© Amnesty International / Photo : Konstantin Koester

Russie. Des lois pour étouffer les voix anti-guerre

Tandis que la Russie continue sa guerre d’agression contre l’Ukraine, elle mène également un combat sur son territoire contre celles et ceux qui critiquent la guerre et les crimes de guerre commis par les forces russes. En effet, des dizaines de personnes risquent jusqu’à 10 ans de prison – voire plus – pour avoir diffusé de « fausses informations sur les forces armées », et notamment sur les actions de l’armée russe en Ukraine. En réalité, ces accusé·e·s ne faisaient que révéler au grand jour les atrocités menées par la Russie dans plusieurs villes d’Ukraine.

La liberté d’accéder à l’information et de la partager, ou celle d’exprimer des opinions et des idées, notamment une opposition, est un élément crucial dans l’établissement d’un mouvement anti-guerre efficace en Russie. En éliminant les voix critiques, les autorités russes essaient de renforcer et de pérenniser le soutien du public en faveur de leur guerre d’agression en Ukraine.

L’invasion de l’Ukraine par les autorités russes a suscité des critiques généralisées en Russie. Des dizaines de milliers de Russes ont manifesté pacifiquement dans les rues et condamné cette agression sur les réseaux sociaux. Les autorités ont répondu en menant des actions répressives contre les manifestant·e·s, arrêtant selon certaines sources, plus de 16.000 personnes pour avoir enfreint la réglementation indûment restrictive du pays concernant les rassemblements publics. Les autorités ont également sévi contre les rares médias indépendants subsistant dans le pays en forçant un grand nombre d’entre eux à cesser leur activité, à quitter le pays, à limiter leur couverture de la guerre et à y substituer une version officielle russe.

DE NOUVELLES LOIS ONT RAPIDEMENT VU LE JOUR

Des nouveautés législatives ont rapidement suivi cette répression. Un projet de loi modifié a introduit l’Article 207.3 ainsi que deux autres articles dans le Code pénal, qui érigent tous en infraction diverses formes d’expression d’opinions critiques à l’égard des autorités russes, de leurs agissements et de leurs politiques.

Trois semaines plus tard, l’article 207.3 a à nouveau été modifié afin d’ériger en infraction la « diffusion délibérée de fausses informations », non seulement au sujet des forces armées russes mais également d’organes étatiques russes. Cette modification a également été adoptée avec la même rapidité.

L’article 207.3

L’article 207.3 du Code pénal érige en infraction la « diffusion délibérée de fausses informations apparaissant comme des messages véridiques contenant des données sur l’utilisation des forces armées de la Fédération de Russie afin de protéger les intérêts de la Fédération de Russie et de ses citoyen·ne·s, et de maintenir la paix et la sécurité internationales, ainsi que des données sur l’exécution par des organes de la Fédération de Russie de leur autorité au-delà des frontières russes dans ce même but. » Selon les circonstances, la sanction maximale en vertu de cette loi peut atteindre 15 ans d’emprisonnement. Le paragraphe 2 de l’article, qui est invoqué dans la plupart des cas signalés, prévoit des peines de 5 à 10 ans de prison ou une amende comprise entre 3 et 5 millions de roubles.

CONFLIT AVEC LES NORMES INTERNATIONALES

L’interdiction frappant le partage d’informations sur les activités des forces armées russes interfère avec le droit à la liberté d’expression, notamment la liberté de chercher, recevoir et communiquer des informations, qui est garantie par le PIDCP (le Pacte international relatif aux droits civils et politiques), la CEDH, la Convention de la CEI (Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales de la Communauté d’États indépendants) et la Constitution russe. Si les autorités russes ont la possibilité de limiter ces droits, la moindre restriction doit être nécessaire et proportionnée, et avoir pour but de protéger l’existence de la nation russe ou son intégrité territoriale ou indépendance politique contre un recours à la force ou la menace d’un recours à la force. La criminalisation généralisée des critiques à l’égard des forces armées ne satisfait pas ce critère.

LES VISAGES DE CES PRISONNIERS D’OPINION

Alexandra Skotchilenko, une artiste de Saint-Pétersbourg, a remplacé les étiquettes de prix dans un supermarché local par des messages contenant des informations sur la guerre en Ukraine, notamment sur le bombardement d’une école d’art à Marioupol le 31 mars. Le 11 avril, des agents du Comité d’enquête de la Fédération de Russie l’ont arrêtée et l’ont inculpée de « diffusion délibérée de fausses informations » en vertu de l’Article 207.3. Elle a été placée en détention provisoire en dépit de problèmes de santé qui nécessitent un régime sans gluten qu’on ne lui permet pas de suivre en détention. En juin, elle a été transférée pour une durée 20 jours dans une clinique psychiatrique à Saint-Pétersbourg pour un examen de santé mentale.

il faut libérer Alexandra Skotchilenko

Depuis le 11 avril, elle se trouve en détention provisoire dans des conditions très dures qui ont empiré son état de santé. Elle risque de passer 10 ans derrière les barreaux pour avoir diffusé des messages pacifistes.

