Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Venezuela. La « chasse aux sorcières » contre les dissidents s’intensifie sur fond de crise politique

Les autorités vénézuéliennes utilisent le système judiciaire de manière illégale pour intensifier les persécutions et les sanctions à l’égard de ceux qui ne partagent pas leurs opinions, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport (en anglais) publié le 26 avril, alors que plusieurs personnes sont mortes et des centaines ont été blessées et emprisonnées dans le contexte des manifestations qui se multiplient dans tout le pays.

Ce rapport, intitulé Silenced By Force: Politically-Motivated Arbitrary Detentions in Venezuela, donne des informations détaillées sur toute une série d’actions illégales commises par les autorités vénézuéliennes pour réprimer la liberté d’expression.

Il s’agit notamment d’arrestations auxquelles le Service bolivarien de renseignement national (Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional, SEBIN) a procédé sans mandat, de poursuites engagées contre des militants non violents pour des infractions « contre la patrie », du recours injustifié à la détention provisoire et de campagnes de diffamation dans les médias à l’encontre de membres de l’opposition.

« Au Venezuela, la dissidence est interdite. Il semble qu’il n’y ait aucune limite à la détermination des autorités lorsqu’il s’agit d’employer des moyens juridiques on ne peut plus variés pour punir ceux qui expriment un point de vue différent de la position officielle », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International.

« Au lieu de s’obstiner à faire taire toute voix dissidente, les autorités vénézuéliennes devraient se concentrer sur la recherche de solutions concrètes et durables à la crise profonde à laquelle le pays est confronté. »

Le 11 janvier 2017, des agents du SEBIN ont arrêté Gilber Caro, député de l’opposition, ainsi que Steicy Escalona, militante du parti d’opposition Voluntad Popular (Volonté populaire), et deux membres de la famille de cette militante, au niveau d’un poste de péage alors qu’ils revenaient à Caracas.

Le même jour, le vice-président de la République a affirmé à la télévision qu’une arme à feu et des explosifs avaient été confisqués à Gilber Caro et Steicy Escalona. Il a ajouté que le député était impliqué dans des activités terroristes, indiquant qu’il avait traversé clandestinement la frontière avec la Colombie.

Steicy Escalona a été déférée à un tribunal militaire et inculpée de vol de biens militaires et de rébellion. Gilber Caro a été emmené dans un établissement carcéral. En mars 2017, il n’avait toujours pas été présenté à un juge pour que sa situation au regard de la loi soit déterminée.

Le cas de Gilber Caro et de Steicy Escalona n’est qu’un exemple des nombreuses stratégies qu’utilisent les autorités vénézuéliennes pour tenter de réduire l’opposition au silence, à l’heure où les manifestations se multiplient dans le pays.

Dans la plupart des cas, les accusés sont poursuivis pour des infractions graves telles que « trahison de la patrie », « terrorisme ou vol de biens militaires » ou « rébellion », qualifications qui permettent de recourir à la détention provisoire même lorsqu’il n’existe pas suffisamment de preuves recevables pour étayer les charges.

Les infractions de ce type relèvent de juridictions spéciales, notamment militaires, qui ne sont pas indépendantes, sont rarement impartiales et ne devraient pas juger des civils.

Amnesty International a également recueilli des informations sur le cas de détenus dont les contacts avec leur famille ou leurs avocats sont restreints, ce qui les expose particulièrement à de graves violations des droits humains, notamment des actes de torture et d’autres mauvais traitements.

Yon Goicochea, leader étudiant et dirigeant actuel de Voluntad Popular, a été arrêté le 29 août 2016 par des individus non identifiés qui circulaient à bord d’une camionnette dépourvue de plaque d’immatriculation, selon des témoins de la scène.

Son arrestation a finalement été confirmée par un haut responsable du parti au pouvoir, le Parti socialiste unifié du Venezuela (Partido Socialista Unido de Venezuela, PSUV), qui a indiqué que Yon Goicochea avait été arrêté pour port d’explosifs, affirmant que ceux-ci devaient être utilisés lors d’une manifestation de l’opposition le 1er septembre.

Malgré les efforts considérables déployés par la famille de Yon Goicochea, le lieu où il se trouvait n’a pu être déterminé qu’environ 13 heures après son dernier contact avec elle.

Les proches de Yon Goicochea sont restés sans nouvelles de lui après son arrestation jusqu’à ce que l’on apprenne qu’il était détenu à El Helicoide, le siège du SEBIN, à Caracas. Le militant a été présenté à un tribunal. Cependant, selon des informations communiquées à Amnesty International, il a été maintenu en détention au secret jusqu’au 1er septembre 2016.

Depuis le 20 octobre 2016, une décision de justice reconnaît que toutes les conditions requises pour sa libération sont réunies, le ministère public n’ayant pas trouvé suffisamment d’éléments contre lui pour engager des poursuites. Pourtant, Yon Goicochea est toujours détenu par le SEBIN et, selon sa famille, le tribunal chargé du dossier n’est pas ouvert au public depuis décembre 2016.

« Le fait que des personnes soient maintenues en détention au Venezuela en l’absence de charges à leur encontre montre à quel point la situation des droits humains dans ce pays est dramatique », a déclaré Erika Guevara-Rosas.