Mardi 8 avril, le tribunal municipal de Saint-Pétersbourg a débouté une importante organisation non gouvernementale (ONG) russe de son appel contre un jugement antérieur la contraignant à s’inscrire sur le registre des « agents de l’étranger ». Cette décision constitue une attaque judiciaire contre la totalité de la société civile en Russie, a déclaré Amnesty International.
Le Centre antidiscrimination Memorial (ADC Memorial), qui défend les droits humains des victimes du racisme et de la xénophobie en Russie, a décidé de mettre fin à ses activités en Russie plutôt que d’être étiqueté comme « agent de l’étranger » ou de risquer de voir sa directrice poursuivie pour défaut d’inscription.
« Le tribunal avait le choix entre deux solutions, et n’a pas opté pour la justice et les droits humains. La décision affligeante qu’il a prise correspond à la tendance dominante promue par le gouvernement russe, qui entend marquer de son sceau toutes les activités de la société civile. Ce jugement crée un précédent dangereux, qui pourrait être utilisé contre d’autres ONG, a déclaré Sergueï Nikitine, directeur du bureau de Moscou d’Amnesty International.
« Les autorités russes privent délibérément la société russe de toute parole différente, du nécessaire contrepoids aux actions du gouvernement. Elles s’en prennent à quiconque ose les critiquer. »
Les persécutions contre ADC Memorial ont débuté il y a plus d’un an ; c’est alors que les services du procureur ont affirmé que son rapport sur les violences policières envers les Roms, migrants et militants, présenté au Comité des Nations unies contre la torture en novembre 2012, montrait que l’organisation était impliquée dans des « activités politiques » et enfreignait donc la loi récemment adoptée par la Russie en ne se déclarant pas comme « agent de l’étranger ».
L’ONG s’est sortie victorieusement de deux procédures judiciaires engagées par les services du procureur en mai et juillet 2013. Cependant, le 12 décembre 2013, un tribunal de Saint-Pétersbourg a accédé à la demande formulée une nouvelle fois par les services du procureur, estimant que toutes les activités d’ADC Memorial étaient « politiques » et exigeant que l’ONG s’inscrive sur le registre des « agents de l’étranger ».
Après la décision du 8 avril 2014, Stefania Koulaeva, directrice d’ADC Memorial, a confié sa déception à Amnesty International :
« La procédure n’a pas été impartiale. Nos arguments n’ont pas été écoutés. Nos avocats étaient sans cesse interrompus, alors que le parquet s’exprimait en toute liberté ».
La loi sur les « agents de l’étranger », adoptée il y a plus d’un an, donne aux autorités russes le pouvoir d’infliger de lourdes amendes et sanctions administratives aux organisations qui reçoivent des financements étrangers et mènent des « activités politiques » définies selon des critères imprécis, sans s’être déclarées comme « organisations remplissant les fonctions d’agent de l’étranger ».
La décision judiciaire contre ADC Memorial a été prise le jour même où la Cour constitutionnelle russe concluait à la constitutionnalité de la loi sur les « agents de l’étranger » Plusieurs ONG et le médiateur chargé des droits humains, Vladimir Loukine, avaient contesté la conformité à la Constitution de cette loi au motif qu’elle violait les droits à la liberté d’expression et d’association, deux droits que la Constitution russe est censée protéger.
« Il apparaît de plus en plus clairement que les autorités russes sont résolues à piétiner par tous les moyens la société civile », a déclaré Sergueï Nikitine.