Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Liu Ping : emprisonnée pour avoir «cherché à provoquer des conflits et troublé l’ordre public»

Une démarche généreuse a transformé l’ouvrière chinoise Liu Ping en militante anticorruption acharnée. Liao Minyue, sa fille, raconte ce qui s’est passé.

Ma mère, Liu Ping, était une simple citoyenne, une femme au grand cœur.

Nous étions très proches. Quand mes parents ont divorcé, il y a une dizaine d’années, j’ai choisi de vivre avec elle. Nous ne nous sommes jamais disputées, pas une fois. Nous allions ensemble au marché pour récupérer des légumes invendus, pour nous nourrir. Pour moi ce n’était pas du tout honteux. C’était au contraire de bons moments, des moments privilégiés car nous étions ensemble.

Mais un jour, tout a changé. Le soir, ma mère travaillait comme vendeuse de rue non déclarée pour compléter son salaire mensuel de 800 yuans (une centaine d’euros) – elle était ouvrière dans une aciérie. On est venu lui chercher querelle à son étal et mon oncle est intervenu. Il a été tabassé.

Les autorités locales n’ont pas réagi à ces violences, mais un groupe d’avocats a proposé de se charger de l’affaire gratuitement. Cette démarche généreuse est à l’origine de l’engagement de ma mère. Elle s’est mise à militer activement pour les droits des travailleurs.

C’était en 2011. J’étais encore au lycée. Notre vie a changé du tout au tout après ça.

Discours, tracts, passages à tabac

Ma mère a commencé à prendre la parole dans la rue, à distribuer des tracts. Elle a tenté aussi de se présenter en tant que candidate indépendante à l’Assemblée populaire locale, afin d’aider les travailleurs qui avaient été contraints de prendre leur retraite. Elle restait des jours d’affilée sans rentrer à la maison.

Des inconnus se présentaient chez nous. Je comprends maintenant que c’était des policiers en civil. Je m’inquiétais pour elle, surtout quand je ne parvenais pas à la joindre – en général cela voulait dire qu’elle avait été passée à tabac. Je n’étais pas du tout d’accord avec ce qu’elle faisait, et j’ai tout fait pour qu’elle s’arrête. J’ai aussi eu la visite de policiers et de cadres du parti au niveau local, qui voulaient me faire intervenir auprès d’elle pour qu’elle s’arrête.

Je ne savais pas à quoi elle était mêlée. Elle ne m’avait rien dit, pour me protéger. Dans le quartier, des gens disaient qu’elle trempait dans des affaires louches, et j’ai commencé à croire ce que j’entendais. Du coup, nos rapports se sont détériorés.

Arrêtée pour avoir dénoncé la corruption

Et puis, l’année dernière, ma mère et deux autres militants anticorruption ont été arrêtés parce qu’ils avaient tenu un petit rassemblement privé et déployé une banderole demandant que les responsables rendent public leur patrimoine – leurs biens immobiliers, leurs investissements. Elle a été accusée d’avoir « cherché à provoquer des conflits et troublé l’ordre public ». J’ai alors perdu toute confiance dans le Parti communiste chinois. J’ai mis en ligne une lettre ouverte dans laquelle j’annonçais que je quittais le parti. J’étais prête à assumer les conséquences.

On dit que Maman et les deux autres militants sont liés au Mouvement des nouveaux citoyens, un réseau informel de défenseurs des droits humains. Quand elle a été condamnée à six ans et demi de prison, en juin, ça m’a indignée. J’ai mis en ligne une nouvelle lettre dans laquelle j’exprimais ma profonde désillusion.

Pendant toute l’année écoulée, je n’ai cessé de penser à l’attitude que j’avais eue face à l’engagement de ma mère. Je m’en veux beaucoup d’avoir essayé de lui faire cesser ses activités. Ce que ma mère et les autres subissent actuellement est la conséquence directe de notre passivité et de notre lâcheté.

Je n’ai pas de scrupules maintenant à accepter des interviews et à évoquer son sort devant les médias. On m’a retiré mon passeport et j’ai fait l’objet de pressions de la part des responsables là où je travaillais avant, mais je n’ai pas peur, ce n’est pas grave de subir cela. Je n’ai qu’une mère, après tout.