Esther Kiobel. © Amnesty International

Nigeria/Pays-Bas. Le jugement concernant Shell est « une avancée cruciale vers la justice »

Le tribunal de district de La Haye a rendu le 1er mai 2019 un jugement provisoire dans l’affaire intentée par Esther Kiobel et trois autres femmes concernant l’implication de Shell dans l’arrestation illégale, la détention et l’exécution de leurs époux par l’armée nigériane. Le tribunal a statué en faveur des plaignantes, assurant qu’il est compétent pour juger de cette affaire qui ne doit pas faire l’objet d’un délai de prescription.

Le tribunal a également statué que Shell devait remettre des documents internes confidentiels aux avocats des plaignantes qui auront la possibilité d’interroger les témoins.

Mark Dummett, directeur du programme Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International, a déclaré :

« Cette décision judiciaire marque une avancée cruciale en direction de la justice pour Esther et les autres plaignantes. En outre, elle établit un important précédent pour les autres victimes autour du monde qui cherchent à amener des entreprises puissantes à rendre des comptes et luttent pour obtenir justice.

« Nous rendons hommage à Esther Kiobel, Victoria Bera, Blessing Eawo et Charity Levula. C’est uniquement grâce à leur courage et à leur persévérance que nous sommes allés aussi loin.

« Ces femmes sont convaincues que leurs époux seraient toujours en vie aujourd’hui si Shell n’avait pas poursuivi sa quête insatiable de profit, encourageant ainsi le gouvernement nigérian à réprimer de façon sanglante les manifestations, tout en connaissant le coût humain de ces opérations. Shell va peut-être devoir répondre à des questions devant un tribunal sur ce que l’entreprise savait et sur la manière dont elle a contribué à ce sombre chapitre de l’histoire nigériane.

« La décision rendue ce jour aura de grandes répercussions pour les personnes, partout dans le monde, qui ont subi des préjudices en raison de l’avidité et de la conduite inconsidérée des multinationales. »

Amnesty International a salué la décision du tribunal, qui a ordonné à Shell de rendre publics certains documents internes, mais regrette qu’il n’ait pas ordonné que soient remis tous les documents demandés par les avocats d’Esther.

Complément d’information

Shell est accusée d’être à l’origine d’une série d’effroyables violations des droits humains commises par le gouvernement nigérian contre le peuple ogoni dans les années 1990.

Esther Kiobel, Victoria Bera, Blessing Eawo et Charity Levula ont engagé des poursuites contre Shell en raison, selon elles, du rôle que cette entreprise a joué dans l’arrestation illégale, la détention et l’exécution de leurs maris par l’armée nigériane, à la suite de la violente répression des manifestations organisées par les Ogonis contre la pollution dévastatrice causée par Shell dans la région.

Esther Kiobel a intenté un premier procès à Shell en 2002 à New York mais, en 2013, la Cour suprême américaine a statué que les États-Unis n’étaient pas compétents en l’espèce, ce qui signifie que les tribunaux américains n’ont jamais eu à examiner sur le fond les allégations formulées contre Shell.

Les neuf Ogonis

Amnesty International a rassemblé des informations de façon indépendante sur le rôle qu’a joué Shell dans les meurtres, les viols et les actes de torture commis par le gouvernement nigérian dans le but d’étouffer le mouvement de protestation.

Barinem Kiobel, Baribor Bera, Nordu Eawo et Paul Levula ont été pendus en 1995 à l’issue d’un procès manifestement inique.

Leurs veuves demandent à présent des indemnisations ainsi que des excuses publiques de la part de Shell en raison du rôle qu’a joué cette entreprise dans ces événements. Cinq autres hommes, parmi lesquels figure Ken Saro-Wiwa, écrivain et dirigeant du mouvement de protestation, ont été exécutés en même temps qu’eux. On les appelle depuis collectivement les neuf Ogonis.

Les quatre plaignantes accusent Shell d’avoir joué un rôle déterminant dans l’arrestation et la détention illégales de leurs maris, les atteintes à leur intégrité physique, les violations de leurs droits à un procès équitable et à la vie, et leur propre droit à une vie de famille. Amnesty International a aidé Esther Kiobel à porter l’affaire devant la justice néerlandaise en 2017, et a publié un document de synthèse intitulé In The Dock, qui décrit en détail l’implication de Shell dans les arrestations et les exécutions. Les plaignantes demandent également au tribunal d’ordonner à Shell de remettre des documents internes classés confidentiels par l’entreprise pendant la procédure aux États-Unis entre 2002 et 2013, et qui sont d’une importance cruciale dans cette affaire.

Pour en savoir plus sur le combat que livre Esther Kiobel afin d’obtenir justice, consultez le document One Woman Vs Shell.