Enfermé depuis trois ans dans une cellule aux Maldives, un chauffeur de bus sri-lankais accusé d’avoir participé à un complot visant à assassiner le président de l’archipel n’a pas bénéficié d’un procès équitable et a été passé à tabac par les policiers dans le cadre de violences pouvant s’apparenter à des actes de torture, écrit Amnesty International dans un rapport publié le 30 octobre 2018.
Ce document intitulé Prisoner in Paradise raconte l’histoire de Lahiru Madhushanka. Arrivé aux Maldives pour trouver un emploi en 2015, il s’est soudain retrouvé accusé d’être un sniper d’élite ayant pour mission d’assassiner le président Abdulla Yameen. Sa famille et son avocate affirment qu’il a été privé d’accès à une représentation légale et a subi des mauvais traitements durant sa détention, en étant placé à l’isolement prolongé et battu à coups de câbles, ce qui lui a fait perdre temporairement l’audition d’une oreille.
« Lahiru Madhushanka endure un véritable calvaire. De son arrestation à son interrogatoire, de son incarcération à son procès, il a été soumis, selon sa famille et son avocate, à une longue série de violations des droits humains, et notamment à des actes de torture, qui doivent faire l’objet d’investigations indépendantes, a déclaré Dinushika Dissanayake, directrice des recherches pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
« Cette affaire soulève des questions préoccupantes au sujet de la justice aux Maldives et du traitement réservé aux détenus. C’est aussi un test pour le gouvernement du Sri Lanka, qui se contente de fournir des services consulaires limités et ne répond pas dûment aux appels désespérés de la famille de Lahiru Madhushanka en faveur d’un procès équitable et de conditions de détention humaines. »
L’arrestation et la détention
En 2015, Lahiru Madhushanka a quitté son travail de chauffeur au Sri Lanka, selon sa famille et son avocate, en quête de nouvelles opportunités d’emploi. Le 23 octobre 2015, alors qu’il attendait son vol pour rentrer au Sri Lanka, il a été arrêté à l’aéroport par des policiers en civil qui l’ont accusé d’être impliqué dans un complot visant à assassiner le président Abdulla Yameen.
Dans le cadre de cette affaire, Lahiru Madhushanka est le coaccusé de l’ancien vice-président Ahmed Adeeb. La famille de Lahiru Madhushanka insiste sur le fait qu’il n’a jamais suivi aucun entraînement militaire, et n’a absolument aucune expérience en tant que sniper. La condamnation de l’ancien vice-président Ahmed Adeeb en 2016 a soulevé des inquiétudes quant à l’équité du procès : certaines audiences se sont déroulées à huis clos, des documents secrets émanaient de sources non dévoilées et les principaux témoins à charge ont gardé l’anonymat.
Comme le précise la synthèse d’Amnesty International, Lahiru Madhushanka n’a pas comparu devant un juge au cours des 24 heures suivant son arrestation, comme l’exige le droit maldivien. Sa première audience de demande de remise en liberté s’est déroulée deux jours après son arrestation. Pendant les six mois qui ont suivi, il n’a pas comparu physiquement devant un juge. Personne n’était présent pour examiner sa condition physique après qu’il a été interrogé.
Torture et autres mauvais traitements
Cinq jours après son arrestation en octobre 2015, Lahiru Madhushanka a été frappé par des policiers au siège de la police des Maldives à Malé, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse.
Lorsqu’il a repris connaissance, selon son avocate, il a senti que des épingles lui avaient été enfoncées dans le visage. Baissant le regard sur sa chemise, il a vu du sang. Selon ses proches, au cours de plusieurs de leurs visites, il leur a confié qu’il avait été frappé à coups de poing et de câbles.
D’après sa famille, ces coups ont causé la perte temporaire de l’audition d’une oreille.
Au mois d’août, Lahiru Madhushanka a été transféré à l’isolement, sans aucune explication des autorités carcérales. Son avocate n’en a même pas été informée. Pendant près d’un mois, il a été enfermé dans une cellule sombre, sans éclairage, selon son avocate qui a appris cet état de fait par d’autres prisonniers.
Lorsqu’il est détenu dans une cellule normale, Lahiru Madhushanka n’est autorisé à en sortir qu’une fois ou deux par mois. Il a pu également en sortir pour voir un médecin, ou les rares fois où il a été autorisé à rencontrer son avocate.
À la prison de Maafushi, l’état de santé de Lahiru Madhushanka s’est aussi détérioré en raison de la nourriture servie. En mai 2018, il est tombé gravement malade après un repas servi durant le mois du ramadan, mois saint pour les musulmans. L’un de ses codétenus a vu des cafards dans leur plat.
Un procès inéquitable
Lahiru Madhushanka n’a pas pu comprendre la procédure initiale intentée à son encontre, car elle se déroulait en divehi, langue officielle des Maldives, qu’il ne parle pas.
À l’exception des trois premières, toutes les audiences dans l’affaire concernant Lahiru Madhushanka se sont tenues à huis clos. L’identité des cinq témoins à charge présentés n’a pas été dévoilée – ils ont été identifiés par un chiffre. De ce fait, son avocate n’a pas vraiment pu procéder au contre-interrogatoire de ces témoins.
Selon l’avocate de Lahiru Madhushanka, lors d’une audience, deux des témoins ont même révélé qu’ils avaient été forcés à livrer de faux éléments à charge sous la contrainte exercée par des policiers maldiviens. L’un d’entre eux a déclaré au tribunal qu’il avait été contraint de comparaître après que la police des Maldives a arrêté et torturé son jeune frère.
Au cours des rencontres entre Lahiru Madhushanka et son avocate à Malé, les gardiens de la prison s’attardaient à portée de voix de leurs conversations, les empêchant de parler ouvertement de l’affaire. Pendant trois mois cette année, elle n’a pas pu le voir car les autorités ont mis en place toute une série d’obstacles administratifs.
« Si elles sont avérées, les conditions cruelles, inhumaines et dégradantes de détention de Lahiru Madhushanka entachent le système judiciaire des Maldives. Aucun être humain ne devrait être traité de la sorte. Raison supplémentaire pour que les autorités diligentent sans plus attendre une enquête approfondie, a déclaré Dinushika Dissanayake.
« Le nouveau président des Maldives, qui prêtera serment le mois prochain, doit veiller à ce que tous les prisonniers soient traités avec humanité et jugés devant des tribunaux où la justice mérite son nom. »