndicale du Zimbabwe a appelé à la grève générale pour protester contre la hausse de 150 % du prix des carburants annoncée par le président Emmerson Mnangagwa. Le gouvernement a réagi en déployant des unités de l’armée, de la police et du renseignement dans les villes et dans d’autres zones d’habitation, mettant en œuvre l’une des répressions les plus brutales de l’histoire récente du Zimbabwe.
Plus de 1 000 arrestations
Dans son nouveau rapport (en anglais), intitulé Open for business, closed for Dissent, Amnesty International fait état de cas de torture, d’arrestations et détentions arbitraires massives, et de procès accélérés dans le cadre desquels les demandes de libération sous caution sont régulièrement rejetées. Plus de 1 000 personnes ont été arrêtées arbitrairement à la suite de manifestations, et certaines d’entre elles ont été traduites en justice dans le cadre de procès non conformes aux normes internationales d’équité.
Des témoins ont indiqué à Amnesty International que les actes de torture et autres mauvais traitements étaient très répandus ; on aurait notamment fait rouler des victimes dans des eaux d’égout ou des cendres de pneus brûlés.
L’organisation a également connaissance d’au moins 13 cas de viols et autres agressions sexuelles contre des femmes imputables à des policiers et à des militaires. L’organisation a vérifié de manière indépendante des rapports de police internes faisant apparaitre l’implication de militaires dans des homicides, des vols à main armée et des viols.
La mort de dizaines de personnes a été confirmée à la suite des manifestations liées à la grève générale. Ainsi, Elvis Nyoni a été tué par balle le 14 janvier par la police antiémeute devant l’immeuble de Chishawasha Flats, à Mbare. Quand il a été abattu, il essayait de venir en aide à une femme âgée portant un bébé, qui suffoquait à cause des gaz lacrymogènes.
Dans une autre affaire, un commerçant du secteur informel, Solomon Nyaruwa, a été tué par balle le 15 janvier par un policier non identifié à Marondera, une ville du Mashonaland-Est, à 72 kilomètres environ de Harare. Lorsqu’il a été abattu, il était allé en ville pour recouvrer une dette et fuyait les tirs de la police aux côtés de manifestants.
Kelvin Tinashe Choto, 22 ans, un joueur de football de Chitungwiza (banlieue résidentielle de Harare), a été touché à la tête par les tirs des forces de sécurité devant son domicile le 14 janvier, au cours d’une manifestation. Il est mort sur le coup et son corps a été transporté au poste de police de Makoni par des habitants en colère.
« C’était mon seul fils et il avait un bel avenir devant lui. J’ai été volé par l’État », a dit le père de Kelvin à Amnesty International.
Usage systématique de la torture
De très nombreuses personnes, y compris des enfants, ont été soumises à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements, soit à titre de sanction pour leur participation présumée aux manifestations, soit en guise d’avertissement, pour les dissuader d’y prendre part. Amnesty International a consulté des séquences vidéo et des photos de personnes blessées, qui avaient été rouées de coups. Une ONG juridique locale, Avocats du Zimbabwe pour les droits humains (ZHLR), a confirmé que plus d’une dizaine de personnes qu’elle représentait affirmaient avoir été torturées.
Amnesty International a confirmé que des médecins avaient pris en charge 343 personnes blessées lors de manifestations ou après leur arrestation. Parmi elles, 78 personnes avaient été blessées par balle et quatre avaient été mordues par des chiens lâchés sur elles par les forces de l’ordre. D’autres avaient été frappées à coups de botte ou au moyen d’instruments contondants tels que des bûches, et certaines avaient été traînées sur le bitume. Le nombre réel de blessés est probablement plus élevé, car beaucoup de gens ont eu trop peur pour se faire soigner et la plupart des hôpitaux publics n’étaient pas accessibles aux personnes blessées pendant les manifestations.
Ciblage des militants et des organisateurs des manifestations
Nombre d’éminents défenseurs des droits humains, militants, dirigeants de la société civile et leaders de l’opposition ont été pris pour cibles par la police pour leur rôle réel ou supposé dans l’organisation des manifestations.
Evan Mawarire, pasteur et militant local bien connu, a été arrêté par la police à son domicile, à Harare, le 16 janvier à l’aube. Emmené par une dizaine de policiers armés de fusils AK-47, il a ensuite été inculpé d’incitation à la violence publique et de « déstabilisation d’un gouvernement constitutionnel ». Evan Mawarire a dénoncé ouvertement les difficultés que vivent de nombreuses personnes dans le contexte économique actuel. Il a été libéré sous caution après avoir passé quinze jours en prison. Evan Mawarire est dans la ligne de mire des autorités depuis longtemps. Il avait déjà été arrêté en 2016, après avoir dénoncé la corruption au sein du gouvernement de l’ancien président Robert Mugabe.
Japhet Moyo, secrétaire général de la Confédération syndicale du Zimbabwe (ZCTU), l’organisation syndicale qui avait appelé à la grève générale, a été arrêté le 21 janvier à l’aéroport international Robert Gabriel Mugabe. Il a été inculpé de tentative de déstabilisation d’un gouvernement constitutionnel. Japhet Moyo a comparu devant le tribunal le 23 janvier 2019 et s’est vu refuser une libération sous caution. Il a été libéré sous caution ultérieurement, le 1er février. Placé en détention sur la base d’accusations similaires, le président de la ZCTU, Peter Mutasa, a lui aussi été libéré sous caution le 1er février. Beaucoup d’autres personnes sont entrées dans la clandestinité ou ont fui le pays.
Amnesty International appelle les autorités zimbabwéennes à mettre fin immédiatement à la répression des droits humains et aux attaques contre les manifestants pacifiques, les défenseurs des droits humains, les militants, les dirigeants de la société civile et les sympathisants de l’opposition. Toutes les victimes de recours excessif à la force doivent avoir accès à la justice et à un recours effectif, y compris à une indemnisation adéquate et à des garanties de non-répétition. Les auteurs présumés doivent être traduits en justice dans le cadre de procès équitables.
« Les autorités zimbabwéennes ne pourront jamais convaincre que le pays est prêt à faire des affaires si elles continuent à réprimer quiconque ose les critiquer. Les gens doivent être autorisés à exprimer pacifiquement leurs opinions, même si le gouvernement ne les apprécie pas », a déclaré Muleya Mwananyanda.
« D’autres membres de la communauté internationale ont également un rôle à jouer, y compris ceux qui ont soutenu la « nouvelle aube » du président Mnangagwa. Il est temps qu’ils prennent position sans ambiguïté et qu’ils condamnent publiquement l’escalade des violations des droits humains au Zimbabwe. »