Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Visite au camp de réfugiés syriens de Zaatri : « Dommage que je ne puisse pas vous recevoir dans notre belle maison au pays »

Par Neil Sammonds, spécialiste de la Syrie à Amnesty International

Le camp de réfugiés de Zaatri, en Jordanie, se trouve à 12 kilomètres au sud de la frontière syrienne. Plus de 130 000 personnes ayant fui le conflit en Syrie vivent sur place, une bande de terre large de 7 kilomètres située dans une plaine désertique et inhabitée par ailleurs, dans un enchevêtrement de tentes improvisées dans l’urgence et de mobile-homes ou de « caravanes ».

Face à la lumière aveuglante du soleil, une jeune femme portant une abaya noire se plaque avec un bébé contre un mur blanc, dans une bande ombragée d’environ 50 cm. Des nuages de poussière, soulevés par le vent ou des camions qui passent, balaient ce paysage aride.

La plupart des réfugiés n’ont amené guère plus que ce qu’ils pouvaient porter et le souvenir de l’oppression et du conflit armé en Syrie. Certains nous montrent les chaussures et sandales élimées et hors d’usage avec lesquelles ils ont effectué le difficile trajet les ayant menés jusqu’en Jordanie.

La grande majorité des réfugiés que nous rencontrons ont fui le gouvernorat de Deraa, dans le sud, où de vastes actions de protestation appelant au changement en Syrie ont commencé il y a plus de deux ans.

« Ils m’ont arrêté parce que j’aspirais à la liberté », dit doucement Ahmed, qui respire avec difficulté. Il est assis, jambes croisées, dans la « caravane » où vit sa famille. Tandis qu’il parle, son jeune fils parcourt rapidement sur son téléphone portable plusieurs vidéos montrant des membres des forces syriennes de sécurité frappant et piétinant des hommes menottés. Ahmed souffre de problèmes cardiaques, exacerbés par près de deux ans de détention durant lesquels il dit avoir torturé. Je demande si je peux prendre des notes sur son incarcération et les mauvais traitements qu’il a subis, mais ses yeux se voilent et il baisse la tête. Je décide de ne pas sortir mon carnet.

Wafa, une femme d’une trentaine d’années se trouvant dans la même caravane raconte que son bébé est mort il y a plusieurs mois dans un hôpital de Deraa qui manquait de moyens. Elle porte encore le deuil de son enfant. « Il n’y avait qu’un seul médecin sur place, et le bébé avait besoin d’oxygène. Il n’y en avait pas. Le bébé est mort », a-t-elle résumé.

Si beaucoup sont clairement opposés au gouvernement du président syrien Bachar el Assad et à ses forces de sécurité, d’autres semblent indifférents. Abu Hamza, chauffeur, et sa famille vivent actuellement dans une tente en toile poussiéreuse. « Je ne suis pas allé aux manifestations. La politique ne m’intéresse pas », dit-il. « Nous sommes partis à cause des pilonnages et des tireurs embusqués. »

À Zaatri, cette famille est confrontée à d’autres problèmes. « Il n’y a pas assez d’eau. Les toilettes sont trop loin. Mes enfants ne sont allés à l’école que deux ou trois fois. Ils s’ennuient et ils en ont marre. Bien entendu, il n’y a pas de travail ici. Je n’ai pas quitté Zaatri une seule fois en trois mois. Où pourrais-je aller ? »

Zaatri est désormais le deuxième plus grand camp de réfugiés du monde. La plupart des réfugiés syriens résident cependant dans des logements locatifs privés.

Beaucoup d’autres ont fui vers des pays voisins : l’Égypte, l’Irak, le Liban et la Turquie.

Et ils sont toujours plus nombreux. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le nombre de réfugiés ayant fui la Syrie a dépassé le million pour la première moitié de 2013 – chiffre supérieur à celui des nouveaux réfugiés enregistrés dans le monde entier pour l’année 2012 toute entière.

Et beaucoup se préparent à rester pour un bon moment. Des centaines de magasins auraient fait leur apparition dans le camp, vendant cartes téléphoniques, habits de mariage et sucreries arabes.

En dépit de sa difficile situation, un jeune couple nous invite généreusement dans sa tente. « Dommage que je ne puisse pas vous recevoir dans notre belle maison au pays », nous dit Dina, résidente du camp, avec un sourire triste. Ils font tout leur possible pour créer un foyer. À un bout de la tente, de l’eau marron tourbillonne dans une petite machine à laver.

Le camp est désorganisé et les conditions de vie sont manifestement éprouvantes. Il y a des raccords sur les câbles électriques, ce qui provoque coupures et protestations. De nombreux réfugiés sont traumatisés, exaspérés et en colère. La plupart sont jeunes et n’ont pas grand-chose à faire. La petite délinquance est un problème croissant. Cinquante-cinq robinets ont tous été volés dans l’heure ayant suivi leur installation, nous a-t-on dit. Même le poste de police du camp a été démonté et emporté en pièces détachées.

La fin du conflit syrien paraissant lointaine, les réfugiés de Zaatri et d’ailleurs devront sans doute attendre longtemps avant de pouvoir retourner chez eux. Si la Jordanie a, et c’est tout à son honneur, en grande partie maintenu ses frontières ouvertes pour ces très nombreux réfugiés, elle n’a pas énormément de ressources. La communauté internationale doit accepter de réinstaller les réfugiés vulnérables, et veiller à ce que la Jordanie et les autres pays d’accueil soient dotés des ressources financières et techniques nécessaires pour protéger et assister les réfugiés originaires de Syrie, jusqu’à ce qu’il puissent enfin rentrer chez eux.