Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Russie. Il faut mettre un terme à l’impunité pour les attaques commises contre des défenseurs des droits humains et des journalistes

Amnesty International est gravement préoccupée par l’attaque perpétrée le 9 mars contre le Groupe mobile conjoint de défenseurs des droits humains (JMG) qui travaille en Tchétchénie et des journalistes de médias norvégien, russe et suédois. Cette attaque a eu lieu vers 19 heures le 9 mars non loin d’un poste de contrôle à la frontière administrative entre l’Ingouchie et la Tchétchénie, dans le Caucase du Nord, en Russie. Le groupe composé de cinq hommes et de trois femmes défenseurs des droits humains et journalistes, et leur chauffeur, se rendaient depuis la République d’Ossétie du Nord à Grozny, la capitale tchétchène, quand leur minibus a été bloqué par quatre véhicules. Une vingtaine de jeunes gens masqués et armés de battes de baseball et de matraques ont alors attaqué le minibus, brisé ses vitres et en ont fait sortir par la force les défenseurs des droits humains et les journalistes qu’ils ont violemment frappés. Huit personnes ont été blessées et ont dû être conduites à l’hôpital.

Les agresseurs hurlaient des menaces, demandant aux militants des droits humains de ne plus revenir en Tchétchénie et les traitant de  » terroristes  » et de  » défenseurs des terroristes « . Ils ont mis le feu au véhicule, dans lequel se trouvaient encore leur équipement et d’autres biens leur appartenant. Environ deux heures plus tard, le bureau du JMG en Ingouchie a été attaqué par au moins cinq hommes masqués et armés, ce qui incite à penser qu’il s’agit là d’attaques planifiées et coordonnées. Les caméras de surveillance installées à l’extérieur du bâtiment et dont les enregistrements sont accessibles en ligne ont montré que deux hommes masqués et armés ont brisé la porte d’entrée et se sont introduits dans les locaux. Comme ils ont ensuite détruit une caméra, on ne sait pas exactement quels types de dégâts ils y ont causés. Cela s’est passé en dehors des heures normales de bureau et aucun membre du JMG n’était alors présent.

Il s’agit du dernier épisode en date de la série d’attaques et de graves manœuvres de harcèlement que le JMG subit depuis un an. Les enquêtes pénales ouvertes sur ces attaques n’ont jusqu’à présent pas conduit à des poursuites en justice, alors même que certaines de ces attaques ont eu lieu en plein jour et malgré les photos et les images de vidéos disponibles qui auraient pu permettre d’identifier les agresseurs. Les autorités ont ouvert une enquête sur les attaques du 9 mars en les qualifiant d’actes de  » houliganisme  » et de  » destruction de biens « , malgré la gravité de ces agissements et des violences infligées aux journalistes et défenseurs des droits humains. Les qualifications retenues sont de moindre importance que le fait d’empêcher des journalistes d’accomplir légalement leur travail, une infraction visée par l’article 144 du Code pénal et qui, si elle s’accompagne de menaces et d’un recours à la violence ou à la destruction de leurs biens, peut être sanctionnée par une peine pouvant atteindre six ans d’emprisonnement.

Le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, a publié une déclaration dans laquelle cette attaque est qualifiée de  » houliganisme absolu  » et d' » inacceptable « . Amnesty International exhorte les autorités russes à veiller à ce qu’une enquête impartiale et indépendante soit menée dans les plus brefs délais sur ces dernières attaques, en vue d’identifier et de déférer à la justice non seulement les auteurs directs présumés mais aussi les commanditaires présumés de ces attaques. De façon plus générale, Amnesty International demande instamment aux autorités russes de garantir la protection efficace de tous les militants des droits humains et journalistes qui travaillent en Tchétchénie. Il est grand temps de montrer que les paroles  » justes  » se traduisent par des actes justes et qu’il n’y a pas d’impunité en Russie pour les attaques commises contre des défenseurs des droits humains et des journalistes.

Complément d’information

Le Groupe mobile conjoint de défenseurs des droits humains a été créé en 2009 peu après l’assassinat de la courageuse défenseure tchétchène des droits humains Natalia Estemirova. Il a été fondé et est coordonné par l’ONG russe Comité pour la prévention de la torture, dirigé par Igor Kaliapine. Ce groupe se compose généralement de trois avocats spécialistes des droits humains issus de différentes régions russes qui se rendent en Tchétchénie pour une période d’un mois à la fois durant laquelle ils s’occupent de cas des disparitions forcées, de torture et d’autres violations des droits humains, représentent des victimes à toutes les étapes de la procédure judiciaire, et surveillent l’avancée de ces affaires dans le cadre du système pénal russe.

Selon Igor Kaliapine, ces derniers temps, les médias tchétchènes publient quasiment chaque semaine un article dénigrant sa personne ainsi que le Comité pour la prévention de la torture et le Groupe mobile conjoint, qui sont accusés d’être au  » service d’ennemis de la nation « , de mener  » des activités terroristes  » et de  » travailler pour des services de sécurité occidentaux « . Selon un journaliste russe de Novaya Gazeta, en février, trois journalistes russes ont été arrêtés illégalement à Grozny par des policiers tchétchènes. Ils ont été relâchés par la suite, mais leur équipement a été saisi et leur matériel photo et vidéo détruit. Deux jours plus tard, des policiers tchétchènes ont tenté d’enlever un membre du personnel du JMG, mais ce dernier a réussi à alerter ses collègues et la tentative d’enlèvement a échoué.