Le Luxembourg, tout comme le reste de l’Europe, a été confronté à une arrivée importante de demandeurs de protection internationale depuis l’été 2015. Le défi de la réponse d’urgence fut surmonté d’une façon considérée unanimement comme correcte. Le besoin de structures d’accueil ont été couverts sans nécessité de recourir à des installations plus précaires et indignes comme les campings ou les tentes à ciel ouvert.
Mais le temps passe vite et les besoins actuels vont bien au delà de l’accueil d’urgence. Le défi qui se présente devant l’ensemble de la société luxembourgeoise c’est celui de l’intégration. Celle-ci ne pourra être possible qu’avec la contribution de tous, société civile comprise. Il est néanmoins indéniable que l’État et le Gouvernement en particulier ont une responsabilité accrue.
À l’occasion de la traditionnelle conférence de presse annuelle dans le cadre de la Journée Mondiale des Réfugiés, le Collectif Réfugiés (LFR) voudrait attirer l’attention des autorités et de la population sur certains sujets de notre préoccupation qui demandent des solutions urgentes.
1. Conditions d’accueil
· Approvisionnement en produits d’alimentation et d’hygiène
Le LFR s’est toujours exprimé en faveur d’une plus grande autonomie des demandeurs de protection internationale quant à la gestion de leur vie au quotidien. Nous saluons ainsi le fait que dans plusieurs structures d’hébergement, la possibilité d’accès à la cuisine existe et que les bons d’alimentation sont délivrés à certaines catégories des demandeurs. Toutefois, les demandeurs faisant recours à l’épicerie sur roue évoquent souvent le choix limité des produits proposés ainsi que leurs prix élevés comparés à ceux pratiqués dans les commerces locaux.
Le LFR est d’avis que l’accès des demandeurs de protection internationale aux commerces locaux et supermarchés discounts doit être favorisé et l’approvisionnement sur roue ne doit être réservé qu’aux structures d’hébergement se trouvant dans des localités éloignées et non desservies par le transport en commun d’une manière régulière.
Le LFR insiste aussi sur la nécessité d’un contrôle permanent de l’assortiment ainsi que de la qualité et des prix des produits proposés par l’épicerie sur roue. Le LFR regrette l’exclusivité d’achats à l’épicerie sur roue.
· Structures d’hébergement
Face à un nombre important des demandeurs de protection internationale arrivant au Luxembourg, le LFR salue le fait que les autorités nationales ont pu mobiliser des moyens nécessaires afin de mettre à disposition le nombre de lits suffisant et d’éviter ainsi l’hébergement inadapté dans les campings et sous les tentes.
Toutefois il nous semble important de relever que la qualité des conditions d’hébergement devrait être une priorité absolue aussi bien dans les structures d’hébergement publiques que privées. Malheureusement nous constatons que de plus en plus souvent des demandeurs de protection internationale se plaignent de la promiscuité et du manque d’intimité, ou encore de mauvais état des chambres et de la faible qualité des repas dans certaines structures d’hébergement.
Le LFR considère que la mise en place du système de contrôle permanent de la qualité de vie dans les structures d’hébergement de la part des autorités doit permettre de détecter les défaillances existantes et de se donner ensuite des moyens pour trouver des solutions adaptées dans l’intérêt du bien-être des demandeurs de protection internationale.
Le LFR plaide pour que tous les foyers soient encadrés par un personnel qualifié et en nombre suffisant pour pouvoir prendre en charge l’ensemble des résidents, que ce soit sous la gestion de l’OLAI ou sous celle d’une ONG.
· Accès à l’internet
Malgré les efforts déployés, nous constatons qu’il reste toujours des foyers où les résidents ne peuvent pas se connecter à l’Internet et de ce fait sont dépourvus des moyens de contact avec leurs proches ou avec leurs avocats. De même, l’accès à Internet devrait être possible depuis les chambres et pas seulement dans les parties communes des structures d’hébergement, en respectant ainsi le droit à la vie privée des résidents.
· Détection des vulnérabilités
Une bonne partie des demandeurs de protection internationale qui vient au Luxembourg est originaire de pays en guerre. D’autres cherchent refuge car ils sont persécutés pour de multiples raisons. De ce fait, certains présentent des signes de vulnérabilité liés à des traumatismes psychologiques ou physiques, à une maladie chronique ou à l’orientation sexuelle.
La loi prévoit des dispositions spécifiques pour les personnes vulnérables. Néanmoins, le défi consiste à mettre en place des mécanismes adaptés de détection et de prise en charge de ces vulnérabilités. Il en est ainsi, par exemple, dans le cas des mineurs non-accompagnés, qui ne bénéficient pas systématiquement d’un entretien psychologique ou des demandeurs de protection internationale LGBTI qui sont parfois victimes d’actes homophobes dans les structures d’hébergement.
Le LFR insiste sur le fait que la détection des vulnérabilités, quelles soient physiques, psychologiques ou autres doit être effectuée le plus tôt possible par le personnel formée à cet effet selon les normes internationales en vigueur. De même, quand une vulnérabilité est déterminée, celle-ci doit être prise en compte lors de l’attribution de l’hébergement, des dispositifs d’intégration proposés à la personne et " last but not least " lors de la procédure d’asile.
2. Procédure
· Durée de la procédure
La loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale a introduit un délai maximal pour le traitement des demandes de protection internationale par le ministre compétent. Il est, en règle générale, de 6 mois et ne peut en aucun cas dépasser 21 mois. Actuellement, le délai de 6 mois est loin d’être respecté et même celui de 21 mois est largement dépassé dans beaucoup de cas. Même si ces délais sont, selon les autorités, seulement applicables aux demandes enregistrées après l’entrée en vigueur de la loi en question, il serait judicieux de déployer des efforts pour leur application systématique à toutes les demandes.
