Amnesty International ayant recensé de nombreux cas dans lesquels les forces de l’ordre ont eu recours à une force excessive pour maintenir l’ordre lors des manifestations qui ont eu lieu en Ukraine depuis le mois de novembre 2013, elle demande aux autorités de :
– veiller à ce que les organes ukrainiens de maintien de l’ordre (police, autres forces de sécurité, armée, etc.) se conforment pleinement aux normes internationales définies dans le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (ONU) et aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (ONU) et, ce faisant, respectent et protègent le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes ;
– interdire les tirs à balles réelles et à balles en acier enrobées de plastique ou de caoutchouc lorsque cette pratique n’est pas absolument inévitable pour protéger des vies humaines, par mesure de légitime défense ou pour défendre d’autres personnes en cas de danger imminent de mort ou de blessure grave, et lorsque des mesures moins extrêmes ne seraient pas suffisantes pour atteindre cet objectif. Par ailleurs, l’utilisation de telles munitions ne devrait être autorisée qu’à des agents dûment formés à l’usage des armes à feu et assujettis à une supervision et un contrôle efficaces, dans le respect de la réglementation ;
– interdire le tir de projectiles « moins meurtriers » ou de munitions-bâtons (balles en caoutchouc ou en plastique) et de grenades assourdissantes, à moins que ces projectiles ne soient employés au lieu de recourir à une force meurtrière, qu’ils soient suffisamment précis pour ne pas causer de blessures injustifiées et qu’ils ne soient utilisés que par des agents dûment formés à l’usage des armes à feu et assujettis à une supervision et un contrôle efficaces, dans le respect de la réglementation, et uniquement dans la mesure où il est absolument nécessaire d’utiliser de tels projectiles pour protéger des vies humaines, par mesure de légitime défense ou pour défendre d’autres personnes en cas de danger imminent de mort ou de blessure grave. Le cas échéant, le tir de tels projectiles ne doit être autorisé qu’en s’appliquant à réduire le risque de dommages inutiles, lorsque des mesures moins extrêmes seraient insuffisantes pour atteindre ces objectifs ;
– instaurer des règles rigoureuses et des programmes de formation exigeants sur l’utilisation de matraques par les forces de sécurité, afin de minimiser le recours à la force et de prévenir les blessures injustifiées. Il devrait être expressément interdit de frapper une personne à la tête, au cou et à la gorge, à la colonne vertébrale, au bas du dos, au plexus solaire, au genou et à la cheville ;
– veiller à ce que tous les responsables devant assumer des fonctions de maintien de l’ordre soient sélectionnés au moyen d’une procédure adéquate, aient les qualités morales, psychologiques et physiques requises pour exercer efficacement leurs fonctions et reçoivent une formation permanente et approfondie reposant sur le respect des droits humains. Leurs capacités à exercer de telles fonctions devraient faire l’objet d’examens périodiques ;
– interdire le déploiement et l’utilisation de produits chimiques irritants susceptibles d’aggraver le risque de dommages inutiles ou de blessure injustifiée ou de décès, à commencer par le tir de cartouches métalliques contenant des produits irritants en visant directement une personne ; l’utilisation de produits chimiques toxiques à de très fortes concentrations ; l’emploi de produits irritants dont les effets pourraient être ressentis sans discrimination (par exemple s’ils sont pulvérisés ou tirés sur une large zone, de l’eau potable ou de la nourriture) ; le tir de tels produits chimiques en visant des personnes se trouvant dans un espace confiné dont il est difficile de sortir ou mal ventilé, ou à proximité de telles personnes ; ou le tir de produits irritants à proximité de personnes âgées, d’enfants ou d’autres personnes qui pourraient avoir du mal à se déplacer pour éviter les effets dangereux des produits chimiques toxiques ;
– veiller à ce que les forces de sécurité ukrainiennes protègent la population et les biens en leur donnant l’ordre d’arrêter les membres de la population qui commettent des agressions violentes ou d’autres graves infractions, et en enquêtant sans tarder, de manière approfondie et sérieuse, lorsqu’elles reçoivent une plainte concernant un tel acte de violence.
