Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Syrie. Sur l’éventualité d’une intervention armée internationale en réponse à l’utilisation d’armes chimiques


Ces derniers jours, un certain nombre de gouvernements ont manifesté leur intention d’entreprendre une action militaire contre le gouvernement syrien, qui aurait utilisé des armes chimiques le 21 août. Des dizaines de civils, dont de nombreux enfants, auraient été tués au cours de ces attaques visant la périphérie de Damas, la capitale de la Syrie.

Amnesty International ne condamne ni ne cautionne une intervention armée internationale. Elle ne prend pas non plus position sur la légalité ou la base morale d’une telle action. Dans les situations de conflit armé, Amnesty International cherche à s’assurer que les belligérants respectent le droit international humanitaire et les droits humains.

Amnesty International a-t-elle recueilli des preuves concernant l’utilisation d’armes chimiques en Syrie ?
Amnesty International a recueilli des informations auprès des survivants des attaques chimiques qui auraient eu lieu dans la région de la Ghouta orientale, à l’est de Damas, le 21 août. Elle a également rencontré des médecins qui ont examiné les personnes tuées, et traité les personnes contaminées. Nous avons partagé ces informations et d’autres données avec des spécialistes des armes chimiques. Sur la base de ces recherches et de l’analyse des spécialistes, Amnesty International estime qu’il est hautement probable que des agents chimiques aient contaminé plusieurs quartiers des villes de Zamalka et d’Aïn Tarma, dans la Ghouta orientale.

Selon les spécialistes, les symptômes des victimes correspondent à une attaque chimique employant des neurotoxiques organophosphorés. Ces molécules appartiennent à la catégorie des inhibiteurs des cholinestérases. Elles bloquent les transmissions nerveuses destinées au système musculaire. Elles freinent également l’apport d’oxygène aux poumons, entraînant de ce fait des difficultés respiratoires susceptibles d’entraîner la mort. L’activité musculaire perturbée par l’exposition à des agents neurotoxiques organophosphorés se traduit également par des spasmes et des convulsions. On peut également observer une contraction révélatrice des pupilles. Ces symptômes ont tous été recensés chez les personnes présentes à Zamalka et Aïn Tarma après l’attaque.

Amnesty International ne dispose pas d’informations suffisantes pour déterminer qui a utilisé des agents chimiques dans les zones de Zamalka et d’Aïn Tarma, qui sont sous le contrôle des forces de l’opposition.

Amnesty International n’a pas été jusqu’ici en mesure de mener des recherches approfondies sur l’attaque chimique qui aurait visé Modamiya, à l’ouest de Damas (le 21 août également). Cependant, les symptômes des personnes touchées, selon une séquence vidéo, paraissent semblables à ceux des victimes de la Ghouta orientale. De ce fait, Amnesty International craint que Modamiya ait également été contaminée par un agent chimique similaire.

Pour réellement conclure, il faudrait que des experts puissent se rendre sur le terrain et accéder librement aux zones affectées.
 
L’équipe de l’ONU a-t-elle recueilli des preuves concernant l’utilisation d’armes chimiques en Syrie ?
L’équipe continue de travailler et doit encore émettre des conclusions.

La mission de l’ONU chargée d’enquêter sur les allégations d’usage d’armes chimiques en Syrie a commencé ses investigations dans le pays le 19 août. Elle a visité trois sites où des armes chimiques auraient été utilisées, notamment Khan al Asal, dans le gouvernorat d’Alep. Après les attaques présumées du 21 août, les autorités syriennes ont dû autoriser cette mission à accéder à la zone concernée. L’équipe de l’ONU devait rester environ 14 jours en Syrie, avec des possibilités d’extension.

Des problèmes de sécurité ont entravé le travail de cette équipe. Son convoi a été attaqué le 26 août. La mission a reporté une visite prévue pour le 27 août afin d’améliorer les conditions de sécurité. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a déclaré le 28 août que les inspecteurs enquêtant sur le site de l’attaque présumée du 21 août auraient besoin de quatre jours pour effectuer leur travail sur place, puis d’un délai supplémentaire pour analyser leurs résultats.

La communauté internationale doit veiller à ce que le gouvernement syrien et les forces d’opposition permettent un accès sans entrave à toutes les zones que la mission de l’ONU souhaite visiter, et coopèrent pleinement en vue de déterminer si des armes chimiques ont été effectivement utilisées.

Si l’ONU trouve des preuves, que faut-il dire ?
Toute utilisation confirmée des armes chimiques est évidemment un sujet très grave. L’utilisation de ces armes prohibées serait une violation du droit international humanitaire, et constituerait un crime de guerre. Il en est de même du ciblage délibéré des civils avec des armes de tout genre.

Toutefois, le mandat de la mission des Nations unies est de déterminer si des armes chimiques ont été utilisées, et non d’identifier les responsables.

