L’Ile Maurice, point de départ d’une structure régionale pour la défense des droits humains. Entretien avec Kavy PYNEENDA, président d’AI-Maurice ains dans l’océan indien.

Quand on parle de l’île Maurice en Europe, on pense surtout à une destination de voyage avec des plages de rêve, un lieu de détente et de dépaysement pour des occidentaux souhaitant se ressourcer. C’est cependant également une patrie pour quelques 2 millions d‘habitants avec leurs rêves et réalités et, depuis 1981, le siège d’une section d’Amnesty International. Il y avait donc d’autres raisons que l’attrait de l’exotique pour s’entretenir avec le président de cette section sur le militantisme et la situation des droits humains à Maurice. Depuis quand es-tu engagé au sein d’Amnesty et qu’est-ce qui a motivé ton activisme pour le mouvement ? Au début des années quatre-vingt, un de mes camarades de classe était à Londres où il a fait la connaissance du chef du département légal du secrétariat international d’Amnesty. Fasciné par ce qu’il y a appris sur la lutte contre la violation des droits de l’homme, il est revenu à l’île Maurice avec la ferme intention d’y lancer des activités du mouvement. Il a fait appel à un groupe d’amis, dont ma femme et moi-même et c’est ainsi qu’est né le premier groupe d’Amnesty International à Maurice. Personnellement, j’étais aussi très motivé pour m’engager étant donné qu’à l’époque, la peine de mort existait encore chez nous et que je suivais en même temps avec un grand intérêt le combat mené par Robert Badinter en France pour l’abolition de la sanction suprême. Le premier cheval de bataille de notre groupe a dès lors été l’abolition de la peine de mort sur Maurice. Le combat a cependant été de longue haleine ; en 1983, il y a encore eu une exécution et la peine de mort n’a été abolie par une loi qu’en 1995. Un deuxième fait déclencheur de mon engagement était l’apartheid qui faisait des ravages en Afrique du Sud. Même avant mon engagement, j’avais participé à un appel au boycott des produits sud-africains. Au début de mon engagement chez Amnesty, je ne comprenais d’ailleurs pas pourquoi l’organisation n’appelait pas elle-même à un tel boycott et il m’a fallu un certain temps pour comprendre et accepter ce choix stratégique. Après 29 années de militantisme, quelle est ta source d’énergie pour continuer l’engagement ? J’ai vu qu’Amnesty peut faire la différence tant au niveau international que d’un point de vue local. Par exemple, nous avons encore aujourd’hui des prisonniers d’opinion qui sont en contact avec notre section et pour la libération desquels nous avons oeuvré. Beaucoup d’entre eux nous ont dit qu’une seule lettre de la partie sud du globe équivaudrait à une centaine de lettres du nord alors que les autorités des pays persécuteurs sont plus sensibles à des critiques et actions émanant de régions limitrophes que du nord. Ils sont en effet habitués à recevoir des critiques de la part de l’Occident et y sont devenus un peu insensibles. D’autres actions de notre section qui démontrent que nous pouvons faire avancer les choses sont relatives à des réfugiés dont nous nous sommes occupés. Bien que l’île Maurice se trouve au fin fond de l’océan indien, six irakiens chrétiens s’y étaient « échoués » après un long périple et risquaient de se faire refouler dans leur pays. Il faut préciser que notre pays n’a jamais ratifié la Convention de Genève relative au statut des réfugiés alors que les gouvernements successifs ont toujours argumenté qu’ils ne voudraient pas « ouvrir les vannes », par crainte d’une immigration massive. En collaboration avec les Nations Unies et après avoir pris en charge les 6 personnes, nous avons réussi à ce qu’ils puissent aller s’établir aux Etats-Unis. Au-delà de ce cas concret et malgré le fait que notre pays n’a pas ratifié la Convention de Genève, je pense que nous avons réussi à ce que les autorités de notre pays ne refoulent plus des réfugiés aussi longtemps que leur situation n’est clarifiée. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ta section, de sa taille, de ses membres, de ses actions et de vos projets pour l’avenir ? En 1981, lors des débuts de la section, nous étions quelques 40 courageux à mener les actions. Il y a deux années encore, nous avions seulement quelques 300 membres. C’est grâce à la vision et à l’appel du secrétariat international et plus particulièrement du Fonds international de mobilisation que nous avons entrepris depuis lors la professionnalisation avec le recrutement d’un directeur, la mise en place d’un secrétariat et l’introduction d’une stratégie d’éducation aux droits humains. Ceci nous a permis d’avoir aujourd’hui environ 2000 membres et autour de 40 groupes jeunes dans les écoles et lycées du pays. Sur les prochaines 6 années, nous sommes très ambitieux et aimerions aboutir en 2016 à avoir près de 30.000 membres, ce qui représenterait 3% de la population mauricienne. Est-ce que vous avez des problèmes spécifiques à votre pays en termes de droits humains ? Oui, depuis quelque temps, nous travaillons sur le « harcèlement dans la rue » qui est très répandu. Notre société est très patriarcale et de nombreuses femmes et filles se font agresser verbalement, parfois physiquement, toujours avec une connotation sexuelle. Nous avons établi une plateforme de sensibilisation constituée essentiellement d’hommes avec l’objectif de sensibiliser les auteurs à la gravité de leurs gestes. Certains nous disent que nous exagérons alors qu’ils ne fesaient rien de mal, que plaisanter et siffler. Nous restons cependant persuadés que si l’on ne s’oppose pas à ces faits, il s’agit d’un début qui peut mener à d’autres choses plus graves comme par exemple des viols. Si je te donnais 10 millions d’euros pour investir dans la lutte contre les violations des droits de l’homme, tu en ferais quel usage ? Oh, je les partagerais avec toi ! Plus sérieusement, notre pays est la seule véritable démocratie dans la région du sud-ouest de l’océan indien. Je pense aux évènements récents à Madagascar qui sont une illustration de l’histoire traumatisante de la région en termes de coups d’états, renversement et des millions de gens vivant dans la pauvreté. J’engagerai donc cet argent dans la création de structures de défense des droits de l’homme dans la région pour permettre aux populations de connaître leurs droits et les revendiquer. J’espère sincèrement que les nouvelles priorités du mouvement rendront possible l’élargissement de la défense des droits de l’homme dans la région et que dans quelques années, nous pourrons dire qu’AI Maurice a été le point de départ de la mise en place d’une véritable structure régionale de défense des droits de l’homme dans le sud-ouest de l’océan indien.