En considération de la force excessive utilisée par les forces de l’ordre pour maintenir l’ordre dans le cadre des manifestations actuelles, Amnesty International demande aussi aux autorités ukrainiennes de :
– mener des enquêtes indépendantes, impartiales et diligentes sur toutes les allégations faisant état de manifestants tués ou blessés par les forces de sécurité ukrainiennes ou par des milices associées aux forces de sécurité. Lorsque les éléments de preuve admissibles sont suffisants, poursuivre les responsables présumés des blessures ou des homicides illégaux devant un tribunal civil ;
– donner pleine réparation (sous forme de restitution, d’indemnisation, de réhabilitation, de réadaptation, de garanties de non-répétition, etc.) à toutes les personnes victimes de crimes au regard du droit international commis par les forces ukrainiennes. L’indemnisation financière et les autres formes de réparation doivent être adaptées et proportionnelles à la gravité des violations, au préjudice subi et aux circonstances. Faciliter l’accès aux procédures judiciaires, pour toutes les victimes, leurs familles et leurs représentants ;
– mettre en place un système transparent – pouvant faire l’objet d’un examen public, y compris de la part d’un organe indépendant d’experts médicaux, scientifiques et judiciaires – et rendre des comptes sur le développement sécuritaire et les dangers des armes incapacitantes non meurtrières et des armes « moins meurtrières ». Ceci afin d’établir des règles efficaces et des compétences appropriées pour le déploiement et l’utilisation légale de telles armes, lorsqu’il y a lieu, par des agents des forces de l’ordre pleinement formés et responsables, afin de restreindre progressivement l’application de moyens susceptibles de tuer ou de blesser, ainsi que le recours à une force arbitraire, abusive et excessive ;
– lancer sans délai un examen des pratiques de maintien de l’ordre utilisées lors des manifestations pour s’assurer qu’à l’avenir les pratiques des forces de l’ordre ukrainiennes respecteront pleinement les normes internationales en matière de droits humains, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (ONU) et les recommandations susmentionnées. Il faudrait notamment diffuser des ordres et des règles d’engagement sans équivoque relativement au maintien de l’ordre lors des manifestations, en insistant sur le fait que ce sont des situations d’application de la loi sans nécessité militaire impérative ; dispenser une formation aux forces de l’ordre ; prévoir un système interne de reddition de comptes des forces de l’ordre associé à des procédures disciplinaires appropriées ;
– rendre publics tous les règlements sur le recours à la force et toute autre règle se rapportant au maintien de l’ordre lors des manifestations en Ukraine ;
– examiner la législation en vigueur pour s’assurer que l’usage arbitraire ou abusif de la force par les responsables de l’application des lois soit puni comme une infraction pénale, en application de la législation nationale ;
– inviter le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires à se rendre en Ukraine.
En ce qui concerne les transferts d’équipements militaires, de sécurité et de police, Amnesty International exhorte la communauté internationale, y compris les fournisseurs d’équipements utilisés en Ukraine pour la répression interne, à :
– suspendre les transferts à l’Ukraine de munitions, d’armes ou d’équipements connexes, y compris d’armes et de dispositifs, de programmes de formation et de techniques de contrôle des foules risquant fortement d’être utilisés à mauvais escient par les forces de sécurité en Ukraine, tant que les autorités ukrainiennes n’auront pas pris des mesures substantielles pour demander des comptes aux responsables des violations antérieures et que n’auront pas été mis en place des mécanismes efficaces garantissant que ces éléments ne seront pas utilisés pour commettre ou faciliter de graves violations du droit international relatif aux droits humains. La suspension devrait s’appliquer à toutes les exportations indirectes faites par l’intermédiaire d’autres pays, au transfert de pièces et de technologies utilisées pour ces équipements et aux activités financières, logistiques et de courtage qui faciliteraient de tels transferts ;
– les États devraient veiller à ce que leur coopération avec l’Ukraine dans les domaines de l’application des lois, de la sécurité et de la justice ne contribue pas à la perpétration de violations des droits humains.