Bien qu’elle se soit longtemps fait attendre, l’indemnisation versée par le géant pétrolier Shell à une population anéantie par des épanchements de pétrole dans le delta du Niger constitue une victoire importante pour les victimes de négligences de la part d’entreprises, ont déclaré Amnesty International et le Centre pour l’environnement, les droits humains et le développement mercredi 7 janvier.
Six ans après que deux déversements de pétrole ont détruit les moyens de subsistance de milliers de personnes dans la zone de Bodo, une action en justice engagée au Royaume-Uni a incité Shell à conclure un arrangement à l’amiable avec la population affectée, en procédant à une indemnisation d’un montant de 55 millions de livres sterling (soit quelque 70 millions d’euros). Sur cette somme, 35 millions seront versés à 15 600 personnes à titre individuel et les 20 millions restants iront à la collectivité.
"Si cette décision est une victoire très attendue par les milliers de personnes ayant perdu leurs moyens de subsistance à Bodo, le versement d’une indemnisation un tant soit peu équitable n’aurait pas dû prendre six ans" a déclaré Audrey Gaughran, directrice du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.
"Dans les faits, Shell savait qu’un accident finirait par arriver à Bodo. L’entreprise n’a pris aucune véritable mesure pour le prévenir, puis elle a fait de fausses déclarations sur la quantité de pétrole qui s’est répandue. Si Shell n’avait pas été contrainte à révéler cette information dans le cadre de l’action en justice engagée au Royaume-Uni, la population de Bodo aurait été complètement escroquée".
L’attente a coûté cher aux résidents de Bodo. Beaucoup d’entre eux qui vivaient de la pêche et de l’agriculture ont vu leur activité détruite par ces fuites. Tout au long de cette période, ils ont dû vivre avec une pollution persistante et, faute d’indemnisation, beaucoup ont connu une pauvreté éreintante.
"Cette indemnisation est un pas en avant pour la population de Bodo, mais justice ne sera pleinement rendue que lorsque Shell aura correctement nettoyé les ruisseaux et marais fortement pollués des alentours, afin que ceux qui tirent leurs revenus de la pêche et de l’agriculture puissent commencer à reconstruire leurs moyens de subsistance", a déclaré Styvn Obodoekwe, directeur des programmes du Centre pour l’environnement, les droits humains et le développement.
"Je suis très heureux que Shell ait finalement assumé la responsabilité de ses actes", déclare Pastor Christian Kpandei, un pisciculteur de Bodo, dont l’exploitation a été détruite par les fuites de pétrole. "Je voudrais remercier les avocats pour avoir obligé Shell à prendre cette décision sans précédent".
Shell a toujours reconnu que les deux fuites de pétrole ayant eu lieu à Bodo en 2008 étaient imputables aux défaillances de son oléoduc à Bodo, mais a aussi publiquement – et de manière répétée – affirmé que le volume de l’épanchement s’élevait à environ à 4 000 barils en tout, bien que les déversements aient duré des semaines.
En 2012, en s’appuyant sur une analyse indépendante de séquences vidéo montrant le premier déversement, Amnesty International a estimé que la quantité totale de pétrole écoulée lors de celui-ci dépassait les 100 000 barils.
Durant l’action en justice engagée au Royaume-Uni, Shell a finalement admis que ses chiffres étaient faux et qu’elle avait sous-estimé la quantité de pétrole déversée dans les deux cas à Bodo. Shell n’a cependant toujours pas confirmé la quantité de pétrole qui s’est véritablement écoulée.
Pendant la procédure, Shell a également été forcée à révéler qu’elle savait depuis au moins 2002 que la plupart de ses oléoducs étaient anciens et que certaines sections présentaient " un risque et un danger majeurs ". Dans un document de 2002, Shell a déclaré qu’un remplacement intégral des oléoducs était nécessaire en raison d’une corrosion étendue.
À la connaissance d’Amnesty International et du CEHRD, Shell n’a pris aucune mesure, bien qu’elle ait été en possession de cette information des années avant les fuites de Bodo. Un courriel interne datant de 2009 a révélé que Shell se savait mise en cause dans les déversements dans le pays ogoni – où se situe Bodo ; ce courriel indiquait : "cela fait plus de 15 ans que les oléoducs du pays ogoni n’ont pas fait l’objet d’un véritable travail de maintenance et que leur intégrité n’a pas été évaluée".
Des milliers d’autres personnes continuent à risquer d’être exposées à des fuites de pétrole à l’avenir, car Shell n’a pas réparé ses oléoducs vieillissants et délabrés. "La pollution pétrolière dans le delta du Niger est l’un des pires scandales industriels de notre époque. Shell doit accorder des indemnisations décentes, nettoyer la pollution et rendre les oléoducs plus sûrs, plutôt que mener une habile campagne de relations publiques afin de se soustraire à toute responsabilité", a déclaré Audrey Gaughran.