Que peut faire la communauté internationale s’il est prouvé que des armes chimiques ont été utilisées ?
La commission mandatée par l’ONU doit pouvoir identifier les responsables de cette attaque, et enquêter sur d’autres allégations persistantes de crimes relevant du droit international commis dans le contexte du conflit armé. Comme la commission d’enquête n’a pas pu entrer en Syrie depuis sa création en août 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU doit exiger que les forces d’opposition et le gouvernement syrien autorisent l’accès de cette commission aux territoires qu’ils contrôlent, et coopèrent avec elle. Les autres gouvernements doivent appuyer cette demande.

Amnesty International a appelé à de nombreuses reprises le Conseil de sécurité des Nations unies à saisir le procureur de la Cour pénale internationale de la situation en Syrie, pour assurer la reddition de comptes concernant l’usage d’armes chimiques, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Quelle est la position d’Amnesty International sur l’intervention militaire / l’usage de la force armée ?
Amnesty International, en général, ne condamne ni n’approuve le recours à l’usage de la force dans les relations internationales. L’organisation n’émet pas non plus de commentaire ou de jugement sur les arguments justifiant l’usage de la force. Dans le contexte du conflit armé en Syrie, nous n’avons pas appelé à une intervention armée, mais nous avons incité la communauté internationale à prendre d’autres mesures pour protéger les civils et prévenir d’autres crimes relevant du droit international, notamment les crimes contre l’humanité (voir ci-dessous). Si de telles mesures avaient été adoptées dès le début de la crise, beaucoup de souffrances auraient été épargnées aux Syriens.

En cas d’intervention armée internationale, Amnesty International se préoccupera essentiellement du respect du droit international humanitaire et des droits humains.

Les États ne devraient-ils pas épuiser tous les autres moyens dont ils disposent avant de recourir à la force armée contre la Syrie ?
Amnesty International ne condamne ni n’approuve par principe le recours à l’usage de la force. Par conséquent, l’organisation ne prend pas position sur la question de savoir quand la force armée peut être justifiée ou pas. Toutefois, nous affirmons clairement que la communauté internationale n’a jusqu’à présent pas pris les mesures suffisantes face aux crimes de droit international perpétrés pendant le conflit.

L’envoyé spécial de la Ligue arabe et de l’ONU pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, essaie de réunir une conférence internationale pour tenter de résoudre la crise en Syrie, mais le blocage au Conseil de sécurité des Nations unies a jusqu’à présent mis à mal les initiatives visant à trouver une solution au conflit. Le gouvernement syrien voit qu’il peut compter sur la protection d’alliés comme la Russie et la Chine, et continuer de commettre de graves violations des droits humains, y compris des crimes au regard du droit international. À moins que la dynamique change et qu’une pression efficace soit exercée sur toutes les parties, on ne voit guère comment cette crise pourrait être résolue par la seule négociation.

Des sanctions ciblées (comme le gel des avoirs du président Bachar el Assad et des personnes soupçonnées d’avoir ordonné ou perpétré des crimes de droit international), la saisine de la Cour pénale internationale et le déploiement d’observateurs internationaux en matière de droits humains contribueraient à mettre en place des conditions favorables au déroulement de négociations productives en vue d’obtenir une solution prenant en compte les droits fondamentaux de tous les Syriens.

Si une intervention armée a lieu, que demandera Amnesty International aux puissances militaires étrangères et au gouvernement syrien ?
Une attaque des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France ou de tout autre pays marquera le début d’un conflit armé international entre le gouvernement syrien et des forces militaires étrangères. Un conflit armé non international (interne) est par ailleurs en cours entre le gouvernement syrien et des groupes armés d’opposition (voir ci-dessous). Il est essentiel que toutes les parties en présence respectent pleinement le droit international humanitaire (les lois de la guerre) et les lois applicables en matière de droits humains.

Amnesty International leur demanderait de respecter le droit international humanitaire, notamment en ce qui concerne la protection des civils. En particulier, les parties au conflit doivent :
•    S’abstenir de prendre pour cible des civils ou des biens de caractère civil ;

•    S’abstenir de recourir à des attaques aveugles ou disproportionnées ;

•    S’abstenir d’utiliser des armes non discriminantes par nature ou autrement interdites par le droit international humanitaire, y compris les armes à sous-munitions ;

•    Prendre toutes les précautions nécessaires pour épargner les civils lors des attaques, notamment en avertissant les populations lorsque cela est possible, et prendre en compte le fait que des personnes sont détenues dans les bases et installations militaires ;

•    Prendre les précautions nécessaires pour protéger les civils relevant de leur contrôle, notamment en excluant, dans la mesure du possible, les cibles militaires situées dans des zones densément peuplées ou proches de ces zones, et en éloignant, si possible, les civils de ces cibles ;

•    S’abstenir d’utiliser des civils comme boucliers humains contre des attaques.

