Amnesty International salue la décision du procureur général du Pérou d’ordonner l’inculpation de l’ancien président Alberto Fujimori et de membres de son gouvernement, pour leur responsabilité présumée dans des crimes commis contre des femmes stérilisées de force dans le cadre d’une politique publique appliquée durant sa présidence.
« C’est un tournant historique dans cette quête de justice, et ce grâce aux victimes courageuses, qui dénoncent ces violations des droits humains depuis plus de 15 ans, et aux organisations qui les accompagnent, a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International.
« C’est la première fois que l’État péruvien ordonne l’inculpation de responsables de haut rang pour ces actes et reconnaît qu’il s’agit de crimes relevant du droit international. Aujourd’hui, l’État doit poursuivre et garantir sans plus attendre les droits des milliers de victimes de stérilisation forcée à la vérité, à la justice et à des réparations. »
Durant les années 1990, environ 200 000 Péruviennes – pour la plupart des femmes autochtones, paysannes aux faibles revenus et parlant quechua – ont été stérilisées dans le cadre d’un programme de planning familial.
Tout semble indiquer que les professionnels de santé ont subi des pressions des autorités pour atteindre des quotas de stérilisation et que, dans la plupart des cas, les femmes concernées n’ont pas donné leur consentement libre et éclairé. Beaucoup n’ont pas bénéficié du suivi nécessaire après l’opération et ont souffert de problèmes de santé par la suite ; 18 en sont mortes.
Le procureur général a ordonné l’inculpation d’Alberto Fujimori et de trois de ses anciens ministres de la Santé dans les affaires concernant cinq victimes de blessures graves ayant causé la mort et 2 074 victimes de blessures graves.
« Nous saluons le fait que le procureur reconnaisse enfin que ces stérilisations forcées constituent de graves violations des droits humains et que, par conséquent, la prescription ne s’applique pas. Ces crimes relevant du droit international ne peuvent pas demeurer impunis », a déclaré Marina Navarro, directrice générale d’Amnesty International Pérou.
« Nous voulons que les responsables soient identifiés, sans avoir à attendre encore de nombreuses années. Nous sommes ravies que notre demande de justice ait été entendue. Nous voulons rencontrer le président Martin Vizcarra afin de discuter des réparations pour cette chose horrible qu’ils nous ont faite », a ajouté Inés Condori, présidente de l’Association des femmes victimes de stérilisation forcée de Chumbivilcas.
Complément d’information
En 2002, la Commission du Congrès chargée d’enquêter sur les plaintes pour stérilisation forcée a déterminé que « les stérilisations avaient été effectuées sans le consentement des femmes concernées, par le biais de pressions psychologiques, ou en échange d’un avantage alimentaire ou économique ».
La commission a également conclu à l’ingérence du gouvernement dans l’application obligatoire des stérilisations. Des poursuites pénales ont été intentées contre Alberto Fujimori et plusieurs hauts responsables de la santé pour la première fois en 2004, avant d’être closes en 2009.
L’enquête a été rouverte en 2011 et de nouveau fermée en 2014, lorsque le bureau du procureur général a décidé d’engager des poursuites dans un seul dossier – alors que plus de 2 000 cas avaient fait l’objet d’investigations – et de classer tout le reste sans suite. En raison des pressions au niveau national et international, il a rouvert les investigations en 2015, mais les a de nouveau fermées fin 2016.
Fin 2015, Amnesty International a lancé la campagne Contre leur gré pour demander la création d’un registre des victimes de stérilisation forcée. Le gouvernement péruvien a en effet créé le registre, mais les victimes n’ont toujours pas reçu de réparations intégrales et les responsables présumés de ces graves violations des droits humains n’ont pas été traduits en justice.
Aux termes des instruments internationaux auxquels le Pérou est tenu de se conformer, la stérilisation forcée bafoue les droits à l’intégrité physique, à la santé, à l’intimité, à la vie de famille (notamment le droit de décider du nombre d’enfants et de l’espacement de leurs naissances), ainsi que le droit à la non-discrimination. Dans certains cas, elle peut constituer un acte de torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, voire un crime contre l’humanité.
Pour en savoir plus :
Pérou. Plus de 2 000 femmes à nouveau privées de justice (Rapport, 5 août 2016) https://www.amnesty.org/fr/documents/amr46/4623/2016/fr/ Pérou. Risque d’impunité dans des cas de stérilisation forcée (Rapport, 6 juillet 2016) https://www.amnesty.org/fr/documents/amr46/4402/2016/fr/ Peru: Thousands of indigenous women forcibly sterilized may be denied justice (Recherches, 29 avril 2014) https://www.amnesty.org/en/documents/amr46/002/2014/en/