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Turquie. Les nouvelles manifestations suscitent des inquiétudes quant aux livraisons de gaz lacrymogène

Tous les pays doivent suspendre les livraisons de gaz lacrymogène, d’autres projectiles antiémeutes et de véhicules blindés à destination de la Turquie tant que les autorités turques ne pourront pas garantir le droit de réunion pacifique et la liberté d’expression des manifestants, a souligné Amnesty International jeudi 12 septembre.

L’organisation est inquiète car la police a de nouveau employé abusivement de grandes quantités de gaz lacrymogène et des canons à eau pour disperser des manifestations – dont certaines violentes – à Istanbul et dans d’autres villes du pays au cours des trois derniers jours. Cette nouvelle vague de protestation a été déclenchée par la mort d’un jeune manifestant dans des circonstances troubles lorsque la police a réprimé une manifestation dans la province de Hatay (sud de la Turquie) dans la nuit de lundi à mardi.

« Le fait que la police turque soit revenue à l’usage abusif de la force face aux manifestations met en évidence la nécessité que tous les pays suspendent leurs livraisons de gaz lacrymogène, d’autres projectiles antiémeutes et de véhicules de police blindés à destination de la Turquie, jusqu’à ce que des mesures aient été prises pour empêcher de tels cas de morts et de blessés, a déclaré Andrew Gardner, spécialiste de la Turquie au sein d’Amnesty International.

« Nous appelons les États à prendre position et à faire pression sur les autorités turques pour qu’elles respectent le droit de manifester pacifiquement et mettent fin au recours excessif à la force. »  

Nouvelles livraisons de gaz lacrymogène
Selon certaines informations parues dans les médias, la police turque a demandé une commande exceptionnelle d’équipements antiémeutes – dont 100 000 grenades lacrymogènes et plus de 100 véhicules blindés. Le gaz lacrymogène pourrait venir du Brésil, d’Inde, de Corée du Sud et des États-Unis, qui sont quatre de ses fournisseurs connus. Selon certaines sources, une commande encore plus conséquente a été passée et la police nationale a déjà acheté 150 000 cartouches en 2013 dans le cadre de son plan d’approvisionnement annuel.

Les nouvelles livraisons réapprovisionneront les stocks très réduits ou endommagés plus tôt dans l’année, lorsque la police a utilisé abusivement des grenades lacrymogènes et d’autres produits irritants, tels que du gaz poivre et des canons à eau, et recouru à une force excessive en tirant des balles en plastique au cours des manifestations pacifiques qui ont commencé fin mai.

Mort d’Ahmet Atakan
Décédé aux premières heures du mardi 10 septembre, Ahmet Atakan venait de participer à une manifestation contre – entre autres choses – la mort d’un autre manifestant, Abdullah Cömert, touché par une grenade lacrymogène tirée par la police le 3 juin.

Les informations relatives aux circonstances de la mort d’Ahmet Atakan demeurent contradictoires – les autorités affirment qu’il est tombé d’un immeuble, tandis que certains témoins indiquent qu’il a également été touché par une grenade lacrymogène. Une enquête sur sa mort est en cours. Amnesty International engage les autorités à veiller à ce qu’elle soit impartiale, efficace et menée dans les meilleurs délais.

Persistance de l’utilisation abusive du gaz lacrymogène
Face aux manifestations organisées depuis mai, la police et les forces de sécurité turques ont employé du gaz lacrymogène, des balles en plastique et des canons à eau de façon excessive, injustifiée et arbitraire pour disperser les manifestants.

D’après l’Ordre des médecins de Turquie, plus de 8 000 personnes ont été blessées lors des manifestations. Des éléments extrêmement probants indiquent que trois des cinq précédents décès liés aux manifestations dans le parc Gezi sont dus à l’usage abusif de la force par la police.

Selon certains médias, la police turque a utilisé 130 000 cartouches de gaz lacrymogène durant les 20 premiers jours des manifestations. Cette utilisation a fortement réduit le stock de 150 000 cartouches prévu dans le plan d’approvisionnement annuel de la police.

Amnesty International et d’autres organisations présentes sur le terrain ont signalé que le gaz lacrymogène avait été employé à mauvais escient dans des lieux confinés où il présentait un risque accru pour la santé.

« Plusieurs mois se sont écoulés et les autorités turques n’ont toujours pas mené d’enquête indépendante et impartiale sur le recours généralisé et abusif à la force par la police contre des manifestants pacifiques à Istanbul et dans d’autres villes, a ajouté Andrew Gardner.

« Les partenaires internationaux – notamment l’Union européenne – doivent prier instamment les autorités turques de traduire en justice les responsables présumés du recours excessif à la force et de veiller à ce que tous les policiers soient formés comme il se doit pour répondre aux manifestations pacifiques conformément aux normes internationales. »

Traité sur le commerce des armes
Amnesty International a noté que le recours abusif et illégal à la force contre les manifestants par les forces de sécurité en Turquie soulignait également l’urgence de l’entrée en vigueur du Traité sur le commerce des armes (TCA) récemment adopté, que la Turquie a signé le 2 juillet 2013.

Ce traité contient des critères destinés à garantir une évaluation des risques avant toute autorisation d’exportation d’armes classiques, et son article 5 incite les États à appliquer les dispositions du texte à une gamme aussi large que possible d’armes classiques. Au regard des listes de contrôle très élaborées ayant fait l’objet d’accords internationaux, les produits irritants, les projectiles, le matériel servant à les lancer et les véhicules blindés sont considérés comme des armes classiques. Aux termes de l’article 7 du TCA, lorsqu’il existe un risque majeur que les armes soient utilisées pour commettre de graves violations du droit international relatif aux droits humains, ces exportations ne doivent pas être autorisées.

Outre le Brésil, l’Inde, la Corée du Sud et les États-Unis, les pays suivants ont fourni ou exprimé une volonté de fournir du matériel antiémeutes à la Turquie au cours des dernières années : la Belgique, la Chine, la République tchèque, Hong Kong, Israël et le Royaume-Uni.