Les dirigeants européens, dans leurs efforts visant à confier le rôle de gardien de l’Europe à la Turquie, ferment les yeux sur les manquements des autorités turques en matière de respect des droits des réfugiés et des migrants, a déclaré Amnesty International samedi 17 octobre, à la veille de la visite à Istanbul de la chancelière allemande Angela Merkel.
Les discussions prévues le 18 octobre entre Angela Merkel et ses homologues turcs, le Premier ministre Ahmet Davutoglu et le président Recep Tayyip Erdogan, porteront entre autres sur la crise des réfugiés.
« Il est à craindre que les discussions entre l’UE et la Turquie sur la " gestion des migrations ", loin d’accorder la priorité aux droits des réfugiés, ne mettent l’accent sur le contrôle des frontières visant à les empêcher de gagner l’UE, a déclaré Andrew Gardner, chercheur sur la Turquie à Amnesty International.
« L’UE doit faire davantage pour aider la Turquie à relever le défi qui consiste à accueillir plus de deux millions de réfugiés ; les récentes discussions portant sur l’octroi de trois milliards d’euros sont un pas dans la bonne direction. Cependant, l’accord fondé sur le maintien des réfugiés en Turquie passe sous silence les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans ce pays, ainsi que la nécessité pour l’UE de prendre en charge une part plus importante de la population croissante des réfugiés dans le monde. » Cette rencontre fait suite au Plan d’action UE-Turquie, rendu public le 6 octobre, qui prévoit de renforcer le soutien de l’UE aux réfugiés qui se trouvent en Turquie et de s’assurer la coopération de la Turquie pour combattre les flux migratoires irréguliers vers l’UE.
Des centaines de milliers de réfugiés et de demandeurs d’asile, et pas seulement des Syriens, luttent pour s’en sortir. Les réfugiés non-Syriens en particulier se heurtent à divers obstacles pour accéder à l’asile et assurer leur subsistance. Les Yézidis fuyant le groupe armé autoproclamé État islamique en Irak doivent attendre plus de cinq ans pour se faire enregistrer en tant que demandeurs d’asile.
L’UE doit explorer les moyens de proposer des itinéraires sûrs et légaux aux réfugiés pour gagner l’Europe ; le plan actuel ne garantit pas concrètement la hausse du nombre de places de réinstallation pour les réfugiés les plus vulnérables en Turquie.
Les projets de l’UE incitant la Turquie à renforcer ses contrôles aux frontières présentent de nombreux risques. Amnesty International a recensé plusieurs cas de réfugiés renvoyés de force en Syrie et en Irak après avoir été interceptés par des garde-frontières turcs alors qu’ils tentaient de gagner l’UE. D’autres ont été placés en détention arbitraire, sans pouvoir consulter un avocat.
Alors que l’UE négocie un accord avec la Turquie, plus de 100 réfugiés syriens sont maintenus en détention dans un centre de renvois, dans la ville d’Erzurum, dans l’est du pays, vivant dans la crainte d’être renvoyés de l’autre côté de la frontière.
« Dans les semaines qui ont précédé les négociations de l’UE, des réfugiés ont été placés en détention arbitraire et même renvoyés de force vers des pays qu’ils avaient fui pour tenter la traversée vers l’UE. Ces pratiques sont contraires au droit international. Angela Merkel doit insister sur le fait que la Turquie doit mettre les choses en ordre, avant d’être traitée comme un partenaire fiable dans la gestion des frontières européennes », a déclaré Andrew Gardner.
Inscrire la Turquie sur la liste des « pays d’origine sûre » serait une erreur sur le principe et établirait un dangereux précédent. D’après les chiffres de la Commission européenne, un demandeur d’asile sur quatre venu de Turquie se voit accorder le statut de réfugié au sein de l’UE – ce qui démontre clairement que ce pays n’est pas sûr.
« Il serait trompeur de décrire la Turquie comme un pays sûr. On constate une recrudescence des violences entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et l’armée et la police, ainsi qu’une dégradation générale de la situation des droits humains. Nous assistons à une vague d’arrestations de militants politiques au titre de vagues lois antiterroristes, à des attaques contre la liberté d’expression et à une forte hausse du nombre de détenus subissant des mauvais traitements, a déclaré Andrew Gardner.
« La Turquie veut figurer sur la liste des pays d’origine sûr et en fait une condition de sa coopération dans la gestion des frontières, mais l’UE serait lâche de céder. Angela Merkel doit faire la part belle aux principes, et non à la politique, dans ses discussions avec le gouvernement turc. »