Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

République centrafricaine. La crédibilité des Nations unies est en jeu face à la multiplication des attaques contre les civils

La mission de maintien de la paix des Nations unies en République centrafricaine doit prendre des mesures courageuses afin de protéger les civils face aux attaques croissantes motivées par l’intolérance religieuse dans le centre du pays, a déclaré Amnesty International après s’être rendue dans certaines des zones les plus touchées.

Malgré le déploiement d’une nouvelle mission de maintien de la paix des Nations unies le 15 septembre, des dizaines de civils, dont plusieurs enfants, ont été tués et des milliers d’autres ont été déplacés ces dernières semaines.

Si la capitale, Bangui, est secouée par de nouvelles violences depuis le début du mois d’octobre, les populations vivant dans les régions du centre de la République centrafricaine paient un tribut particulièrement lourd à l’intensification du conflit entre différents groupes armés.

« Si l’on veut qu’elle soit un tant soit peu crédible, la mission de maintien de la paix des Nations unies doit prendre des mesures plus fermes pour véritablement protéger les civils des nombreuses violations auxquelles ils sont exposés », a déclaré Stephen Cockburn, directeur régional adjoint pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.

« Compte tenu des attaques menées par la Séléka, les forces anti-balaka et des combattants peuls armés dans les régions du centre de la République centrafricaine, la situation est extrêmement explosive et dangereuse. Si les mesures qui s’imposent ne sont pas prises de toute urgence, elle pourrait basculer dans une violence sans limite motivée par l’intolérance religieuse, comme ce que nous avons vu cette année dans l’ouest. »

Lors d’une mission dans les régions du centre du pays, Amnesty International a recueilli des informations sur des attaques récentes ayant visé des civils dans les villes de Dekoa et Bambari, et dans plusieurs villages à proximité de Bambari, notamment Yamalé, Batobadja, Matchika, Tchimangueré, Gbakomalékpa et Baguela. Les forces de la Séléka, majoritairement musulmanes et désormais scindées en au moins deux groupes armés, et les milices anti-balaka, essentiellement chrétiennes et animistes, s’affrontent dans la région depuis plusieurs mois.

Tous les camps, qu’il s’agisse de la Séléka, des anti-balaka ou des Peuls armés (membres de l’ethnie peule, et dont beaucoup appartiennent à un sous-groupe de la Séléka), prennent systématiquement pour cibles les civils qu’ils soupçonnent de soutenir leurs adversaires.

Dekoa

Le 10 octobre, une attaque lancée par la Séléka dans la ville de Dekoa – à 260 kms de Bangui – et aux alentours a causé la mort de 14 civils. Trois femmes et quatre enfants figuraient parmi les personnes tuées ce jour-là. Neuf des victimes ont péri dans l’enceinte de l’église catholique ; cinq ont été directement prises pour cible alors qu’elles essayaient de se cacher dans le salon du principal bâtiment résidentiel.

Cinq autres victimes ont été tuées plus tard ce même jour par des membres de la Séléka qui s’enfuyaient dans la brousse. Deux autres civils pris en otage par des combattants de la Séléka disant vouloir les utiliser comme  » guides  » n’ont pas reparu depuis lors.

Les forces armées françaises sont toutefois arrivées à l’église peu après le début de l’attaque. Elles se sont engagées dans un combat prolongé avec la Séléka, tuant au moins six membres de celle-ci, dont le  » colonel  » ayant mené l’attaque. Un nombre plus restreint de soldats de la paix des Nations unies a également contribué à mettre un terme aux homicides de civils.

« Les forces françaises, aidées par des soldats de la paix des Nations unies, ont empêché un massacre de grande ampleur à Dekoa », a déclaré Stephen Cockburn.

Bambari

De nombreuses attaques ont eu lieu ces dernières semaines dans la ville de Bambari – à 380 km au nord-est de Bangui – et aux alentours, et leur rythme semble s’accélérer actuellement.

Le 29 septembre, des combattants anti-balaka ont tué Abdou Salam Zaiko, un civil musulman, après que le véhicule de cet homme fut tombé en panne. Au moins deux autres musulmans passagers de ce véhicule auraient perdu la vie au cours de cette attaque. Les tensions ont fortement augmenté lorsque le corps d’Abdou Salam Zaiko a été ramené gravement mutilé à Bambari, où il résidait.

