Russie. Parce qu’il défend l’environnement, un militant est condamné à trois ans de prison

Le 12 février, un tribunal de Krasnodar a condamné l’écologiste Evgueni Vitichko à trois ans d’emprisonnement dans un camp. C’est la dernière mesure d’une campagne soutenue menée par les autorités russes contre les militants écologistes dans la région de Krasnodar, qui accueille les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, afin de les empêcher de dénoncer les dégâts infligés à l’environnement dans le territoire de Krasnodar.   Le harcèlement dirigé contre les militants écologistes locaux s’est fortement intensifié dans les mois qui ont précédé l’ouverture des Jeux olympiques et Evgueni Vitichko a été particulièrement visé en raison de son militantisme. La décision de l’envoyer purger sa peine dans une colonie pénitentiaire prolonge la campagne menée contre lui par les autorités russes, qui cherchent à supprimer toute protestation dans le territoire de Krasnodar et à faire taire l’un des détracteurs les plus virulents et les plus respectés à l’approche des JO de Sotchi. Elles ont fini par l’enfermer.   Amnesty International considère Evgueni Vitichko comme un prisonnier d’opinion, qui doit être libéré immédiatement et sans condition.   Evgueni Vitichko est un membre éminent de l’organisation non gouvernementale (ONG) Veille écologique pour le Caucase du Nord, basée dans le territoire de Krasnodar. Elle est connue pour avoir révélé les dommages causés par la construction des structures olympiques et d’autres problèmes environnementaux dans la région. À l’approche des JO de Sotchi, ses membres ont été la cible d’une campagne de harcèlement de plus en plus agressive et soutenue.   Evgueni Vitichko est militant de cette ONG dans la ville de Touapsé, commune limitrophe de Sotchi qui appartient à la région accueillant les Jeux olympiques. Le harcèlement qu’il subit de la part des autorités depuis plusieurs années amène à penser que les poursuites engagées contre lui ont pour but de le réduire au silence. Parce qu’il a refusé de renoncer à ses activités militantes au sein de la société civile et de mettre ses critiques en sourdine, les autorités ont durci les mesures prises contre lui, et contre ses collègues de Veille écologique pour le Caucase du Nord, allant jusqu’à l’incarcérer.   À l’approche des Jeux, les autorités ont harcelé plusieurs membres de l’ONG : ils ont subi des arrestations répétées et de brèves périodes de détention, ils ont été fouillés et la police a interrogé les militants ainsi que leurs proches. Des policiers et des agents de la sécurité les ont avertis à titre non officiel, leur intimant de ne pas se livrer à des actions de protestation pendant les Jeux olympiques de Sotchi. Avant le jugement rendu le 12 février, Evgueni Vitichko avait été détenu pendant 15 jours sur la base d’accusations administratives forgées de toutes pièces. Amnesty International a rassemblé les détails de cette campagne de harcèlement visant les membres de l’ONG Veille écologique pour le Caucase du Nord et les a exposés dans une lettre ouverte au président du Comité international olympique, Thomas Bach (http://www.amnesty.org/sites/impact.amnesty.org/files/IOC%20Open%20letter%20Sochi_0.pdf).   Des poursuites ont été engagées contre Evgueni Vitichko en lien avec la mobilisation de Veille écologique pour le Caucase du Nord contre la déforestation et la construction illégales dans des secteurs forestiers protégés du territoire de Krasnodar. L’ONG avait découvert une clôture probablement illégale érigée dans la forêt, qui barrait l’accès au public et dissimulait peut-être des activités illicites.

Pendant des mois, ses membres ont exhorté les autorités locales et fédérales, via des plaintes en bonne et due forme, à réagir à cette violation du droit, mais en vain. D’après les réponses officielles qu’ils ont reçues, il n’y avait aucune violation à examiner et, contrairement aux affirmations des écologistes, l’accès à la zone concernée n’était aucunement barré. Par deux fois au moins, les 27 février et 27 août 2011, les écologistes ont tenté de manifester pacifiquement dans le secteur de la clôture, dans la forêt. Ils ont à chaque fois été arrêtés pour avoir soi-disant désobéi aux ordres légitimes des policiers.