Marina Ovsiannikova, journaliste, est connue pour avoir retenu l’attention des médias internationaux lorsqu’elle a interrompu son programme d’information en direct pour afficher une pancarte au message anti-guerre le 14 mars. Elle a été condamnée à payer une amende pour « organisation d’un événement public non autorisé », a quitté son emploi à la télévision et est partie en Allemagne.

Le 15 juillet 2022, elle a mené seule une action de protestation près du Kremlin en brandissant une pancarte traitant Vladimir Poutine de meurtrier et en affirmant que 352 enfants ont été tués en Ukraine. Cette action de protestation n’a duré que quatre minutes mais a bénéficié d’une large couverture dans les médias indépendants.

Le 10 août, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie a perquisitionné le domicile de Marina Ovsiannikova, et l’a arrêtée et soumise à un interrogatoire. Elle a été inculpée en vertu de l’Article 207.3 pour son action de protestation du 15 juillet et pour avoir partagé une photo et une vidéo sur sa chaîne Telegram. Elle avait, d’après les autorités, propagé « délibérément des fausses informations » selon lesquelles les forces armées russes tuent des civil·e·s, notamment des enfants. Le lendemain, à l’issue d’une audience en huis-clos, elle a été placée en résidence surveillée.

200 personnes risques des poursuites car elles ont dénoncé la guerre. (02/09/22)

16000 personnes ont déjà été arrêtées pour avoir enfreint la réglementation indûment restrictive du pays concernant les rassemblement publics.

80 d’affaires pénales en cours pour diffusion de « fausses informations » sur la guerre.

D’autres personnes comme Alexeï Gorinov et Ilia Iachine (des politiciens d’opposition), Viktoria Petrova (cadre), Maria Ponomarenko (une journaliste), Dimitri Ivanov (un étudiant) ou encore Ioann Kourmoïarov (un prêtre) et Dimitri Talantov (un avocat) ont été accusées d’avoir délibérément diffusé de fausses informations, en vertu de l’article 207.3. Elles ont toutes été arrêtées, parfois plusieurs fois, et persécutées en raison de leurs critiques ou leur opposition face aux violations commises par l’armée russe en Ukraine. Certaines ont été placés en détention provisoire, d’autres ont déjà été soumises à une peine d’emprisonnement.

Amnesty International conclut que toutes ces personnes sont des prisonniers et prisonnières d’opinion, poursuivi·e·s uniquement pour avoir exercé de manière pourtant pacifique leur droit à la liberté d’expression. Elles·Ils doivent être libéré·e·s immédiatement et sans condition et toutes les charges retenues contre eux doivent être abandonnées.

AMNESTY INTERNATIONAL APPELLE EN OUTRE LES AUTORITÉS RUSSES À :

  1. Abroger l’Article 207.3 du Code pénal, au motif qu’il est incompatible avec les obligations faites à la Russie en vertu du droit international relatif aux droits humains.
  2. Abroger les autres lois de ce type qui restreignent indûment l’exercice du droit à la liberté d’expression en définissant des infractions telles que la « diffusion de fausses informations », l’« intention de discréditer les organes de l’État », les « appels en faveur de l’imposition de sanctions », l’« offense au sentiment religieux », la « participation aux activités d’une organisation indésirable », etc.
  3. Cesser immédiatement, en attendant que des changements soient apportés à la loi, de poursuivre des personnes ayant pacifiquement exercé leurs droits à la liberté d’expression, ce qui ne constitue pas une infraction reconnaissable au regard des normes juridiques internationales.
  4. Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes arrêtées pour avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté d’expression, et garantir qu’elles bénéficient de réparations pleines et justes.
  5. Mettre fin au recours à la psychiatrie punitive, et aux traitements psychiatriques non volontaires susceptibles de s’apparenter à des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, et amener à rendre des comptes toutes les personnes soupçonnées de responsabilité pénale dans ces pratiques.
  6. Garantir le droit de tous et de toutes d’exprimer librement leur opinion et de partager des informations, notamment sur la guerre en Ukraine.

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