Plus tard, le 1er octobre, en guise de représailles semble-t-il, un groupe composé de membres de la Séléka et de jeunes gens armés s’en est pris à un camp de personnes déplacées à Bambari, tuant cinq civils et en blessant plusieurs autres.

L’homicide d’Abdou Salam Zaiko et de plusieurs des passagers de sa voiture s’inscrit dans une série de cas de musulmans de Bambari pris pour cible par des miliciens anti-balaka.

Le 8 octobre, sept passagers musulmans d’une voiture appartenant à un civil, Saidu Daouda, ont été tués par des combattants anti-balaka après que le véhicule est tombé dans une embuscade sur la route. Tous les chrétiens de la voiture, ainsi qu’une musulmane, ont pu s’échapper.

« Ils ont capturé plusieurs individus, chrétiens et musulmans confondus, et ont laissé tous les chrétiens partir, notamment le conducteur. Tous les hommes musulmans qu’ils ont capturés ont été tués. Ils les ont déshabillés afin de les humilier, et les ont taillés en pièces, leur tranchant les mains et les pieds« , a déclaré Saidu Daouda à Amnesty International.

Des musulmans de Bambari ont souligné que ces attaques les avaient dissuadés de se déplacer en dehors de la ville. « Le PK 5 [quartier situé à 5 kilomètres du centre ville] c’est à peu près la limite pour nous », a expliqué l’un d’entre eux. « On est comme des prisonniers ici. »

D’autres attaques ont impliqué des Peuls, un large groupe de bergers nomades. Six membres d’une famille peule ont été tués lors d’une attaque lancée par des anti-balaka contre un campement peul près de Bambari à la fin septembre. Deux enfants et une femme figuraient parmi les victimes. Une des personnes ayant échappé à cette tuerie, qui appartient à la même famille que les victimes, a décrit ce qui s’est passé en ces termes:

« Les anti-balaka ont d’abord envahi une zone occupée par trois huttes appartenant à Bodo, au bord du campement. Nous étions déjà tous sur le qui-vive, et quand nous avons entendu sa famille se faire attaquer, nous sommes parvenus à fuir. Le lendemain nous sommes retournés au campement et avons trouvé tous les corps. Certaines personnes avaient quasiment été décapitées ; une des victimes avait les pieds sectionnés. Nous les avons enterrées dans une fosse commune.« 

Des peuls armés ont récemment été les auteurs d’une série d’attaques visant des villages proches de Bambari, dont Yamalé, Batobadja, Matchika, Tchimangueré, Gbakomalékpa et Baguela. On ignore encore avec précision combien de personnes ont été tuées lors de ces attaques, car il semble que certains corps gisent par terre dans des zones reculées dont l’accès est dangereux.

Forcés à fuir

Ces récentes violences ont déclenché une nouvelle vague de déplacements dans la zone. Des milliers de personnes ont fui, beaucoup se sont réfugiées à l’église de Notre-Dame des Victoires, à l’extrémité ouest de Bambari. D’autres ont marché jusqu’à Grimari, à 80 km à l’est de Bambari.

Le 26 octobre, un chercheur d’Amnesty International a rencontré plusieurs groupes de civils épuisés qui, craignant de nouvelles violences, fuyaient les villages de Yamalé et Malépu et se dirigeaient vers Grimari.

« Bambari et Dekoa sont désormais deux villes fantômes, pleines de maisons vides, de magasins fermés et de bâtiments abandonnés. Les forces internationales présentes dans le pays doivent intensifier leurs efforts afin de protéger les civils et de leur permettre de rentrer chez eux et de vivre en sécurité », a déclaré Stephen Cockburn.

Complément d’information

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), déployée le 15 septembre 2014, n’a pas encore pu arrêter ni prévenir la plupart de ces violations. Les forces internationales sont dispersées – en particulier parce qu’il manque à la MINUSCA plusieurs milliers de soldats par rapport aux effectifs prévus par son mandat – et n’ont pour l’instant pas été en mesure d’empêcher l’escalade de la violence dans la région centrale du pays.

Vous pouvez lire un exemplaire de la synthèse d’Amnesty International sur la multiplication des attaques dans le centre de la République centrafricaine ici (en anglais).