Le 13 novembre 2011, Evgueni Vitichko s’est rendu sur le site en compagnie d’autres militants afin de recueillir des informations sur l’existence de cette clôture et sur ce qui se passait derrière. Ils ont dévissé et fait tomber deux sections de la clôture, afin de dévoiler la partie cachée de la forêt. Ils ont été témoins de la destruction d’arbres appartenant à des essences rares et protégées, et ont ensuite inscrit des graffitis sur la clôture en guise de protestation.

Evgueni Vitichko et Souren Gazarian, un autre militant, ont été inculpés au titre de l’article 167-2 du Code pénal (destruction ou dommages délibérés causés à des biens, donnant lieu à des dégâts importants et motivés par le houliganisme), et déclarés coupables à l’issue de leur procès. Evgueni Vitichko a été condamné à une peine de trois ans de prison avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve. Durant cette période, les deux militants faisaient l’objet de restrictions strictes au niveau de leurs déplacements et n’avaient pas le droit de quitter leur ville de résidence sans autorisation, ce qui a fortement entravé leurs activités professionnelles en faveur de l’environnement. Souren Gazarian a depuis quitté le pays et bénéficié de l’asile à l’étranger, au motif qu’il était persécuté pour ses activités de militant écologiste.

Leur procès, motivé par des considérations politiques et entaché de graves irrégularités, a débouché sur leur condamnation. Tous deux ont perdu en appel. L’avocat de Souren Gazarian a tenté de contester cette décision, mais le tribunal régional de Krasnodar a jugé qu’il n’avait plus le droit d’interjeter appel. Le militant s’est alors adressé à la Cour suprême de la Fédération de Russie. Le 21 octobre 2013, la Cour suprême a statué, mentionnant plusieurs lacunes importantes dans les décisions des juridictions inférieures et affirmant qu’il convenait d’examiner son appel. La Cour suprême a reconnu que ces juridictions auraient dû considérer la question de la légalité de la clôture contre laquelle les militants protestaient, et l’identité de son propriétaire légal.

Il est à noter que des charges ont été retenues uniquement contre Evgueni Vitichko et Souren Gazarian, les deux membres les plus virulents du groupe qui avait pris part aux actions de protestation. Cependant, leur rôle individuel dans les dommages causés à la clôture n’a pas été examiné par le juge, contrairement à ce qu’exige la loi. Le coût du préjudice, et la solidité financière de la partie l’ayant subi, sont des éléments importants de l’affaire s’agissant d’établir si des charges relevant de l’article 167 ou des charges bien moindres – notamment administratives (c’est-à-dire non pénales) – peuvent s’appliquer. Les experts présentés par la défense ont laissé entendre que le coût réel des dégâts était inférieur à 20 euros, mais le jugement de culpabilité s’est fondé sur les chiffres soumis par le témoin de l’accusation, près de 138 fois plus élevé. Selon l’accusation, et malgré les objections de la défense, la partie désignée comme ayant subi le préjudice était une petite entreprise du bâtiment, et non la grande compagnie ZAO Agrokompleks qui l’avait embauchée et était en réalité propriétaire de la clôture.

