Macédoine. Des milliers de personnes sont prises au piège et risquent d’être brutalisées après la fermeture de la frontière

Des milliers de réfugiés et demandeurs d’asile principalement syriens, afghans et irakiens se retrouvent pris au piège et risquent fort de faire l’objet de violences, après que les autorités macédoniennes ont fermé la frontière sud du pays jeudi 20 août, créant ainsi une nouvelle zone de crise dans le cadre de la crise mondiale des réfugiés, a déclaré Amnesty International.

La situation s’est rapidement détériorée lorsque le gouvernement de l’ex-République yougoslave de Macédoine a déclaré deux zones frontalières « régions de crise », fermé la frontière sud avec la Grèce non loin de la ville de Gevgelija, et appelé l’armée en renfort.

Amnesty International a reçu des informations extrêmement préoccupantes selon lesquelles les membres d’une unité de police antiterroriste déployée à la frontière ont procédé à des passages à tabac, utilisé des agents de lutte antiémeutes et même tiré en l’air afin d’empêcher des personnes de franchir la frontière macédonienne. Des clôtures en fil barbelé ont par ailleurs été érigées le long de la frontière.

« Chaque pays est habilité à patrouiller le long de ses propres frontières, mais ce type de réponse paramilitaire constitue une forme de refoulement inacceptable et contraire au droit international. Les autorités macédoniennes réagissent comme si elles se trouvaient face à des émeutiers plutôt qu’à des réfugiés qui ont fui le conflit et la persécution », a déclaré Gauri van Gulik, directrice adjointe du programme Europe d’Amnesty International.

« Si les informations faisant état de passages à tabac et du recours à des armes à feu par les forces de sécurité sont confirmées, il s’agit là d’une intensification très dangereuse d’une situation déjà tendue.

« Tout pays a le devoir de protéger ceux qui fuient le conflit et la persécution, et la Macédoine ne fait pas exception à la règle. Quand le système ne peut faire face, on l’améliore – on n’empêche pas les gens d’entrer. »

Refoulements violents

Un témoin présent du côté grec de la frontière a déclaré à Amnesty International que des membres de l’unité de réaction rapide de Macédoine, une unité de police antiterroriste, avaient frappé des réfugiés et des demandeurs d’asile qui essayaient d’entrer en Macédoine, et avaient fait feu au-dessus de leurs têtes. Une organisation non gouvernementale (ONG) locale a confirmé le recours à des balles en caoutchouc.

Certains médias ont diffusé des compte-rendus et des vidéos indiquant que des policiers macédoniens ont utilisé des agents de lutte antiémeute et des matraques contre des personnes qui ne semblaient représenter aucune menace. Le ministère de l’Intérieur a émis une déclaration précisant que des grenades neutralisantes avaient été employées.

Un Syrien a parlé à Amnesty International depuis une zone proche d’Eidomeni, du côté grec de la frontière. Il a expliqué qu’au cours des deux journées précédentes, des soldats macédoniens ont empêché au moins 1 000 personnes présentes dans cette zone, y compris des familles et de nombreux jeunes enfants, de franchir la frontière. Des groupes d’une dizaine de soldats macédoniens en uniforme étaient postés à peu près tous les 50 mètres le long de la frontière.

Les autorités macédoniennes doivent veiller à ce que les policiers et les soldats éventuellement déployés le long de la frontière respectent le droit international et les normes internationales relatives à l’usage de la force et des armes à feu.

Craintes d’une crise croissante

Étant donné que plus de 1 000 demandeurs d’asile et réfugiés cherchent à se rendre en Macédoine chaque jour afin de monter à bord d’un train à Gevgelija, il est de plus en plus à craindre que la situation se détériore rapidement. Un grand nombre des personnes qui arrivent sont en mauvaise santé et ont besoin d’une assistance médicale – fournie jusqu’à présent par la Croix-Rouge macédonienne.

Selon l’ONG macédonienne Legis, qui apporte son aide aux réfugiés à la gare de Gevgelija, un grand nombre de ceux qui arrivent en Syrie présentent des marques correspondant à des blessures infligées lors d’un conflit armé.

Il semble que les personnes bloquées du côté grec de la frontière ne bénéficient guère d’une assistance médicale. Le réfugié syrien qui s’est entretenu avec Amnesty International a déclaré que lui-même et d’autres n’avaient pas mangé depuis deux jours, et avaient désespérément besoin de nourriture, d’une assistance médicale et d’un abri.

Au lieu de fermer la frontière, les autorités macédoniennes et grecques doivent s’efforcer de fournir des lieux d’accueil, de la nourriture, des vêtements et des soins médicaux, avec l’aide de la communauté internationale s’il le faut.

Amnesty International exhorte les autorités macédoniennes à honorer leurs obligations internationales à l’égard des réfugiés et demandeurs d’asile, notamment en :

  • permettant à ceux qui souhaitent déposer une demande d’asile dans le pays de le faire, et de leur donner accès à un processus digne de ce nom qui déterminera leur statut de réfugié dans les meilleurs délais ;
  • s’abstenant de recourir à une force excessive contre les réfugiés et les demandeurs d’asile ;
  • fournissant abris, nourriture, vêtements et soins médicaux ; et en
  • garantissant de véritables conditions d’accueil qui permettent d’identifier et d’aider les mineurs non accompagnés et les autres personnes vulnérables.

Complément d’information

En juillet 2015, Amnesty International a publié un rapport, intitulé Europe’s Borderlands: Violations against refugees and migrants in Macedonia, Serbia and Hungary, qui a indiqué que les réfugiés et les migrants se trouvant à la frontière entre la Macédoine et la Grèce sont régulièrement soumis à des renvois sommaires illégaux et à des mauvais traitements par la police des frontières.

Le 19 juin dernier, la loi macédonienne sur le droit d’asile a été modifiée, le but étant de favoriser l’accès à l’asile. Ces modifications ont permis aux demandeurs d’asile de se faire enregistrer à la frontière, puis d’obtenir un laissez-passer valable pour 72 heures afin de pouvoir rester dans le pays légalement le temps de déposer une demande d’asile, avec le droit de bénéficier des services de santé et des transports publics. 

La plupart des demandeurs d’asile ont cependant utilisé ce laissez-passer pour traverser la Macédoine, puis la Serbie, avant de se rendre en Hongrie. Les autorités ont aidé leur traversée du pays, en finançant leur transport à bord de trains en partance de Gevgelija, à la frontière avec la Grèce, et à destination de Tabanovce, à la frontière avec la Serbie.

Ces mesures, selon le gouvernement, avaient pour but de protéger les demandeurs d’asile en Macédoine des attaques menées par des bandes armées, de l’exploitation aux mains des passeurs – qui commettaient notamment des enlèvements contre rançon -, et des risques encourus en marchant le long des lignes de chemins de fer pour traverser la Macédoine, où 29 personnes ont été tuées par des trains jusqu’à présent.

Tout cela a contribué à fournir aux demandeurs d’asile un itinéraire sûr et légal à travers la Macédoine : seules 47 personnes, parmi lesquelles 37 ressortissants syriens, ont demandé l’asile entre le 20 juin et le 17 août, bien que des milliers soient passées par ce pays durant cette période.

Amnesty International a pu constater par le passé les insuffisances du système d’asile en Macédoine. À peine 10 personnes y ont reçu l’asile en 2014, et pas une seule au cours des années précédentes depuis 2009.

Ce mois-ci, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a déclaré que les demandeurs d’asile ne devraient pas être renvoyés en Macédoine, car le système n’était toujours pas en mesure de leur fournir une protection internationale.

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