Une enquête menée sur le terrain par Amnesty International a confirmé qu’à Onitsha (État d’Anambra), l’armée nigériane a abattu des personnes non armées quelque temps avant les commémorations relatives au Biafra prévues en mai.
Les éléments rassemblés à la suite d’entretiens avec des témoins et de visites dans des morgues et des hôpitaux confirment que les 29 et 30 mai 2016, l’armée nigériane a ouvert le feu sur des membres de Peuple indigène du Biafra (IPOB), des sympathisants de ce mouvement et des passants, dans trois endroits distincts de la ville.
" Les tirs qui ont visé des sympathisants de l’IPOB et des passants qui ne représentaient de toute évidence aucune menace pour quiconque constituent un recours inutile et excessif à la force et ont fait de nombreux morts et blessés. Dans un de ces cas, une personne a été tuée quand les autorités ont fait irruption alors que les intéressés étaient en train de dormir, a déclaré M.K. Ibrahim, directeur d’Amnesty International Nigeria.
" Une enquête indépendante doit être ouverte de toute urgence sur ces fusillades qui constituent probablement dans certains cas des exécutions extrajudiciaires, et les responsables présumés doivent être déférés à la justice. "
On ignore combien de personnes exactement ont été tuées, en partie parce que l’armée nigériane a emmené les blessés et les corps des tués.
Amnesty International a reçu de plusieurs sources sur le terrain des informations selon lesquelles au moins 40 personnes ont été tuées et plus de 50 blessées.
Des visites effectuées dans des hôpitaux et des morgues ont permis à l’organisation de confirmer, sur la base des résultats de ses premières investigations, qu’au moins 17 personnes ont été tuées et une cinquantaine blessées. Les véritables chiffres sont probablement plus élevés.
Certains des sympathisants de l’IPOB tués ou blessés qu’un chercheur d’Amnesty International a vus ont reçu des balles dans le dos, ce qui indique qu’ils étaient en train de fuir quand ils ont été touchés.
La direction de l’IPOB affirme que plus de 50 de ses membres ont été tués. L’armée nigériane a déclaré qu’elle avait agi en état de légitime défense, et que cinq membres de l’IPOB ont été tués. Or, Amnesty International n’a trouvé aucun élément prouvant que ces homicides étaient nécessaires pour protéger des vies. La police a également affirmé que des sympathisants de l’IPOB avaient tué deux policiers le lendemain non loin de là, à Asaba (État du Delta), mais Amnesty International n’est pas en mesure de le confirmer. Quoi qu’il en soit, ces homicides ne pourraient en aucun cas permettre à l’armée d’invoquer la légitime défense.
L’armée, la police et la marine nigérianes ont mené conjointement une opération de sécurité dans la nuit du 29 mai et le 30 mai toute la journée, apparemment dans le but d’empêcher un défilé organisé par des membres de l’IPOB ayant pour point de départ le parking de Nkpor et pour point d’arrivée un champ où un rassemblement devait avoir lieu. Avant le début du défilé, l’armée a effectué des descentes dans une église et dans des logements où des membres de l’IPOB étaient en train de dormir.
Des sympathisants de l’IPOB ont dit à Amnesty International que des centaines de personnes venues d’États voisins étaient en train de dormir dans l’église St Edmunds quand les soldats ont fait irruption dans son enceinte, le 29 mai.