À la suite de la décision rendue par la Cour suprême le 21 octobre 2013, la défense a sollicité une nouvelle audience d’appel dans l’affaire concernant Evgueni Vitichko et Souren Gazarian. Malgré les conclusions de la Cour suprême, une juridiction inférieure a jugé qu’il n’y avait aucun motif de réexamen du cas d’Evgueni Vitichko. Le 20 décembre 2013, peu de temps après, Evgueni Vitichko a dû comparaître devant un tribunal, étant accusé d’avoir quitté sa ville de résidence sans permission et d’avoir ainsi violé les conditions du couvre-feu (qui restreignait sa liberté de circulation) dont dépendait le sursis à l’exécution de sa peine. Le juge a estimé que cette infraction justifiait qu’il soit condamné à purger la peine initiale de trois ans d’emprisonnement.   Evgueni Vitichko a également fait appel de cette décision. L’audience devait avoir lieu le 22 février 2014.   Dans l’intervalle, des membres de l’ONG Veille écologique pour le Caucase du Nord projetaient de lancer un rapport sur l’impact environnemental des Jeux olympiques de Sotchi, à Sotchi, le 5 février 2014. Toutefois, ils ont dû y renoncer, en raison d’une nouvelle vague de harcèlement. Ainsi, Evgueni Vitichko et un autre militant, Igor Khartchenko, ont été arrêtés les 3 et 4 février respectivement, et condamnés à une peine de détention sur la base d’accusations mensongères et absurdes. Au moins cinq autres militants de cette ONG ont été placés en garde à vue pendant plusieurs heures à la même période.   La police a arrêté Evgueni Vitichko le 3 février vers 10h30, alors qu’il quittait les bureaux des autorités pénitentiaires de Touapsé, où il était venu demander la permission de se rendre dans la ville voisine de Sotchi pour le lancement du rapport et d’autres réunions. La police l’aurait alors informé qu’il était soupçonné de vol. Cependant, à son arrivée au poste, il a été inculpé de « houliganisme mineur », pour avoir proféré des insultes à un arrêt de bus le matin du même jour. On lui a pris ses empreintes digitales et son téléphone portable a été fouillé. D’après son avocat, qui a parlé avec les policiers au téléphone, ceux-ci ont reconnu qu’ils n’avaient pas de déclarations écrites de témoins concernant ces faits présumés. Il semble que ce n’est qu’après cette conversation téléphonique que les policiers sont partis à la recherche de témoins pour qu’ils fournissent une déclaration.   Evgueni Vitichko a comparu devant le tribunal le jour même. Lorsqu’il a demandé que son avocat soit présent, le juge a rejeté sa demande et insisté pour faire venir un avocat commis d’office, ce qu’Evgueni Vitichko a refusé. Le juge a également refusé d’appeler à la barre deux « témoins » des faits, se contentant de retenir leur déclaration à titre de preuve suffisante. Evgueni Vitichko a demandé à savoir comment la police avait consigné dans son rapport les circonstances de l’événement quant à l’accusation de « houliganisme mineur ». Le juge a également rejeté cette requête. L’audience n’a duré que quelques minutes. Déclaré coupable de « houliganisme mineur », il a été condamné à 15 jours de détention. Ce n’est qu’après avoir commencé à purger cette peine qu’il a pu voir son avocat.   Evgueni Vitichko a fait appel de cette décision sur-le-champ, mais a été emmené directement depuis le tribunal pour purger sa peine avant qu’un appel ne soit examiné. Parallèlement, la date de son procès en appel pour sa précédente affaire pénale a été avancée au 12 février, pour coïncider avec la période de 15 jours pendant laquelle Evgueni Vitichko était maintenu en détention administrative à Touapsé. Pendant qu’il se trouvait à Touapsé, l’audience se déroulait à Krasnodar. Il n’a donc pu prendre part au procès en appel que par liaison vidéo. Son appel a été rejeté et il commencera à purger sa peine de trois ans de prison dès la fin de sa détention administrative de 15 jours.   La persécution infligée à Evgueni Vitichko témoigne de la volonté des autorités de le réduire au silence en raison de ses actions écologistes. Tout comme Souren Gazarian, il a été repéré parmi les écologistes locaux comme un leader très critique envers l’administration du territoire de Krasnodar. Tous deux ont été poursuivis en justice, dans le cadre d’un procès à caractère politique marqué par de graves entorses à l’équité. Malgré la décision rendue par la Cour suprême qui a reconnu certains de ces manquements et confirmé le droit d’interjeter appel, Evgueni Vitichko n’a pas eu la possibilité de le faire.   Ces dernières manœuvres juridiques laissent peu de doutes quant aux intentions des autorités dans cette affaire, à savoir faire taire un détracteur, et non sanctionner un crime quelconque. Evgueni Vitichko et ses collègues ont cherché à recueillir des informations sur les problèmes environnementaux à Sotchi, mais plutôt que d’enquêter sur les allégations d’abattage illégal, les autorités ont choisi d’engager des poursuites pénales contre ceux qui dénonçaient cette situation. Tous les membres de l’ONG Veille écologique pour le Caucase du Nord ont été réduits au silence et contraints de renoncer au projet de présenter à Sotchi leurs conclusions sur l’impact environnemental des Jeux olympiques.   Amnesty International considère Evgueni Vitichko comme un prisonnier d’opinion incarcéré parce qu’il a exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression. Il doit être libéré immédiatement et sans condition.