Au moins 2 000 Afghans qui se sont enfuis en Turquie pour échapper au conflit et aux pires excès des talibans sont détenus et risquent d’être renvoyés de façon imminente et contre leur gré dans un pays où ils sont en danger, a déclaré Amnesty International le 24 avril. Les autorités turques accélèrent manifestement la cadence des vagues d’expulsions, et 7 100 Afghans ont été regroupés et renvoyés en Afghanistan depuis le début du mois d’avril.
Les autorités turques ont indiqué à Amnesty International que tous ces retours sont volontaires, et que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a régulièrement accès à leurs lieux de détention. Or, lorsqu’elle s’est entretenue avec des personnes détenues dans le camp de Düziçi, aménagé avec des conteneurs et situé dans le sud de la Turquie, où quelque 2 000 Afghans seraient détenus, Amnesty International a appris que l’on a fait pression sur ces personnes pour qu’elles signent des documents rédigés en turc, une langue qu’elles ne comprennent pas.
Il pourrait s’agir de « formulaires de retour volontaire » que les autorités turques ont par le passé déjà utilisés dans des circonstances impliquant une coercition avec des Syriens et d’autres réfugiés. Des familles auraient été autorisées à demander l’asile et ensuite relâchées, mais plusieurs milliers de personnes peut-être – principalement des hommes – risquent d’être renvoyées de force en Afghanistan de façon imminente. Amnesty International a également interviewé un homme à Kaboul qui a fait l’objet d’un renvoi forcé avec sa femme et ses cinq enfants, alors qu’ils voulaient déposer une demande d’asile.
« Cette répression est d’une ampleur extraordinaire. Ces dernières semaines, les autorités turques ont accéléré la cadence des expulsions et des milliers d’Afghans ont été regroupés, entassés dans des avions et renvoyés dans des zones de guerre. Des milliers d’autres personnes sont en détention, et elles sont traitées davantage comme des criminels que comme des personnes fuyant un conflit et la persécution, a déclaré Anna Shea, chargée de recherches sur les droits des migrants et des réfugiés à Amnesty International.
« Les Afghans qui se trouvent en Turquie ont fait un dangereux voyage pour échapper à des dangers encore plus grands dans leur pays ; le fait de les y renvoyer de force est à la fois inadmissible et illégal. Les violences aveugles font régulièrement de très nombreuses victimes en Afghanistan et aucune région du pays n’échappe à ces violences. La Turquie est sans aucun doute sous pression, étant donné qu’elle a accepté d’accueillir un nombre énorme de réfugiés, en finançant cet accueil principalement sur son propre budget, mais ces expulsions mettent des vies en danger. »
Au cours des quatre dernières années, plus de 10 000 civils ont chaque année été tués ou blessés en Afghanistan, souvent lors d’attaques menées sans discrimination par des groupes armés.
La Turquie accueille un nombre de réfugiés nettement plus élevé que tout autre pays. En 2018, un nombre croissant d’Afghans sont entrés dans le pays par la frontière orientale avec l’Iran ; le ministère turc de l’Intérieur a avancé le chiffre de 27 000 nouveaux arrivants. La Turquie a suivi l’exemple de nombreux pays européens en cherchant à fermer ses frontières aux personnes en quête d’asile, et elle construit actuellement un mur de 144 kilomètres le long de sa frontière avec l’Iran, qu’elle espère achever d’ici un an. Parallèlement à cela, les autorités turques ont réagi à l’arrivée d’un nombre croissant d’Afghans en plaçant ces personnes en détention et en les expulsant.
Le 17 avril, l’agence Anadolu, agence de presse du gouvernement turc, a signalé que 6 846 Afghans avaient été expulsés du pays au cours des dernières semaines, ce chiffre provenant d’une déclaration écrite de la Direction générale de la gestion des migrations du ministère de l’Intérieur. Le 24 avril, le ministre de l’Intérieur a indiqué que ce nombre est passé à 7 100. Amnesty International n’a pas été en mesure de vérifier ce chiffre de façon indépendante, mais manifestement les autorités procèdent massivement à des expulsions d’Afghans. Le ministre de l’Intérieur a indiqué aux médias le 23 avril qu’il comptait atteindre le chiffre de 10 000 expulsions à la fin de la semaine.
Cette multiplication des expulsions pourrait être liée à un accord portant sur les migrations signé par la Turquie et l’Afghanistan le 9 avril, qui comprend un arrangement entre les deux gouvernements visant à faciliter les expulsions de ressortissants afghans depuis la Turquie.
Actuellement, au moins 2 000 Afghans sont apparemment détenus en Turquie et risquent d’être expulsés du pays. Amnesty International a reçu des informations dignes de foi indiquant que quelque 2 000 Afghans sont détenus dans le camp de Düziçi, dans le département d’Osmaniye, et que plusieurs centaines peut-être se trouveraient dans un centre de détention dans le département d’Erzurum. On ignore quel est le fondement juridique de ces détentions. Dans la mesure où des milliers d’Afghans ont apparemment été arrêtés et placés en détention en peu de temps, il est fort probable que leur détention soit arbitraire et illégale.
Amnesty International a parlé avec deux hommes et une femme détenus dans le camp de Düziçi. « Farhad » (ce n’est pas son vrai nom), 23 ans, avocat de la province de Baghlan, a expliqué avoir rejoint à pied la Turquie pour ne pas être recruté de force par les talibans. Il a été arrêté à la frontière et a passé environ 24 jours en détention.
Il a déclaré :
« Ils ne nous disent pas que nous allons être expulsés – ils ne disent rien – ils font venir les gens dans leur bureau et ils leur prennent leurs empreintes digitales. Le document est écrit en turc seulement, on ne peut pas le lire. Je ne signerai jamais ce document, même s’ils me tuent. »
Amnesty International a également eu une conversation téléphonique avec un homme père de cinq enfants, renvoyé mi-avril à Kaboul depuis le département d’Izmir, dans l’ouest de la Turquie. « Ghodrat » (ce n’est pas son vrai nom), 42 ans, originaire de la province de Kandahar, a dit que lui et ses proches ont refusé de signer un document qu’ils ne comprenaient pas, mais qu’ils ont malgré tout été renvoyés de force en Afghanistan. Il a dit qu’ils n’ont reçu aucune aide financière ou logistique à leur retour.
Ghodrat a expliqué :
« La police nous a donné un papier à signer, et j’ai refusé de le signer. J’ai pleuré. J’étais complètement anéanti. Nous avons quitté l’Afghanistan dans l’espoir de rencontrer des gens de l’ONU ; nous pensions qu’ils pouvaient nous aider. On n’est pas en sécurité à Kandahar, en particulier les jeunes enfants. Je me suis dit que si je vendais tout ce que je possédais, ce qui n’est pas beaucoup, je pouvais aller en Turquie et me faire enregistrer auprès de l’ONU. »
En vertu du principe de non-refoulement, la Turquie ne peut pas renvoyer de personnes dans un endroit où elles risquent véritablement de subir de graves atteintes aux droits humains, notamment des persécutions, des actes de torture ou d’autres traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants. Compte tenu de la gravité de la situation actuellement en Afghanistan en matière de sécurité et de droits humains, tout renvoi forcé vers ce pays constitue un refoulement, illégal au titre du droit international.
Amnesty International demande aux autorités turques de relâcher immédiatement tous les Afghans détenus de façon arbitraire ; de veiller à ce que les Afghans aient accès aux procédures nationales d’asile ; et de cesser de les renvoyer vers l’Afghanistan tant que ces retours ne peuvent pas s’effectuer dans la dignité et en toute sécurité.