Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Salvador. L’interdiction totale de l’avortement est synonyme de traumatisme et de pauvreté pour les enfants et les familles

Au Salvador, la loi interdisant l’avortement en toutes circonstances a des effets dévastateurs sur la vie de nombreux enfants dont les mères, après une fausse couche ou une urgence obstétrique, sont accusées d’avoir avorté illégalement et emprisonnées, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport lundi 30 novembre 2015. 

Ce document, intitulé Separated families, broken ties, révèle que les enfants de femmes incarcérées au titre de cette loi absurde se retrouvent souvent dans des situations financières difficiles et ont bien du mal à rester en contact avec leur mère. 

« À chaque fois que les autorités du Salvador enferment injustement une femme au motif qu’elle a fait une fausse couche ou a souffert de complications liées à la grossesse, elles condamnent également ses enfants à la pauvreté et aux traumatismes, a déclaré Astrid Valencia, chercheuse sur l’Amérique centrale à Amnesty International. 

« Le Salvador adopte l’approche  » coupable jusqu’à preuve du contraire  » lorsqu’il s’agit des femmes qui souffrent de complications liées à la grossesse : cela coûte la vie à nombre d’entre elles, en conduit certaines à passer jusqu’à 40 ans en prison et crée un climat de peur parmi les médecins et les patientes. Il est grand temps que le Salvador abolisse cette interdiction d’un autre âge. »

En raison de la criminalisation de l’avortement en toutes circonstances, au moins 19 femmes se trouvent actuellement en prison, déclarées coupables de graves infractions telles que l’homicide et condamnées à de lourdes peines sur la base de preuves minces et peu concluantes. La plupart d’entre elles étaient le principal soutien de leur famille. Depuis leur incarcération, leur famille élargie assume la responsabilité de subvenir aux besoins de leurs enfants et de s’en occuper, souvent dans des conditions très difficiles.       Le manque de ressources financières et les longues distances pour se rendre dans les prisons empêchent bien souvent les familles de leur rendre visite. Dans certains cas, les femmes n’ont pas pu voir leurs enfants pendant des mois. 

Maria Teresa Rivera, 32 ans, purge actuellement une peine de 40 ans de prison pour « homicide avec circonstances aggravantes », après avoir fait une fausse couche. Elle n’a vu son fils de 10 ans que quatre fois depuis son incarcération en 2011. 

Il vit avec sa grand-mère et le trajet de plusieurs heures jusqu’à la prison est beaucoup trop cher. Sans le revenu de Maria Teresa, et sans soutien des autorités, sa belle-mère lutte pour subvenir aux besoins de son petit-fils. 

Maria Teresa a été arrêtée dans un hôpital ; sa belle-mère l’avait retrouvée évanouie dans sa salle de bains, saignant abondamment. Le personnel hospitalier l’a signalée à la police et l’a accusée d’avoir avorté. 

Durant le procès, l’un des chefs de Maria Teresa a témoigné contre elle, affirmant qu’elle savait qu’elle était enceinte en janvier 2011. Or, cela voudrait dire qu’elle était enceinte de 11 mois au moment de sa fausse couche. Ce témoignage a pourtant été retenu à tire de preuve contre Maria Teresa. 

Son jeune fils vit très mal la détention injuste de sa mère. 

Isabel, la belle-mère de María Teresa, a raconté à Amnesty International les visites traumatisantes à la prison : « La première fois que j’ai emmené son fils la voir, c’était très dur. Il a beaucoup pleuré, et moi aussi. Il ne voulait plus repartir. C’était trop dur, et j’ai arrêté de l’emmener pendant un certain temps, parce que c’était éprouvant pour la mère comme pour le fils. »

De même, Bertha (son nom a été modifié) a passé près d’un an en prison après avoir été poursuivie pour homicide, en raison de complications liées à sa grossesse. Elle n’a pas pu voir son fils de 10 ans durant la moitié de son séjour derrière les barreaux.

Bertha a été arrêtée en juillet 2010 dans un hôpital local ; à son arrivée, elle saignait abondamment. Elle a été inculpée d’« homicide avec circonstances aggravantes », alors qu’elle ignorait qu’elle était enceinte. Bertha n’a rencontré son avocat qu’à l’ouverture de son procès. Pour le crime dont elle était accusée, la peine maximale encourue est fixée à 50 ans de prison. Bertha a été déclarée innocente près d’un an après le début de la procédure engagée à son encontre, lorsque les avocats du Groupe de citoyens pour la dépénalisation de l’avortement thérapeutique, éthique et eugénique, une organisation locale de défense des droits humains, ont versé de nouveaux éléments de preuve au dossier. 

Toutefois, le procès et les mois qu’elle a dû passer en prison ont profondément marqué la vie de Bertha et de ses proches. 

Elle a déclaré à Amnesty International qu’elle reste traumatisée par cette expérience et qu’elle n’a bénéficié d’aucune mesure de réparation ou d’indemnisation. 

« Même si plusieurs années se sont écoulées, la douleur à l’intérieur reste la même », a-t-elle déclaré. 

Évoquant les conséquences de l’incarcération inique de Bertha pour sa famille, sa mère a déclaré : « Pour dormir, je n’utilisais pas de couvertures ; à cette époque, lorsqu’elle était dans sa cellule, je me mettais à penser qu’elle souffrait du froid et je ne me couvrais pas, pour ressentir sa souffrance. Aujourd’hui, je n’arrive plus à mettre des couvertures même si j’ai froid, et je sais que je suis toujours meurtrie par ce qui s’est passé. L’oreiller me semble dur comme de la pierre… Je ne suis plus celle que j’étais. »

« Au lieu de condamner des enfants à cette terrible souffrance, les autorités salvadoriennes feraient mieux de consacrer leur énergie à réviser la loi qui n’a d’autre objectif que de traiter les femmes comme de simples « porteuses d’enfants », a déclaré Astrid Valencia. 

Depuis une modification du Code pénal en 1998, l’avortement au Salvador est illégal en toutes circonstances – même dans les cas de viol, d’inceste ou lorsque la vie de la femme est en danger. Cette modification a débouché sur des poursuites injustifiées et un détournement de la loi pénale, qui fait que les femmes sont immédiatement présumées coupables. Celles qui disposent de faibles ressources économiques sont particulièrement touchées par cette interdiction. 

Vous pouvez consulter le rapport (en anglais) Separated families, broken ties. El Salvador: Women imprisoned for obstetric emergencies and the impact on their families, dès le lundi 30 novembre sur amnesty.org.

Pour en savoir plus :

L’interdiction totale de l’avortement au Salvador : les faits (Synthèse, 5 novembre 2015)  https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2015/11/el-salvador-total-abortion-ban/ 

Des médecins adressent un message aux gouvernements : « L’avortement n’est pas un crime. » (Communiqué de presse, 20 novembre 2015) https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2015/11/abortion-is-not-a-crime-doctors-warn-governments/