La publication d’un nouveau manuel scolaire d’histoire qui, entre autres choses, justifie la guerre d’agression de la Russie en Ukraine en affirmant qu’il s’agit d’un acte de légitime défense et bafoue le droit des enfants à une éducation adaptée et de qualité, est une tentative dangereuse d’endoctriner les futures générations, a déclaré Amnesty International le 1er septembre 2023.
Le manuel, qui regorge de clichés de propagande officielle russe et vise à justifier les actions illégales de la Russie allant de l’annexion de la Crimée en 2014 à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, sera un élément obligatoire du programme pour les élèves de lycée en Russie et dans les territoires ukrainiens sous occupation russe qui reprendront les cours le 1er septembre.
« Le manuel dissimule la vérité et donne une représentation trompeuse des faits concernant les graves atteintes aux droits humains et crimes de droit international commis par les forces russes contre la population ukrainienne », a déclaré Anna Wright, chercheuse sur l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International.
« L’endoctrinement des enfants à un stade vulnérable de leur développement est non seulement une tentative cynique d’éradiquer la culture, l’identité et le patrimoine ukrainiens, mais aussi une violation du droit à l’éducation », a déclaré Anna Wright.
La propagande russe intégrée au programme scolaire
Le manuel vise les élèves de lycée et décrit la Russie comme la victime d’un complot de l’occident et non pas comme l’agresseur. Il affirme qu’avant l’invasion à grande échelle lancée par la Russie en Ukraine, des conseillers de l’OTAN préparaient activement l’Ukraine à « attaquer le Donbass », une référence aux zones dans l’est de l’Ukraine sous occupation russe depuis 2014.
Il affirme également que si l’Ukraine avait été autorisée à devenir membre de l’OTAN, cela aurait pu entraîner une guerre destructrice et « potentiellement la fin de la civilisation », ce que la Russie n’avait d’autre choix que d’empêcher.
Le nouveau manuel explique que l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie est une « opération militaire spéciale » et cite les propos tenus par le président Vladimir Poutine le 24 février 2022, le jour où il a ordonné l’invasion : « C’est une question de vie ou de mort, la question de notre avenir historique en tant que peuple ».
Non seulement les fausses informations présentées dans le manuel privent les enfants en Russie et dans les territoires ukrainiens occupés de leur droit à une éducation de qualité (plus de 500 établissements scolaires ukrainiens sont maintenant sous contrôle russe), mais elles constituent par ailleurs une attaque contre les droits de la population ukrainienne à la culture, au patrimoine et à l’identité.
En tant que puissance occupante dans les territoires ukrainiens sous son contrôle, la Russie est tenue par ses obligations en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à la Convention relative aux droits de l’enfant. Cela comprend l’obligation de respecter, protéger et mettre en œuvre le droit à l’éducation et de ne pas bafouer ce droit en endoctrinant les élèves par la propagande.
Les parents et membres du corps enseignant ukrainiens menacés
Les parents, membres du corps enseignant et élèves des zones occupées par la Russie en Ukraine s’exposent à des violences, des détentions arbitraires et de mauvais traitements s’ils refusent de suivre le programme russe, introduit dans les écoles en septembre 2022.
Les autorités d’occupation disposent des noms et adresses des enfants en âge d’être scolarisés dans ces zones. Des responsables du ministère de l’Éducation peuvent se présenter chez eux et exiger la présence d’un enfant à l’école. Ces responsables menacent souvent de sanctions les parents refusant d’envoyer leurs enfants dans des écoles enseignant le programme russe.
Les organes d’application des lois russes mènent des vérifications régulières des appareils électroniques et s’ils y trouvent des contenus ou logiciels destinés à l’enseignement en ligne suivant le programme ukrainien, les conséquences peuvent être graves et aller jusqu’à l’arrestation et les mauvais traitements.
Iouri* (son nom a été modifié), père de trois enfants vivant dans un village près de Nova Kakhovka (il a demandé que le nom de son village ne soit pas cité), a déclaré qu’après l’invasion à grande échelle par la Russie, sa fille avait commencé à suivre le programme scolaire ukrainien en ligne et qu’elle avait continué de le faire après l’imposition du programme russe dans les établissements scolaires.
En octobre 2022, quelques jours après la visite d’un représentant russe chez lui, qui avait demandé à Iouri pourquoi sa fille n’assistait pas aux cours, Iouri a été arrêté arbitrairement par les autorités russes car il refusait d’inscrire sa fille dans une école russe. Il a été détenu six jours, au cours desquels il a été victime de mauvais traitements. « Ils ne m’ont frappé qu’un jour. Ils nous ont nourris, pas très bien. Ils voulaient aussi que nous chantions l’hymne national russe », a-t-il déclaré.
Mariya*, qui est originaire de Nova Khakovka et a quitté les territoires ukrainiens occupés par la Russie en septembre 2022, a déclaré à Amnesty International qu’un soldat russe avait donné un coup de pied au téléphone de sa fille alors qu’elle l’avait à la main lorsqu’il avait sonné et que la sonnerie était une chanson ukrainienne.
Certains membres du corps enseignant dans les territoires occupés refusent d’enseigner le programme russe, sachant qu’ils s’exposent ainsi de graves risques pour leur propre sécurité.
Alina*, professeure d’histoire d’Izioum, a déclaré à des membres d’une équipe de recherche d’Amnesty que pendant les mois d’occupation russe, elle était terrorisée d’enseigner l’histoire ukrainienne et qu’elle cachait ses manuels chez elle. Lors de fouilles d’appartements menées par des soldats russes dans son quartier, elle dissimulait sous une couverture les manuels et les cartes présentant la Crimée comme faisant partie de l’Ukraine, ainsi que les autres ressources d’enseignement.
Lorsque son quartier a été endommagé par un bombardement, des soldats russes ont pillé le bâtiment. Alina a déclaré à Amnesty International que, par chance, ses livres n’avaient pas été découverts pendant la descente dans son appartement, car « il ne leur a pas paru intéressant, ils ont vu qu’il n’y avait rien de valeur ».
Complément d’information
Amnesty International recueille des informations sur les crimes de guerre et d’autres violations du droit international humanitaire depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Toutes ses publications à ce jour se trouvent sur cette page.