Que demande Amnesty International à la communauté internationale dans son ensemble ?

•    La communauté internationale doit prendre des mesures urgentes pour tenter de remédier à la situation humanitaire catastrophique du pays, où plus de 4,25 millions de personnes seraient déplacées. Elle doit notamment veiller à ce que toutes les parties au conflit armé en Syrie garantissent l’accès aux organisations et agences humanitaires, afin que celles-ci puissent apporter leur aide à la population civile. Dans le cas du gouvernement syrien, il s’agit y compris d’autoriser un accès transfrontalier et un accès de part et d’autre des lignes de front. Toutes les parties doivent permettre la fourniture d’une assistance en fonction des besoins de la population, sans discrimination.

•    Elle doit tout faire pour partager davantage la responsabilité des réfugiés et soulager la pression pesant actuellement sur les voisins de la Syrie, afin d’aider et de protéger les personnes qui fuient le conflit. Les voisins de la Syrie et les autres États qui accueillent des Syriens doivent veiller à ce qu’aucun Syrien ne soit renvoyé de force dans son pays.

•    La communauté internationale doit accepter de partager la responsabilité des enquêtes et poursuites pour les crimes contre l’humanité et les autres crimes de droit international perpétrés en Syrie ou partout ailleurs dans le monde. En particulier, elle doit s’efforcer d’exercer la compétence universelle pour poursuivre les responsables présumés de ces crimes devant les tribunaux nationaux, dans le respect de l’équité des procédures et sans recours à peine de mort. Cet aspect est particulièrement important, dans la mesure où le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas saisi la Cour pénale internationale de la situation en Syrie.

Que demanderait Amnesty International aux États fournissant une aide militaire à l’armée syrienne ou aux groupes armés d’opposition ?
En l’absence d’un embargo sur les armes, et dans la mesure où les attaques armées systématiques et de grande ampleur menées au moyen d’un large éventail d’armes classiques par les forces armées syriennes et les milices qui leur sont alliées ont donné lieu à des crimes contre l’humanité, tous les États qui fournissent des armes au gouvernement syrien doivent cesser ces transferts immédiatement. Ceci concerne toutes les armes et munitions, et tous les équipements, personnels et formations militaires, de sécurité et de maintien de l’ordre.

En outre, aucun transfert d’armes ne doit être effectué en direction d’un groupe armé d’opposition en Syrie lorsqu’il existe un risque important que ce groupe commette des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire. Il incombe aux États qui envisagent d’effectuer des transferts militaires au profit de groupes armés d’opposition de s’assurer au préalable de la mise en place de mécanismes concrets, applicables et vérifiables permettant d’écarter tout risque important que l’équipement militaire fourni ne soit utilisé à mauvais escient ou détourné, et ne serve à perpétrer ou à faciliter des atteintes graves aux droits humains ou des violations du droit international humanitaire.

Que demande Amnesty International aux parties impliquées dans le conflit armé interne en Syrie ?
Amnesty International demande à toutes les parties au conflit de :

•    Mettre un terme aux attaques contre les civils et les biens civils ;

•    S’abstenir de recourir à des attaques aveugles ou disproportionnées ;

•    Mettre un terme aux exécutions sommaires, à la torture et aux autres formes de mauvais traitements ;

•    Remettre en liberté toutes les personnes qui sont détenues uniquement en raison de leur religion, de leur appartenance ethnique ou de leurs opinions politiques ;

•    Faire savoir aux forces placées sous leur commandement qu’une politique de tolérance zéro est en vigueur concernant les atteintes aux droits humains, et condamner publiquement les atteintes qui sont commises ;

•    Permettre aux organisations et agences humanitaires un accès sans entraves à la population civile, de manière à ce qu’elles puissent fournir une assistance à tous ; dans le cas du gouvernement, il s’agit de garantir y compris un accès transfrontalier et un accès de part et d’autre des lignes de front ;

•    Permettre à la Commission internationale indépendante d’enquête sur la Syrie de se rendre librement dans le pays pour enquêter sur toutes les allégations de crimes de droit international et d’atteintes au droit international relatif aux droits humains ;

•    Permettre à toutes les organisations de défense des droits humains et à tous les médias internationaux de se rendre librement dans toutes les zones qu’elles contrôlent, y compris dans les centres de détention.  

Que doivent faire les alliés internationaux de la Syrie, comme la Russie et l’Iran, pour réduire les risques qui pèsent sur les civils ?
La Russie et les autres alliés du gouvernement syrien doivent cesser de fournir des armes et des équipements aux forces gouvernementales. Ces pays doivent coopérer avec les autres États afin de faire pression sur la Syrie pour obtenir qu’elle cesse de commettre des crimes de droit international et qu’elle autorise les organisations humanitaires, la commission d’enquête mandatée par l’ONU et les organisations de défense des droits humains à se rendre librement en Syrie.