La durée excessive des procédures est en soit génératrice d’angoisses. En plus, les demandeurs de protection internationale ont des difficultés à comprendre les raisons de l’existence de différences de traitement des demandes en fonction du pays d’origine, ce qui induit des tensions entre nationalités.
Tout en comprenant que la Direction de l’Immigration a été confrontée à un nombre important de demandes de protection internationale et en saluant l’effort déployé par les fonctionnaires, le LFR demande à ce que le personnel attaché au traitement des demandes soit davantage renforcé de manière conséquente. D’autant plus que l’évolution de la situation internationale laisse clairement présager que l’afflux de personnes cherchant refuge en Europe et au Luxembourg ne va pas s’arrêter d’un jour à l’autre. Au delà de l’effort pour la réduction des délais, le LFR suggère au Ministère des Affaires Etrangères de communiquer d’une façon transparente et proactive avec les concernés sur l’évolution de leur dossier.
3. Intégration
· Dispositions légales
Pour un pays dont presque la moitié des résidents n’a pas la nationalité luxembourgeoise, l’intégration des étrangers en général est vitale pour la cohésion sociale. Pour les demandeurs de protection internationale qui, hormis l’apprentissage linguistique, ne trouvent pas à s’occuper pendant toute la durée de la procédure, la question de l’intégration se pose davantage.
Puisque, comme les chiffres le démontrent, un nombre important des demandes aboutissent à l’octroi du statut de réfugié il est urgent de travailler sur leur inclusion à plusieurs niveaux. Ainsi le LFR propose :
– la modification de la loi du 18 décembre 2015, en introduisant le " projet d’accompagnement " qui a été enlevé du texte final, en tenant compte des oppositions formelles du Conseil d’Etat à certaines dispositions. Le LFR se met à disposition du Ministère de la Famille pour aider dans la réflexion sur la meilleure façon de le faire ; – la simplification des procédures pour la demande et l’octroi d’une Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) permettant un accès facilité des demandeurs de protection internationale au marché de travail déjà pendant la procédure ; – une évaluation et éventuelle simplification des dispositifs de reconnaissance des qualifications académiques et professionnelles des réfugiés, ainsi que d’autres preuves écrites exigées par les autorités, notamment à cause des difficultés rencontrées par beaucoup d’entre eux à obtenir des documents officiels dans leurs pays d’origine.
· Nationalité
Le projet de loi 6977 sur la nationalité luxembourgeoise prévoit l’accès à la nationalité luxembourgeoise pour les réfugiés par la voie de l’option. Il s’agit d’une simplification administrative par le fait que la demande est automatiquement acceptée si toutes les pièces justificatives sont en règle, sans avoir besoin de passer par une décision du ministre de la Justice. Cependant, au contraire de ce qui était prévu dans l’avant-projet de loi, il n’y a pas de dispositions plus favorables pour les réfugiés par rapport au délai de résidence.
Le LFR demande au législateur de revenir sur les dispositions de l’avant-projet de loi en réduisant le délai de résidence de 7 à 3 ans pour les réfugiés. Leur situation particulière au niveau de leurs relations avec le pays d’origine justifie des dispositions plus favorables, au même temps que cette reconnaissance pourrait constituer une incitation à une intégration plus poussée et rapide.
3. Rétention
· Durée et alternatives
La loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale a élargi la panoplie des alternatives à la rétention. À l’époque, les propositions du LFR ont été partiellement prises en compte par le législateur. Toutefois, le LFR a regretté que de toutes les alternatives existantes et pratiquées dans d’autres pays, le législateur luxembourgeois a retenu celles qui sont les plus difficiles à l’exécution. Le LFR a ainsi mis en doute la probabilité de leur application. Cependant les propositions actuelles des autorités semblent manquer de cohérence. Si en décembre 2015, la loi votée proposait des alternatives à la rétention, considérant comme principe général que la mise en rétention doit être la mesure du dernier recours, au mois de mai 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile a déposé un projet de loi qui propose l’augmentation du délai maximal de rétention pour les familles ou personnes accompagnées de mineurs d’âge, de 72 heures actuelles à 7 jours.
Le LFR rappelle avec insistance sa position contre toute mise en rétention des mineurs d’âge, confortée par la position de l’organisation non gouvernementale internationale Save The Children, spécialisée sur les questions de droits de l’enfant. Cette position s’appuie sur l’article 37 b de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, Le LFR appelle le gouvernement à supprimer du texte du projet de loi 6992 la possibilité de prolonger la durée de rétention des mineurs d’âge. Les besoins en matière d’organisation de la police et des tribunaux évoqués dans l’exposé des motifs du projet de loi sont infiniment moins importants que le respect de la dignité humaine et des droits de l’enfant !
En outre, le LFR invite le Gouvernement à introduire dans la législation une alternative telle que la création d’une " maison retour ", structure ouverte destinée à recueillir les familles à rapatrier, comme cela était prévu par le programme gouvernemental en 2013.
Le LFR considère qu’il est important de développer la promotion du retour volontaire en tant qu’une alternative à la rétention déjà existante au Luxembourg. Dans ce sens, il est opportun d’étudier l’exemple de la Belgique qui effectue une préparation active des demandeurs de protection internationale déboutés au retour à l’aide des " coachs ".