Un coiffeur de 32 ans qui se trouvait dans l’église a dit à Amnesty International : " Vers minuit, nous avons entendu quelqu’un cogner à la porte. Nous avons refusé d’ouvrir mais ils ont forcé la porte et ont commencé à lancer des gaz lacrymogènes. Ils ont également commencé à tirer dans l’enceinte de l’église. Les gens couraient pour s’échapper. J’ai vu un gars recevoir une balle dans l’estomac. Il est tombé sur le sol mais à cause des gaz lacrymogènes les gens n’ont pas pu lui venir en aide. Je ne sais pas ce qu’il est devenu parce que je me suis enfui en courant. "
Un autre témoin a dit à Amnesty International que dans la matinée du 30 mai il a vu des soldats ouvrir le feu sur un groupe d’une vingtaine d’hommes et de garçons âgés de 15 à 45 ans dans le parking de Nkpor. Il a ajouté que cinq d’entre eux ont été tués. " Je me tenais à [environ 100 mètres] de là où ces hommes ont été visés et abattus. Je ne pouvais pas bien entendre ce qu’ils demandaient aux garçons, mais j’ai vu qu’un des garçons essayait de répondre. Il a immédiatement levé les mains en l’air, mais les soldats ont ouvert le feu […] Il gisait sur le sol, sans vie. J’ai vu cela de mes yeux. "
Ce témoin a expliqué que des militaires chargeaient les blessés dans un camion, et les corps des tués, apparemment, dans un autre camion.
Selon un autre témoin, en fin de matinée, la police a abattu un enfant qui passait par là, alors qu’un groupe de jeunes hommes protestaient contre les fusillades et avaient barré la rue et brûlaient des pneus au carrefour de Eke-Nkpor.
Il a déclaré à Amnesty International : " On a entendu la sirène de la police et tout le monde a commencé à courir en pagaille. Je me suis enfui en courant avec d’autres gens, mais avant que nous ayons pu quitter les lieux, la police a tiré des gaz lacrymogènes dans notre direction et a abattu un garçon en ma présence. Il était juste en train de vendre des choses dans la rue. Il n’était même pas là pour protester. "
Un chercheur d’Amnesty International s’est rendu dans trois hôpitaux d’Onitsha et de villes voisines et il a vu 41 hommes soignés pour des blessures par balle à l’estomac, aux épaules, aux jambes, dans le dos et aux chevilles. Il s’est également rendu dans des morgues à Onitsha et a vu trois cadavres avec des blessures par balle, qui avaient tous été apportés par des membres de l’IPOB le 30 mai.
Amnesty International a été informée du fait qu’un grand nombre des tués et des blessés se trouvent toujours aux mains de l’armée et de la police. Plusieurs témoins ont dit que des militaires avaient chargé les cadavres dans leurs véhicules et les avaient emportés au camp militaire d’Onitsha. Amnesty International n’est pas en mesure de confirmer ces informations.
Un témoin a dit à Amnesty International qu’une trentaine de personnes étaient détenues au camp militaire, et un autre que 23 personnes détenues par le département de la police judiciaire de l’État étaient déférées à la justice.
L’armée a par la suite déclaré à des médias que les soldats n’avaient ouvert le feu qu’après avoir d’abord essuyé des tirs, mais les recherches menées par Amnesty International n’ont pas permis de confirmer cela. Toutes les personnes interviewées par l’organisation ont dit que les manifestants n’étaient pas armés ; un jeune homme a dit avoir jeté des pierres sur des policiers et des soldats qui avaient lancé des gaz lacrymogènes sur des membres de l’IPOB. Il a ajouté que les soldats avaient répliqué en tirant des coups de feu à balles réelles.
Les informations rassemblées par Amnesty International montrent que les morts de membres et sympathisants de l’IPOB sont dues à un recours excessif et inutile à la force.
Le droit international oblige le gouvernement à diligenter des enquêtes sur les homicides illégaux dans le but de déférer les responsables présumés à la justice. Amnesty International demande également que les sympathisants de l’IPOB maintenus en détention sans inculpation soient immédiatement remis en liberté ou inculpés.
" Ce n’est pas la première fois que des sympathisants de l’IPOB meurent aux mains de l’armée. Cela devient une habitude très inquiétante, et des investigations doivent immédiatement être menées sur ces faits et sur les autres violences, a déclaré M. K. Ibrahim.
" De plus, il faut mettre fin à la militarisation croissante des opérations de contrôle des foules, les soldats étant régulièrement déployés pour effectuer des tâches courantes de maintien de l’ordre. "