Il y a deux ans, l’image d’un petit garçon en T-shirt rouge, le visage enfoui dans le sable d’une plage de Méditerranée, amenait dans chaque foyer toute l’horreur de la crise humanitaire qui endeuille les côtes européennes. Alan Kurdi, originaire de la ville syrienne de Kobané, n’avait que trois ans lorsqu’avec sa mère et son frère aîné, ils se sont noyés en tentant la dangereuse traversée de la Turquie à la Grèce. Si la crise n’était pas un scoop, il a semblé l’espace d’un instant que l’indignation du monde allait inciter ses dirigeants à agir.
Pourtant, les déclarations officielles exprimant le choc et la compassion furent de bien courte durée. Quelques mois après la mort d’Alan Kurdi, de nombreux gouvernements ont mis en place des politiques destinées à ne pas laisser entrer les réfugiés, syriens entre autres. L’Union européenne a conclu un accord honteux aux termes duquel ceux qui avaient déjà risqué leur vie seraient renvoyés directement en Turquie. L’Australie a continué d’enfermer les réfugiés dans des centres de détention hors de son territoire, dans des conditions qualifiées d’ « inhumaines » par l’ONU. Le partage équitable des responsabilités concernant les réfugiés entre les États les plus riches de la planète – dont il fut longuement question et qui fut théoriquement réaffirmé lors d’un sommet à New York en septembre 2016 – demeure, dans la pratique, inexistant. Pendant ce temps, le bilan s’alourdit : plus de 2 000 morts au cours du premier semestre 2017.
Or, ce n’est pas une fatalité. Selon la dernière enquête des Global Shapers du Forum économique mondial, la vaste majorité (73 %) des personnes interrogées âgées entre 18 et 35 ans se disent prêtes à accueillir des réfugiés dans leur pays. Plus d’un quart (27 %) déclarent qu’elles les accueilleraient même sous leur propre toit. Ces résultats font écho à un sondage similaire publié par Amnesty International en 2016, selon lequel quatre personnes sur cinq dans le monde se disaient prêtes à accueillir des réfugiés dans leur pays.
Ce serait dramatique de ne pas « surfer » sur cette puissante vague d’empathie. Le défi consiste à trouver les moyens d’en tirer parti et de traduire ces attitudes positives en actes permettant de sauver des vies.
L’un des pays où la mort d’Alan Kurdi a eu un impact durable est le Canada, où des millions de personnes l’ont perçue comme le reflet d’un échec politique. Cette tragédie a semblé d’autant plus proche que la tante d’Alan Kurdi était déjà installée au Canada et qu’une demande de réinstallation déposée par la famille Kurdi avait été rejetée. Lorsque la nouvelle de la mort du petit garçon a fait la une des médias, les termes les plus recherchés dans Google au Canada furent « Comment parrainer un Syrien ». Les Canadiens exigeaient une réponse à la crise – et des milliers d’entre eux ont montré qu’ils étaient décidés à apporter leur contribution. La victoire de Justin Trudeau aux élections en octobre 2015 a en partie reposé sur la promesse électorale d’augmenter massivement le nombre de réfugiés syriens et irakiens accueillis au Canada. Entre novembre 2015 et fin janvier 2017, plus de 14 000 Syriens ont été réinstallés dans le cadre des programmes de parrainage privé.
Le Canada se distingue par un système, en place depuis 40 ans, qui permet aux citoyens intéressés d’organiser et de financer l’arrivée de réfugiés dans leur pays et de les aider à devenir des « arrivants » canadiens, en les guidant sur la voie de l’obtention de la nationalité. Ce système a été mis en place dans les années 1970 pour permettre aux dizaines de milliers de réfugiés vietnamiens de venir au Canada, et des centaines de milliers de réfugiés sont arrivés depuis dans le pays grâce au parrainage communautaire. Il fonctionne en parallèle du programme de réinstallation géré par le gouvernement, qui aide les réfugiés les plus vulnérables à trouver un logement. Selon les termes de Joe Mihevc, conseiller de Toronto : « C’est là qu’intervient le leadership. C’est l’un et l’autre, pas l’un ou l’autre. »
Le parrainage suppose de s’impliquer. Les parrains se chargent de lever des fonds afin de réunir la somme initiale nécessaire pour faire venir les réfugiés dans le pays et les aider pendant la première année – payer le loyer, inscrire les enfants à l’école, faciliter l’accès aux soins de santé et les aider dans leur recherche d’emploi et de formation. C’est une expérience enrichissante, pour les nouveaux arrivants comme pour ceux qui les accueillent. Les réfugiés ont la possibilité de reprendre leur vie en paix et en sécurité. Ceux qui les accueillent en ressortent grandis et des amitiés durables se nouent.
« Vous recevez bien plus que ce que vous donnez », raconte le parrain d’une famille syrienne à Toronto. Pour un autre, le programme est « l’une des joies de [s]a vie ».
Le Canada a gagné la réputation d’être « accueillant pour les immigrants ». Nul besoin qu’il demeure un cas unique. Aujourd’hui, d’autres gouvernements, de l’Irlande à la Nouvelle-Zélande, explorent les possibilités pour lancer des programmes de parrainage privé pour les réfugiés, permettant ainsi aux citoyens d’agir pour la première fois. Le Royaume-Uni a adopté une loi autorisant le parrainage communautaire en 2016 et l’archevêque de Canterbury fut l’un des premiers à s’engager.
Le Vatican a récemment publié un programme en 20 points pour les réfugiés, validé par le pape François, qui incite d’autres pays à mettre en place des lois relatives au parrainage communautaire et certains commencent à emprunter cette voie. Il n’y a aucune raison de ne pas le faire. En favorisant ces initiatives impulsées par de simples citoyens, ceux-ci peuvent prendre la main, faisant preuve d’une humanité par trop absente des réponses des dirigeants du monde.
Au lieu de s’ériger en obstacles face à la compassion dont font preuve bon nombre de leurs concitoyens, les gouvernements doivent les soutenir dans leur volonté d’accueillir des réfugiés. Des tragédies comme la mort d’Alan Kurdi peuvent survenir chaque jour, d’autres parents se retrouvant contraints de mettre la vie de leurs enfants en péril pour les sortir des zones de guerre. Il est grand temps d’adopter une nouvelle approche. D’autres pays peuvent et doivent suivre le chemin tracé par le Canada.